Atelier été 18. 1
On illustre seulement – iconographe était le métier de l’ami photographe – on ne sait pas exactement où se dirige cette expérience. Aller.
- consigne.
se concentrer mentalement sur une idée très simple : je reviens dans un lieu quitté il y a longtemps, mais chacun a un nombre très limité de ces lieux susceptibles de provoquer cette sensation – les lister – puis traiter de ce retour, mais impérativement à la 3ème personne
c’était la ville qui voulait ça, cette ville-là, ces abattoirs-là dans lesquels son oncle avait travaillé du temps où on mangeait ces bêtes-là – aujourd’hui, c’est passé de mode – il vendait du porc en Chine et achetait du bœuf en Argentine –
faut que les gros aient à bouffer faut que les riches puissent se goinfrer, faut que ça saigne / faut que les mandataires aux halles puissent s’en fourrer plein la dalle du beeftek à huit cent balles –
ou alors « côte à l’os pour deux personnes, tu connais ? » disait Léo qui vivait sur cette partie de la ville où à présent se trouve un restaurant d’entrecôte et frites à volonté, à peine trente euros aujourd’hui, une blague – la porte Maillot et la viande, le sang, celui du bœuf qu’on met au vin pour l’éclaircir, le pif, celui qui tache dans ses bouteilles en plastique, rouler dans le caniveau, les morts de la rue, ceux de la Méditerranée – trois cents mille ? quatre cents mille ? quelle importance ? – tandis que les puissants se pavanent, « faites entrer la Russie », les fous aussi – enfin pas si fous : au nord de la ville, justement se tient, dans un autre parc que celui-là, une réunion de marchand d’armes, ils sont des milliers à venir montrer aux autres lequel d’entre eux a la plus grosse, la plus puissante, la plus performante – c’est beau comme à l’antique, à l’ancienne on dit, c’est une merveille, il se nomme des expositions, il y a un des tarmacs de cette ville-là où hier et aujourd’hui, on vend des avions (la guerre, c’est du lourd) : les affaires le sont, on aime négocier ; on a des trucs à vendre ou à acheter – le type, avec sa barbalakon, le bras droit de l’autre cintré et sa bobonne providentielle – ou le gauche je ne sais plus – qui indique « nous savons négocier et connaissons la valeur de l’argent qui nous est donné » ce cynisme, cette fatuité, ce goût pour le pouvoir, la plus grosse, le viol, l’agression : c’est beau une ville la nuit disait l’autre, ouais, c’est beau, c’est propre – aujourd’hui il y a quelques millions d’individus qui survivent, bientôt à son centre, on fera payer l’accès, c’est normal, tout est normal, tout est enfoui – ses réseaux, ses conduits, ses égouts – il y a une grève dans les catacombes, il y en avait une dans un hôpital personne n’en parlait – un peu ici ou là – et voilà que sa résolution fait les grands titres ce matin, c’est à mourir de rire, une ville, une capitale, un endroit ou dormir respirer mourir en paix – il fait beau, une espèce de brouillard noie un peu les immeubles et les fait disparaître sous un tulle magique, la ville est belle, on oublie les ordures, on oublie les déchets, les eaux usées et les matières rejetées, une ville un parc un espace vert des arbres
« gazouillez les pinsons à soulever le jour » – tu te souviens ? il se souvient, oui, il y a belle lurette, dix lustres seulement – ça avait eu très peur, ça avait défilé dans les rues, sur les champs pour honorer et signifier l’amour que ça éprouvait pour ce grand chef de guerre, un général, comprends ça, un vrai un dur un tatoué – on ne sait pas s’il était tatoué et sa bobonne à lui, on l’appelait comment ?
