Atelier 18.2. 16
16 consigne : ce lieu qu’on a construit, solidifié, complexifié depuis le début, et si on ouvrait sa face noire, se forcer à ouvrir le négatif, à le retourner sur lui-même
Je est un autre
Autant le dire tout net je m’en fous de ce que tu peux faire, ça ne m’intéresse pas, ça m’est complètement égal, ça ne rime à rien, donc ce n’est pas important de savoir si tu te trouves ici là ailleurs, sur ce pont derrière moi, devant ou à ma droite, c’est égal tu fais ce que tu veux
je ne suis pas sûr de tes ambitions, si tu en as, d’ailleurs, probablement, tu imagines faire surgir quelque chose d’un point de vue différent, quelque chose qui ne serait pas inscrit déjà dans cette réalité que tu contemples, à mes côtés, et d’ailleurs qui parle, est-ce toi ou est-ce moi, debout sur cette passerelle, puis sur ce pont de chemin de fer désaffecté, il paraît qu’y passait, sur cette voie
l’Orient-Express du temps qu’il reliait Londres à Istanbul, vingt deux heures départ Paris Nord, était-ce encore Constantinople ? c’était avant le massacre des Arméniens, ou après, après tout, un génocide ça ne change pas grand-chose pour les survivants, car plus rien n’a d’importance, la première guerre, le deuxième enfin tu vois que ce n’est pas d’hier, mais qu’est-ce que ça peut bien nous foutre après tout, que des friqués passassent là il y a cent ans et plus peut-être, Sofia par Belgrade et Bucarest par Budapest, Venise était un peu trop à la mode du tourisme, c’est venu après et puis ça s’est éteint, il valait mieux aller se faire refaire le visage, les dents les bourrelets ou le nez en Roumanie, sur la mer Noire, je me souviens, tu te souviens, regarde comme le monde est beau, le coucher de soleil, n’oublie pas de compter s’il te plaît – cette conscience que tu peux mettre dans ton travail, c’est à ne pas croire – je ne suis pas sûr de l’imparfait du subjonctif, et je ne suis pas sûr du subjonctif tu sais, tu m’aides ? – il y avait là, au fond de cette perspective, regarde bien comme l’histoire est belle et comme le temps passe, il y avait là les convois qui allaient à Drancy, alors quand on me parle d’un certain docteur, cette ordure-là morte à Meudon (bon débarras) (où est-ce que c’était né, attends je me renseigne à Courbevoie, ignoble saloperie que cet homme) à Meudon comme un de mes oncles enterré sur le flanc de la colline, au loin on voit Paris, quand on me dit qu’il a écrit des livres formidables et magnifiques, et qu’on en prendrait bien quelques graines, allons, oui sans doute ensuite a-t-il commis d’autres textes moins – comment dire ? – bien finis, léchés, écrits ? quand j’entends ça, j’ai vaguement des envies de sourire, probablement d’un seul côté et jaune, comme cette étoile, là, alors qu’on ne me demande pas de lire ce qu’il a bien pu réussir à faire éditer, un éditeur comme je ne sais pas moi par exemple celui de ces livres d’histoire, où commence la calomnie où s’arrête l’indigestion ? tu ne peux pas te retourner, dis-tu, et pourquoi ça ? vas-y donne une bonne raison, pour regarder ces moulins
que la banque a transformés en bureaux, comment ça, il faut que tu comptes ? Là, de nos jours, le petit tramway avec ses sept petites voitures pathétiques passe sur ce coin de ville, zones fortifs octrois qu’est-ce que ça peut bien me faire, oui, des relents d’histoire, oui, c’est là et ça sourd un peu comme un pus mais on ne le voit pas, on ne le voit plus on fait comme si, on attend de voir un peu, la boue finit toujours par sécher sous nos latitudes, as-tu remarqué que altitude et latitude ? comment ça tu t’en fous ? tu te fous des mots à présent ? tu te fous de moi, oui, j’en ai bien l’impression, pour