Pour mémoire (Journal de l’Air nu #46 à 50)
Jeudi 30 avril 2020 (le bon) vers la fin
les deux branches de lunettes pétées, j’étais là près de l’auto à voir les dégâts, mais elles n’étaient que dévissées ; je tenais tout ça en main quand une brune cheveux courts replète s’approche de moi et me donne une pièce de cinq francs (une de celles en argent (*)) : elle me dit « j’ai craché sur votre voiture, voilà, pardon » elle me montre la vitre arrière, un vague amas transparent – elle s’en va.
Fin.
(je me suis longuement interrogé sur cette brune replète, et il me semble bien qu’il s’agit de ma grand-mère – paternelle.
trois sacs jaunes (la semaine dernière ils sont passés trop vite pas eu le temps de sortir celui de la semaine précédente – ce sont les emballages, les papiers, les consommables, l’éboueur ramasse comme une danse, il saute en marche du camion, jette les sacs, reprend appui sur le marche pied, même danse, même geste en face ou plus loin, le camion – comme un ange – passe vers moins vingt de huit) – au marché on a attendu vingt minutes une demi-heure avant d’entrer : la moitié des gens est munie de masque, on a encore le droit de rire, on croise nos contemporains – adapter mais j’ai commencé depuis quarante six occurrences est-ce que je vais changer chambouler repositionner chapitre par chapitre ?
lessive comme de juste (sauf que non : y pleut)
Andreotti et Aldo Moro (il me semble discerner quelque chose du Maure chez mon héros)
j’ai cherché pendant quelques heures le qualificatif, devenu substantif, pour intituler les (il faut toujours trouver un mot épicène pour ne pas trop se faire ennuyer par cette écriture inclusive que j’abhorre) terroristes qui se déprennent de la délation mais cessent l’action armée – ce sont les « dissociés » – c’en est bientôt fini, on approche de l’exécution : chacun sait ce que l’autre doit penser – Mario n’apparaît à Aldo que le visage couvert d’un passe-montagne, ainsi que celui (dont j’ai oublié le nom mais je reviendrais ici ensuite) qui lui porte ses repas (Prospero), l’aide dans la journée hors des interrogatoires, qui lui a enregistré une messe – Aldo ne voit personne d’autre – Mario ne comprend pas bien ce que lui explique le prisonnier (l’image de la couverture du livre écrit par Anna Laura Braghetti) , mais s’attache à la personne –
(*) une de ces pièces-là (pas spécialement en argent d’ailleurs) que ma grand-mère (maternelle) mettait dans un verre d’eau et qu’elle jeta derrière moi, un jour de l’été soixante quinze où je partais en vacances ailleurs, pas si loin, Cotentin il me semble, ou alors bien plus tard, dix ans peut-être – afin de jeter aussi le sort que je revienne – celle qui allait à Djerba dans l’une des synagogues de l’île pour y trouver quelque réconfort ou passion, quelque chose qui l’aiderait à vivre sans doute : discerner l’avenir, penser au passé, revenir à Tunis en autocar (ou en train) – celle qui buvait du café dans la dauphine avec sa fille cadette : il se peut qu’elles parlent toutes les deux en arabe afin que les enfants n’entravent que peu de ce qu’elles disent
(47). Vendredi 1° mai 2020
les pages d’écritures arrachées, les listes les lexiques, les trente sept mers du Globe, la tentative d’épuisement de la carte du monde (non, parfois je suis épuisé : ce que je fais ne sert à rien, pas même à moi – parfois moins) – il y a la carte en trois couleurs, les articles des journaux qui nous viennent des amis qui viennent chercher leur pain – dans l’un d’eux, le changement climatique qui nous ramène à la réalité (?) anxiogène du monde contemporain : le truc est accablant et on ne fait rien pour le combattre ou au moins l’anticiper et choisir les bonnes solutions – je ne sais pas exactement de quel côté se trouve Ivan Oroc (riche ? pauvre ? sain ou malade ? provincial ou capital – si ça je sais qu’il est, semble-t-il, et demeure dans le grand est – il s’agit de l’une des occasions de s’informer : il pleut, l’herbe pousse au jardin, la petite Mina apprend à lire et parler) (elle a disparu) – taire les choses trop intimes mais