il y avait aussi l’autre, « Liliane, fais les valises on rentre à Paris ! » disait-on qu’il lui disait, le Georges (enfin c’était lui qui le racontait…) – ils vivaient en banlieue nord) ses chapeaux et sa vestiture noire, dans la DS du côté du Petit Clamart (la peur, les armes, la ville…) – il y retournerait, il y vivait, ce n’était pas « sa » ville, n’appartiens jamais à personne disait l’autre avec ses gros bras –
tatoué lui, très probablement, on l’avait entendu, hier, qui parlait d’un autre de sa corporation, lequel avait tué à coups de poing sa compagne (c’était loin, et dans le temps, et dans l’espace, il y avait prescription) que « la rédemption existe » il voulait bien le croire, même si ce chanteur-là avait déclaré (disaient les gazettes) « emmerder ceux qui ne voulaient plus le voir sur scène à chanter, se pavaner pour une défunte infante » ou quelque chose comme ce genre de style – il y a des jours où on devrait s’arrêter, on devrait savoir et reconnaître le moment où il faut mettre un terme à la description à la Gustave, à la Honoré – mais pas à la Marcel, non – l’adoration pour ces écrits, ces lectures, ces histoires – pour les chansons, celle qui « Gracias a la vida »
écrite et chantée par Violeta Parra – une belle chanson, une magnifique chanson – Colette Magny la chante doucement – mais Violeta, il faudrait dire pourquoi, Violeta, à vos jours , vous n’aviez pas cinquante ans, Violeta, vous mîtes fin
On va trouver quelque chose pour récapituler (ça a l’air de se profiler pour quelques dizaines de textes, apparemment si j’ai bien compris chacun son rythme chacun sa croix) – ça part dans n’importe quel sens mais ce sont des souvenirs – la fin des années soixante dix, je devais loger dans le 11 limite 12, il me semble – je ne sais plus exactement (je tente de me souvenir de ce trajet de métro, jamais fait ou alors si pour quelque concert, probablement à la nuit – survient simplement l’affect en montant les marches qui menaient au pont (pourquoi passer par Pantin, alors que c’était plus vers la Villette ? mystère)
2. consigne : à nouveau cette problématique du retour, quel que soit le lieu qui provoque cette intensité de souvenir ou d’émotion, mais on gomme le narrateur, on ne retient que l’image fixe devant soi, si possible sous forme d’un paragraphe monobloc
(1970 champ)
(1979 contrechamp)
ce qui revient c’est la boue d’abord, la pluie, sûrement, les allées pavées et la longue perspective qui vient du métro, ce doit être nord sud un axe, c’est au nord complet, il est peut-être deux heures de l’après midi, c’est l’automne et il pleut un peu, les pavés la boue, ça ne sent plus mauvais, au fond de l’image,il y a un escalier en volute qui va à une passerelle qui traverse le canal, un plan incliné sur la gauche est fermé, condamné perdu inutile et superflu, l’eau est noire lente perdue ça n’a pas de sens, ça s’écoule les gouttes flic flac sur l’eau rien ne se passe jamais comme on voudrait, ici étaient les marchés, aux bœufs aux moutons aux porcs, les bouveries les bergeries, sur ce côté-ci vivaient encore les bêtes, après le pont, après le canal, leur styx, gravissant le plan incliné en troupeaux, en meutes en files indiennes ça se bouscule, ça veut passer, ça crie ça hurle ça gueule et puis là-bas elles étaient mises à mort (il y avait là des fleuves de sang, des flux d’os et de chairs, des viscères et des peaux, nourrir cette ville-là : il n’y a plus rien), le pont sur le canal domine un champ de boue, ce ne sont plus des travaux, au fond sur la gauche – là se trouvait le sanatorium : bien sûr, il y a un plan dû à l’architecte Janvier – le saint qu’on adore à Naples : son sang se liquéfie deux fois l’an, si les souvenirs sont bons – le premier mois de l’année tout autant – le type était fort il se prénommait Louis, et avait ainsi dévolu, sur cette rive sur la gauche, le gris du ciel, les voies de chemin de fer hors d’usage, le bord de cette eau noire, la pluie la terre qui colle aux bottes des terrains vides à construire – la ville allait grandir – et puis plus rien, non, un scandale et maintenant au fond, au loin, un préfabriqué qui abrite la bibliothèque de l’institut des hautes