que je te laisse travailler, que je ne t’embarrasse pas avec ces histoires, mais mon petit ce ne sont pas des histoires, il n’y en a qu’une et tu le sais très bien, celle des vainqueurs alors compte, compte et compte encore, gagner sa vie à la perdre, se consacrer à son art et se donner à sa muse, c’est bien, continue, regarde droit devant toi, et ne te retourne pas (oui, la chanson, c’est ça, la chanson) compte là-dessus, pense à autre chose, oublie ces heures et ces heures passées là, oublie cette ville et le manteau vert qu’elle porte ici – c’était ça le titre de ton histoire, là, la ville en manteau vert, je me souviens tout à coup – j’ai regardé un moment dans tes archives mal classées, tu ne sais pas encore que ça se classera d’une autre manière, écoute le bruit de la mer, mange un morceau, regarde les touristes sur ce bateau de plaisance, ils vont jusqu’à l’arsenal, tu te souviens de celui de Venise, ça se côtoie, ça console, ça va aller mieux, après l’hiver
vient le printemps, tu sais ça aussi bien que moi, avance en âge mon ami, avance encore aie confiance et endors-toi, (un s à la fin de aie ou quoi?) j’avance en âge voilà, content ? repose toi, va boire un verre d’eau, laisse s’écouler le temps, repense à ces heures d’octobre, à la première fois où on a entamé un entretien, comment se présenter, se présenter ? non inutile, quatre mots, je travaille pour le parc – il y en a cinq – voilà tout, et j’aimerais bien savoir… quelle curiosité intarissable, et toujours quelque chose à dire, des relances prêtes comme s’il était nécessaire de ne pas cesser de parler, mais c’est nécessaire mon ami, c’est nécessaire pour que les gens s’oublient, il faut que les gens oublient qu’ils parlent et qu’ils disent ce qu’ils ne savent pas se savoir dire, ce qu’ils ne se savent pas vouloir dire, c’est important, c’est même le plus important, le reste ce n’est rien et les refus, les dénégations les « pas le temps » un train à prendre mes enfants m’attendent (ou alors ma mère mon père mon oncle toute la famille peut y passer) une séance ici un rendez-vous là ailleurs avec qui ? mais avec ma meilleure amie, ma femme, ma maîtresse mon maître… non ce n’est pas la peine, laissez, allez-y, la prochaine fois, sûrement, bon spectacle voilà bon voyage bonjour à votre mère et tout ce monde qui passe, ce n’est rien, aucune importance, mais pas une seule fois ta mère, tu vois, ni tes frère et sœurs, tu vois comme c’est bizarre, ta petite famille, oui mais les autres, non, jamais, on ne s’intéresse pas ou on fait semblant ? il y a là le disque qui tourne, dehors le soleil donne, la même couleur aux gens
ils ont leurs pagnes et leurs chapeaux panama juste sur le coin de Rossio,
ce marchand, qui jouxte
celui qui vend ces cerises à l’eau de vie, des étoffes de soie, des décapotables à sellerie de cuir, les gens, cet autre oncle qui travaillait là comme l’indique l’une des dernières études faites sur ce monde-là, sur ce lieu quand on ne faisait qu’y donner la mort afin que la ville mange, se repaisse, s’éternise et continue de croître, grossir, produire et affermir cette place qui est la sienne, la première du monde, eh ben tiens ! pourquoi pas, après tout hein ? n’est-elle pas celle de la lumière ? et la lumière n’est-ce pas la vie ? la vraie, celle de l’amour, des bals du quatorze juillet des têtes au bout des piques et tout ce capharnaüm
lu et aimé ce matin sur tiers livre…
j’aime bien le retrouver, hors presse (en lisant à la suite mes yeux se croisent…) et avec images
du coup j’imite 🙂
mais avec beaucoup moins d’images et sans grand rapport puisque ne vous que des trucs qui ne sont pas tout à fait vrais dans mon imagination