qui vous blessent, par exemple cette incise d’un François Gémene (qu’on peut respecter par ailleurs) , la même qu’un Yannick Haenel (qu’on pourrait agonir), sur les « journaux de confinement » de Marie Darrieusecq et Leila Slimani (« nous abreuvent (sauf qu’on ne boit pas, non) de leur récit de confinées de luxe » dit le premier cité) (c’est tellement drôle de se moquer du monde des dominants : sauf que ça ne fait que l’entretenir et le fortifier) – deux hommes contre deux femmes – c’est tellement vrai et tellement bon de se reconnaître – la reconnaissance nous fait chaud au cœur : c’est doux comme du lait chaud sucré : ça nous vient du sein en droite ligne – premier mai jour de la fête du travail : chômée – payée double : le droit du travail, détricoté mis à bas tordu vicié et perdu mort dépecé – les vingt premières années du siècle – les pages d’écriture arrachées
(48) Vendredi 1° Mai 2020
fête des travailleurs, un peu de muguet (il y a deux ans, sur la place de la contrescarpe – crois-tu qu’il est inquiété ?) – l’année dernière dans les locaux d’un hôpital, crois-tu qu’on s’est empêché de salir les infirmières et les manifestants ? – regarder les livres proposés par le canard qui parait vers une heure monographies/biographies (sans nom d’autrice sur la couverture ou première page : on a compris) de « femmes célèbres » à gerber (cette littérature de chiottes, cette façon de « raconter des histoires » puante et mensongère) : ouvert un (lu 3 pages, refermé), un autre (lu trente pages, refermé) – Joséphine Baker Georges Sand (aka Aurore Dupin) Indira Ghandi (add. du 5 mai : on les a rendus, les voisins de S. s’en allaient consulter à Paris – qui sait s’ils reviendront jamais ? Si mais quand ?) – (add. du 31 : ils reviendront mardi ou mercredi, tandis que nous serons partis vers Babylone)
alors que venaient les souvenirs, ils se sont taris – la situation, la perte des repères et du domicile, du travail, des occupations et des sorties – nous n’avions que toi sur la terre – on en avait conçu quelque chose sur la famille, les virées tardives de mon frère et les coups qu’à cette occasion il reçut – l’aînesse, c’est quelque chose – je ne me suis guère fait battre (c’était une époque révolue où l’éducation passait, comme en Angleterre (souviens toi, « If »), par les châtiments corporels comme ils disaient, les coups, les gifles, les claques les oreilles tirées comme la peau sur la mâchoire) – lors de la colle d’une journée, un dimanche entier sans en avertir les parents, sans reparaître à la maison, les parents affolés (une fugue?) – on (le lycée) les informa je crois, ils vinrent me chercher en auto vers cinq heures, un savon mérité mais blessant – en quatrième il me semble, mais non, cinquième sans doute plus – ce jour-là ma mère avait cuisiné de la pintade (la sélection des souvenirs) et non le rôti de bœuf plutôt dominical (le soir, les pâtes au jus) – cette histoire-là, l’ouverture des casiers des internes en cours de musique mais je n’y participai point – sans doute me suis-je dénoncé pour éviter le blâme à un fils de professeur qui lui y participât – lequel se prénommait comme mon père : au volant de l’auto, je ne suis pas sûr de me souvenir si mon père fumait – je crois bien que c’était la quatre cent quatre grise (mais peut-être la fiat) (je crois qu’il fumait) – quel âge avais-tu ? Soixante six ou sept font treize ans – il pleuvait, la voiture passait devant la pro, ma mère était à l’avant tournée vers moi, était-ce l’hiver ou le printemps ? oui – une certaine honte, mais sans doute aussi une espèce de courage : lorsque j’expliquais la raison de la colle (la retenue, la réclusion, la dénonciation) mon père me demanda si je savais être complètement idiot – je n’ai pas relevé, mais oui, je le savais, ça avait quelque chose de chevaleresque – la noblesse des sentiments ou l’imbécillité prouvée ? les deux, sans doute additionnées de quelque chose comme du regret de ne pas être fils de prof –
(49) Samedi 2 Mai 2020