études cinématographiques, deux étages algéco, escaliers extérieurs, vingt mètres sur dix peut-être, électricité entrepôt tables chaises chauffage silence calme – institut remplacé dans sept ans par la fondation européenne des métiers de l’image et du son – on n’en sait rien on s’en fout – on dit la vérité ou on est sincère ? – inconnue à cette adresse aujourd’hui, il y a un cabaret, il y a quarante ans c’était la boue, la pluie, la recherche sur le téléphone blanc en Italie à la fin des années quarante, juste après guère – ou alors c’était autre chose, l’image était là, elle donnait à voir, à l’arrêt sur la passerelle, rien ne bouge plus, il n’y a que peu d’âmes qui vivent, il pleut c’est Paris
3. consigne : toujours en prenant ce point spatial d’ancrage d’un narrateur qui revient (1ère proposition), et le passage à la description visuelle (2ème description), et si on regardait ce qu’il y a dans le dos du narrateur ? derrière, ou sur les côtés ? toujours dans l’idée de solidifier le territoire qui peu à peu devient fiction
Il suffit de se retourner – 79 89, un détour de dix ans : au loin sur la passerelle, au loin c’est la ville, la vraie, ici c’est un promontoire, un lieu où personne ne va, peu, même pas, d’ailleurs puisque c’est l’hiver 87, on compte les entrants les sortants on les compte, on appuie sur la petite manette du compteur, les trois arbres sont au bord du rond point, une darse s’ouvre à gauche, les ateliers de quelque chose, sûrement, les lieux sont dans les rouges, les gris, ici on compte, il y a aussi le pont de chemin de fer qu’on peut emprunter aussi – on ne fait que compter, on ne quitte pas des yeux la sortie, l’entrée, là où on compte, les gens qui passent, les cyclistes, les coureurs à pied les vieux les jeunes les chiens (non, on ne compte ni les chiens ni les rats : ceux-ci nagent parfois, croisent un pousseur, un nombre indéterminé d’images, et des hommes et des femmes, et ce chanteur, Jacques Higelin qui domine le lieu
ou qui s’amuse au dragon, cette image-là, dans le temps, la ballade pour sa fille et la mienne qui s’endort sur mon épaule à cette jolie évocation, ensuite on sera à l’abri mais pour le moment s’il pleut on cesse de compter mais c’est la seule éventualité – le calendrier est fixé ailleurs – on compte, on regarde on s’intéresse on gagne sa vie on s’échine à rester sur ses jambes on ne sait pas encore qu’on sera, bientôt dans quelques années, deux trois peut-être, père – le canal, passent les péniches, les souvenirs de Simenon, les images de Maigret, Jean Richard ce type qui avait un cirque, amuseur burlesque drôle des années de jeunesse, quelque chose, rien de toute cette histoire n’est connu, la venue pour les recherches de cinéma, oui, mais tout à changé, il n’y a plus de boue – c’est de l’herbe, ou des pavés, du minéral qui dure, solide, et puis ces bizarres constructions, on est au dessus de cette eau noire – pour travailler, une musique dure vingt six minutes, répétitive, c’est Moondog lamentation d’oiseau, étendu – il y avait Geneviève Brisac dans le poste, on a éteint, on a écouté ensuite – on ne relit pas, on entend cette musique continue, une espèce de boléro, vingt minutes : on se retourne, là-bas à l’est la banque a réinvesti dans les anciens moulins silos à blé farine de pain, cernée qu’est la vie, renouveau, reconstruire, haïr et détester ces investissements, cette façon de se dire au monde alors qu’ici même meurent les noirs de peau, ici même s’échinent les esclaves comme soi, c’est le matin qu’il faut les voir débarquer, emmitouflés et hagards, descendre des bus de nuit, nettoyer pour les autres, vider leurs poubelles, aspirer leurs ordures, un produit de chiotte pour que ça sente bon le travail, le bureau, la banque l’assurance, ici, coin de ville désespérant, compter, attendre, celui qui passe, cette autre, le chien, parfois la pêche, vélos plus un, puis encore et encore, huit heures de suite deux pauses d’un quart d’heure, pisser ? Non, trop loin, ou alors dans un coin, là-bas derrière, contre le mur – travailler, jusqu’à la nuit, noter, tous les quarts d’heure le compte qui s’est inscrit dans la petite fenêtre – c’était quand, déjà ?
