De nos vies les acteurs
Ce n’est pas tellement que j’aime le métro, ses téléphones portables, ses poussettes, ses millions de voyageurs, utilisateurs (« usagers » n’est pas mal non plus, mais j’ai le sentiment, ancré, qu’il s’agit plutôt d' »usagés » quand je l’entends ou le lis – ce doit être un effet de l’âge) qui se font contrôler sans rien dire ensuite (je crie « contrôleurs » lorsque j’en vois) (je me défends comme je peux, et ces temps-ci, j’ai de sérieuses difficultés) (il y a le billet de KMS heureusement). C’est justement que je n’aime pas le prendre qui fait de moi un usagé dilettante, alors je prends des photos. D’ici, de là.
Toujours les mêmes.
Point de vue, changement, attente, les gens passent, les gens patientent, et toute cette humanité me semble parfois tellement différente.
Je rejoignais ce jour-là la gare de l’Est, sa proximité pour y retrouver deux amis (l’un d’eux sera en photo, je ne sais où, ici ou là). J’aime me souvenir des trajets, je crois que j’ai changé à République, ou alors à Stalingrad. Je ne sais plus, mais elle a du monter … je ne sais plus. Elle regardait son plan du dix neuvième, quelques rues étaient soulignées de bleu, d’autres de rouge.
Ce devait être Pantin- Place d’Italie. Les gens, je les aime bien, mais seulement si’l y a la place pour cadrer (je ne cadre pas, mais je sais ce que je vois, et ce que gardera l’appareil).
J’ai posé sur la platine ce morceau de Duke.
J’ai regardé le bracelet de cette dame (si vous la (re)connaissez, dites lui que son portrait figure ici).
Peut-être est-ce en arrivant gare de l’Est que les roues du métro crissent.
J’étais à l’heure.
Il y avait de la pluie et du gris, j’ai pris par le hall, pour sortir vers la poste et prendre deux ou trois billets à l’automate. Puis allant au café, un canapé, j’ai attendu lisant la biographie de Glenn Gould par Michel Schneider. Je me souvenais des variations Goldberg. On a parlé d’avenir. Puis je suis allé gare du Nord où le train de Londres avait du retard. Je n’ai pas pris de photo, c’était la nuit, le froid est passé, la neige est tombée, le temps a glissé.
J’ai manqué « New-York Miami », tant pis, je suis allé voir mon frère qui travaille, travaille, travaille. Nous avons évoqué les années du Nord, puis celles de l’Italie. La famille, les amis, celui qui est devenu consul à Singapour
de l’ami libraire à Chartres, de l’auteur de Saint Die
ou dans l’est, ailleurs, la Bretagne et le Cotentin, les cartes des années cinquante, il m’a indiqué le nom d’un site, je crois, je suis en train d’écrire quelque chose, mes grands-pères alors que j’en pourrais être, les territoires, les lieux, le Mali,
du permis de conduire de mon neveu, dans le café les garçons se hurlaient dessus (l’un d’eux avait pris les verres que l’autre se destinait), j’ai dis que j’avais envoyé mes voeux à untel et qu’il n’avait pas même répondu, « ah lui, il a tout vendu, il se tire au Togo…! » non, mais pourquoi ? « parce qu’il aime les Togolaises »
nous avons parlé du film de cette cinéaste d’Arabie Saoudite, nous avons parlé du meurtre de Chokri Belaïd, des insultes faites aux femmes, du palais de Carthage qu’on voyait de la plage quand on s’y baignait, j’ai dit que je devrais appeler A. et que je voyais sans doute P. le quinze ou quelque chose
le temps est passé, j’ai dû rentrer, il m’a dit s’en aller je ne sais plus quand, il y avait les ombres de Montcizé, Crétéville, des oliviers et des ceps de vigne, le Mornag et le mont Boukornine, il était tard, j’avais manqué la séance
un peu de soleil dans l’eau froide, le métro filait vers Stalingrad, il faisait froid, le temps était passé, celui où mon grand-père regardait par la fenêtre du premier étage, puis par celle de sa chambre dans le duplex de mon oncle, son fils, années soixante, les liens qui unissaient les directeurs des usines industrielles aux sommités locales, le maire qui demande au greffier en chef, la maison qu’il possède et qui fait le coin, est-elle bien libre à la location, la voiture dans l’un des garages au rez-de-chaussée, quatre enfants, le chantier de la bataille est passé
je suis arrivé chez moi, il y avait de la neige au ciel, je me suis souvenu de Volpone, je crois que c’était Charles Dullin, et je crois aussi que c’était Louis Jouvet qui interprétait Mosca, je me suis souvenu de l’urticaire qu’il avait aux mains, et en passant devant une affiche, Robert Hirsch et ces yeux-là
Gare des souvenirs et des retrouvailles (ou des pertes).
Enfin, avec le Duke, le convoi s’en va sans problèmes…