lendemain de la fête des travailleurs – on ne reviendra jamais (c’est juste un espoir) l’article avec images pendant le week, et demain un autre – ça ne marche pas mieux mais on s’en fout – on vient d’identifier, dans le flot des immondices, le groupe « chargeurs » dans la production et la distribution et la vente de masques : s’exprime donc le mépris des nantis, celui du gouvernement (mais celui-là, il en avait connaissance depuis plus de dix ans) à l’égard des petits, sans-grade, un peu comme au Japon où si on tombe malade, c’est qu’on l’a bien cherché et qu’on en est coupable – c’est joli, je me souviens de Spartacus, et aussi de l’immonde Thiers « qu’on la fusille » disait-il en parlant de la Commune (quarante mille morts pour mettre Paris au pas)
posté ce jour sur l’air nu / rien non plus ce samedi, peut-être – l’ignoble le dispute à l’indigne : en parlant au téléphone avec le CC. (alias DH) il m’informe du discours en costume gris du jésuite imbécile – chamailleries ? – au prompteur – quoi de neuf docteur ? rien -ah si, bompard alexandre informe disposer de centaines de millions de masques en magasin : à votre bon cœur – je peux bien le reposer ici, ça ne mangera pas tellement de pain je suppose – la semaine prochaine, à cette heure-ci, on sera prêts pour le prochain rebond, annoncé, prévu, mais on s’en fout : on ne va pas faire des chamailleries – proprement ahurissant…
nettoyé quelques livres sauvés de l’incendie – le « isidore ducasse comte de lautréamont » de françois caradec (à lire peut-être – add.du 11/05 : c’est lu) (sans majuscule idées gallimard – 1975) les deux tomes folio de La guerre et la Paix (en spécial dédicace à Thierry Beinstingel) et d’autres choses encore – lessive du samedi – fuck off le reste des propos du poste, ou de la presse – les journaux m’arrivent un peu dans le désordre des amis de S. un peu comme ici – en retard d’une semaine – on ne voit pas bien pourquoi ce « ceux qui nous empêchent » aurait quelque raison de cesser – tout et son contraire, plus le contraire de tout et tout à nouveau – deuxième facture postée – le « libres d’obéir » de Johann Chapoutot (édifiant) – le travail, j’aime ça et j’aime y travailler, c’est pourquoi, parfois, ici, il me désole de n’avoir rien à dire – mais ça arrive, je n’ai pas de méthode – un sifflotis, un « piero » suivi d’un sifflotis pour je ne sais pas exactement quoi (on en reparlera sûrement) 8 secondes et méga 12 octets –
(50). Dimanche 3 mai 2020
dans le poste, il y avait le pédégé familial des éditions qui font changer le nom de la rue qui parlait de la « chaîne » du livre (il doit aimer le vélo) et qui, bégayant – il devait être au bureau, on devait entrer dans la pièce sans prévenir, il a su se maîtriser pour ne pas exploser en une colère noire (mais de ce fait, il s’est mis un peu à bégayer) (pas mal même) mais se reprenant il a vanté quand même (on fait de la com ou pas) les trois livres que sa maison sortira en mai – j’ai fermé le poste – il fallait vendre de la soupe – je l’ai rallumé après le café – il a beaucoup réduit ses productions, quel crève-cœur : quand la journaliste a rendu hommage à ses subordonnés il a fait « oui bon (on s’en fout je les paye putain !!!) ça va bien (ils ne font que leur travail) on parle sérieusement ou quoi merde !!! » (je traduis) il y avait là quelque chose d’absolument obscène – j’ai fermé le poste – vélo, on a parlé avec le voisin verbalisé pour avoir pratiqué du vélo à 300 mètres de chez lui – 135 euros – refus de payer, recontrôlé en auto quelques jours plus tard – on a parlé avec les voisins, donné quelque morceau de tarte aux pommes, partagé un quatre quarts aux poires – vélo, marche, privilégiés – tortures et discernements – sans rêve
mis à l’ordre du jour (les mots ont toujours un sens, oui : il s’agit d’un ordre) : les milices sont de retour semble-t-il, type policiers municipaux et autres réservistes de tous poils – ça promet… (qui disait « état policier », déjà ? celui d’urgence sanitaire est prolongé (apparemment sauf si les chambres s’y opposent : on a encore le droit de rêver, mais pour combien de temps?) jusqu’au 27 juillet –