4. consigne : et si on était projeté, mais toujours en regardant ce même point, loin vers l’arrière, ou n’importe quelle autre direction, et qu’on verrait de bien plus loin tous ces éléments restés dans le souvenir (et uniquement par ce qu’on en retrouve mentalement)
Il faut se méfier de cette saloperie de consigne – toujours bien sûr – j’ai regardé derrière moi, le pont de chemin de fer ; devant moi l’autre passerelle, les moulins transformés en bureaux, les pochettes des types leurs sacs qu’ils portent en travers de leur vestes, leurs chaussures de faiseur et leurs chemises repassées – il n’était pas dix heures – attends je relis la consigne – non pas maintenant, je repose sur la platine le disque, la version longue de la lamentation de l’oiseau avec la clarinette basse comme dans cette chanson d’Antonio Z. – à ma droite le truc où on donnait les films d’Agnès Varda
, un jour et un autre ceux du feuilleton de Rainer Fassbinder
toute une nuit – la place d’Alexandre à Berlin, à ma droite les miroirs tournés vers l’intérieur, ici se reposent parfois des malheureux, on passe, à l’été des jeunesses viennent bronzer, en me tournant à main gauche, juste là, il y avait des bals tous les dimanches,les jeunes gens venaient rire et boire de la bière, les vieux tout autant d’ailleurs, il y avait aussi beaucoup d’autres personnages qui s’arrêtaient là, non la musique on s’en fout pas mal – ils ne parlent pas comme ça, ils sont polis et les vieux ont peur – un petit peu – un peu des jeunes, de ceux qui ont le front de croire que le monde leur appartient, et qu’ils en feront ce qu’ils en voudront et cette peur est tellement déplacée, et c’est ce déplacement qui la leur rend si audible alors ils l’entendent et l’écoutent, elles et eux, on s’en fout, il y avait là cette dame, si charmante, passés les quatre vingts, employée de bureau de soixante à deux mille cinq, sa robe cette blouse fond rayé fleurie un peu comme un croisillon sur lequel grimperaient les plantes, des fleurs dans les roses, fond bleu, sans manche, assise là sur cette espèce de banc merdique – un banc sans dossier qu’est-ce que c’est un tabouret augmenté pour faire beau – il y avait cette dame – j’ai entendu avant hier (vu plutôt, quelque chose sur ce qu’on aime à intituler « réseau social » quelque chose d’abject qui colporte n’importe quelle outrance n’importe quel outrage – les robots veillent et ne voient rien malgré tout) j’ai entendu dire que cet architecte designer (prononce dizeineur s’il te plaît) disait ne posséder ni téléphone portable ni ordinateur – formidablement hors du monde – ignoblement intestin, son aura déjà mauve et passée – j’avais entendu dire aussi qu’il possédait une maison à Burano – décorée dans le plus pur style zen, un tapis un lit une lampe – j’aime assez ces sornettes et pendant ce temps coule l’eau sous les pieds, il a plu tout à l’heure, on attend un coup de semonce lors de la réunion dans un hôtel de luxe de Singapour, la fin des essais nucléaires de Mururoa, tu te souviens – cette dame qui me parlait, et ses yeux se mouillaient – quelque chose qui remonte à la fin des années quatre vingt dix, le temps passe, les lieux se chargent d’émotion, les visiteurs, les usagers, les gens qui jouent au ballon, ceux qui prient, ceux qui élèvent leurs enfants, cette histoire de communauté à vomir, attendre un peu que le flot des rancoeurs se dissipe, que la haine retombe, que la joie demeure encore en notre âme – cette dame était un peu brune, je me souviens m’être dit qu’elle devait (comme ma grand-mère) se teindre les cheveux – regarder droit devant soi, au fond de la perspective, non ne bouge pas, reste là, ne bouge pas attends seulement s’il te plaît, ne la fixe pas – c’était cette poésie dite par Serge Reggiani, notre amour reste là têtu comme une bourrique non, ne t’en vas pas… – assise sur ce banc malcommode, oh moi vous savez ce que j’aime lire… ce que j’aime ça… Danielle Steel… une petite goutte d’eau s’est mise à couler sur le côté de son visage, il y avait peut-être un peu de vent, la vieillesse, le sourire, elle a regardé ailleurs, des gens passaient, un enfant sur un petit vélo bleu, sa mère son père qui le suivait, le sourire du môme ah oui, disait-elle, oui, lire j’aime tant ça…
