pour ne pas oublier
C’est que quelquefois, les choses reviennent. On ne sait comment, d’où, par quel détour, quel chemin, quelle faille. Elles reviennent. Il y avait cette façon de penser que les étoiles étaient faites de ces trous d’épingle dans un voile qui englobait l’univers, un voile noir, celui-là même qui nous envahit dans ces moments-là. Un voile qui serait le ciel.
Il y avait aussi cette façon de ne retenir que les couleurs, ou alors cette lumière. Il est important de se souvenir que ces choses-là se sont passées. Je me souviens qu’il s’agissait de ce parcours que nous avions fait, ensemble, dans cette famille, la mienne, entre j’avais pensé que c’était Orly et l’église de Saint-Germain l’Auxerrois. Mais la géographie m’intime de comprendre que non. Alors il y a sans doute eu une promenade touristique. Je me souviens de m’être arrêté à Auxerre, il y a longtemps, garé la voiture sur une place. Pas si longtemps puisque je conduisais. Je me souviens, mais à ce moment, au moment où j’écris dans cette salle
je ne sais plus exactement s’il s’agit de celle de poterie, ou de l’autre donnant sur la cour, je crois que c’est la première, mais ce n’est pas la première fois que j’y viens. Je ne sais pas exactement ce que je fais, j’écris parce que j’ai là six photos, qui me permettent d’illustrer un propos qui va avec la journée du jour, avec ce que je connais de Gif-sur-Yvette (mais ici ne me vient que la rue Gît-le-Coeur).
La quatre cent trois bleu nuit. La nuit. La passerelle des arts. Au coin, ce café, le Corona je crois qu’il se nomme, là, du nom d’une bière, du nom d’une bière qu’aimait à boire l’autre qui se tenait mains dans les poches et cigarette à la lèvre, cinq minutes douche comprise, tu te souviens, où il retrouvait son père, si on suit la rue, elle part et ses numéros croissent en partant du fleuve, on arrive à cette petite place, l’hôtel où descendait mon grand-père dans les années trente, la statue de Jeanne d’Arc, la rue qui part à gauche et où elle vivait, cette rue alors probablement centrale dans cette histoire imaginaire, et lui qui conduisait et elle qui souriait et qui posait sa main sur son bras, pour ne pas oublier. L’un de mes auteurs préférés, certainement.
Je ne cite pas son nom, je ne cite pas le nom de mon père, je ne cite pas. Des rues de Paris, des rues où les choses se sont passées, par exemple, celle du Cardinal Lemoine, au coin du boulevard se tient un café, durant mes études, une fusillade et des morts, dans ces cafés, années soixante dix, ou alors un autre, peut-être était-ce la première fois que j’allais seul au restaurant, je veux dire seul comme un adulte, accompagné de mon ami A. je pense, je ne sais plus, une petite rue qui donne sur la cathédrale, là aussi, un meurtre. « Shining », (Stanley K.ubrick, 1980, photo de John Alcot) avait cette même ambiance (ou du moins, a posteriori, je lui donne cette ambiance-là, celle du meurtre des petites filles).
Rien à voir, seulement la mort. Je me souviens de ce turban qu’elle portait dans ses cheveux. Je ne la connaissais pas, mais parfois, les choses reviennent. Ces choses-là sont importantes, il ne faut pas les laisser passer. Ou alors, il faut simplement les laisser s’en aller, l’oubli du souvenir, et les souvenirs de cet oubli, la vallée de l’Yvette, le jardin et les fleurs, les choses ne passent pas, elles se teintent, on les regarde et la lumière, elle, les passe, elles étaient fortes, contrastées, éclatantes ou sourdes, mais vraiment elles étaient là, à les toucher, et la lumière, longtemps dessus posée, longtemps, comme abandonnant ici quelques particules, comme la poussière qui paraît-il nous attend, longtemps un poids qui n’existe pas, pourtant, des flocons ou de simples petits filigranes, des linéaments, on les voit à peine mais ils sont là, ils s’accumulent, des moutons dit-on aussi pour les qualifier, un coup de balais ou de vent, et les voilà qui s’enfuient, s’égarent, se dissimulent, ils n’y sont plus, le plumeau et le grand air, ils se sont évaporés, comme nos idées éthérées et évanescentes, elles ont disparu, elles étaient là, présentes, mais maintenant, assis dans ce métro qui va croiser les voies, la rue à ma gauche passe, cette rue où cet atelier, ces choses qui se sont passées, qui s’en sont allées, qui ont été et qui ne seront plus, ces choses-là quelquefois reviennent, inutile de les dissimuler, inutile de tenter de s’en absoudre, elles sont là et nous sommes faits d’elles.
Les photos qui illustrent ce billet dédié à Maryse Hache ont été prises dans (à) la galerie briobox qui recevait Marie Lepetit.
La première image correspond à ce qu’on voyait derrière la dernière oeuvre.
Avec mes remerciements.
« les choses ne passent pas, elles se teintent »
oui
la femme au turban, oui, elle ou une autre.
Pointillisme étoilé des toiles, c’est beau (les souvenirs aussi).