5. consigne : Où comment l’art des détails de tout ce qu’on ne remarque pas peut conférer au lieu de départ sa poétique et sa présence…
On doit à la vérité de dire que le lieu de cette ville n’est pas non plus tellement extraordinaire sauf qu’il s’agit d’un parc – une ville sans parc ne serait pas une ville, elle ne le serait pas non plus sans auto – de nos jours, on y roule en vélo, n’importe quel moyen de transport, bi-roues ou unique, ou trottinette, n’importe quoi, ils sont assez emportés par ces choses qu’ils font agir eux-mêmes, ce sont des espèces de machines simplifiées – de nos jours la connerie ambiante fait qu’elles sont toutes connectées, comme nous-mêmes d’ailleurs – alors ça sue, ça court ça crie ça joue à l’été mais hiver comme automne, dès que le nuit tombe le calme, assez tôt, revient avec elle enfin – encore quelques uns qui s’en vont, sur leur vélos rejoindre les nouveaux quartiers de Pantin, si c’est l’hiver, il gèle on ne les voit plus, il y a toujours quelques volatiles pigeons ou autres qui passent, rient crient se posent,
sur la passerelle tout un attirail de filins, de tubes, d’acier peints en noir, chromés, ajourés des lumières comme s’il fallait qu’il en pleuve, à la nuit, certaines seulement certaines seulement – les tortillés du cerveau avaient même installé sur le haut des escaliers (il faudrait regarder si l’objet qui devait avoir coûté dans les vingt ou trente mille euros quand même, mais on est riche, on a de l’ambition, on voit loin, ici – il n’avait jamais fonctionné) un parallélépipède noir qui couvrait l’entièreté de l’accès par l’escalier, afin de compter les pékins passant dessous – on passerait sa vie à chercher des choses sur les images – on attend la nuit et les petites lumières bleues finiront par s’allumer, et le temps passera, la nuit viendra, on n’entendra plus trop de cris de pleurs ou de rires, les vieux marchent difficilement, les escaliers, non merci, les mômes se font disputer, quelque femme enceinte se tient les reins, les petites lumières bleues ne s’allument qu’à la nuit mais le reste du temps elles sont là, sans prétention, sans trop de montre ou de presse, elles sont là dans leurs petites coquilles rondes et protégées par quelques aciers noirs eux-aussi, minéral noir et rouge, le chrome, l’aspect le paraître, les filins d’acier, les courbes et les angles aigus, quelque chose de piquant et d’affreusement efficace, la chose a trente ans passés et tente par tous les moyens à sa disposition de faire oublier que là, ici ou par là – c’est cette même illusion ressentie en se promenant dans cette petite ville – toute pareille à n’importe quelle autre peut-être – à la suite de cette émission de radio, le matin même, le nom en avait été cité, Jedwabne et la curiosité l’emportant, il a fallu s’y rendre de la même manière que celle qui prend pour retrouver les traces de ces petites lampes bleues qui, à la nuit, marquent la passerelle et le toit en forme de vague qui fonde la galerie qui relie les deux portes, une route droite, deux escaliers qui mènent à une passerelle, les trois ou quatre marches pour se rendre sur le petit promontoire duquel on aperçoit parfaitement les trois arbres et l’entrée du parc par le canal, où on se tenait, gagner sa vie pour ne pas la perdre, cette même illusion, cette petite lumière bleue, cette façon de vouloir oublier et de mettre entre soi et le monde quelque chose qui fera qu’on ne le haïra plus – il fait doux, il fait humide, cinq heures du soir
consigne 6 : une transition : se saisir des noms propres associés au lieu initial, ce sont les noms de rues, mais aussi de lieux sociaux (écoles, piscine ou espaces culturels), voire de personnes (médecin, instituteurs), et associer une image texte à ces noms propres, se déformant l’un par l’autre
Intermède
Ce territoire dispose de cinquante cinq hectares, c’est un parc ou un espace vert, pelouses et arbres un certain nombre de ce qu’ils nomment jardins, des lieux couverts d’asphalte d’autres de pavés
qui interdisent aux patins de rouler et ne facilitent pas la marche des humains, on a disposé là-dessus ce qu’ils appellent équipements, par exemple des salles de concert comme ici une espèce de tente appuyée
attachée agrégée à des potences rouges, il y a là beaucoup de rouge qui évidemment complémente (comme ailleurs) le vert, on a posé au dessus du canal dit de l’Ourcq (un affluent de la Marne il semble) deux ponts dits passerelles uniquement accessibles à pied (aux humains – pour les volatiles, rien de spécial) (et pour le reste…) mais comme le pékin (dit-on la pékine?) aime le vélo, on a posé le long des escaliers des espèces de petites rigoles (sur cette passerelle-ci) (l’autre est en plan incliné d’un côté, de l’autre des escaliers fixes, deux, à évolution carrée ou ronde, et donc pour le passage des vélos, c’est un petit peu niet) rigoles où le (ou la) fondu du biclou peut poser les roues de son engin, sa monture si tu veux, et pousser (s’il monte
– et s’il descend
) retenir pour dépasser l’obstacle (un détail du même ordre que les lampes bleues qui marquent et l’axe du parc et la vague qui protège la galerie – voilà). Pour qualifier cette surface d’un cartésianisme peut-être étroit, l’architecte (un jeune type a gagné le concours lancé peut-être bien en 83 par tonton, ils étaient un nombre incalculable, plusieurs centaines dit-on,
et pof, un jour ce fut lui) (l’image est plus tardive) il a opté pour une trame orthonormée sur toute la surface du parc, de l’espace (la surface de l’espace) laquelle voit ses divers croisements d’abscisses et d’ordonnées marquées à des distances parfaitement régulières de sortes de bâtiment (ils sont intégrés dans des bases carrées, bétonnées et cimentées de – je suppose – une vingtaine de mètres de côté) évidemment tous rouges comme le sang des bêtes, très probablement, intitulées (par un sens du deuxième degré qu’affectionne sa corporation) (mais aussi le public – ou les – au(x)quel(s) elles sont destinées) ( il ne réfuterait certainement pas le premier, cependant) (degré je veux dire) intitulées folies donc comme celle où Marie-Antoinette dans le parc du château de Versailles etc. C’est aussi, et très certainement, que ce lieu est prédestiné à une certaine élite de la nation socialiste d’alors – ou alors aimée et désirée par crâne d’oeuf lors du scandale (il eut lieu sous son règne – la gabegie financière eut lieu alors que le bougre était ministre des finances – son bureau du Louvre, tu te souviens
avec le film de Depardon), cette élite donc plus tard intitulée caviar pour bien montrer, représenter, signifier une appartenance à une certaine disposition financière (sinon classe) dont l’État veut la croire capable : les divers équipements qui stationnent là en effet ne sont guère accessibles aux pauvres, aux gueux gueuses, le parc, ses espaces, ses EPIC (établissements publics à caractère industriel et commercial) (tu largues le « caractère » si tu veux bien), son air, son être même, lui, oui, et c’est probablement ce qui fait de cet espace un havre
7. consigne: là tout auprès mais pas besoin que ça ait été détruit, juste qu’on sait que c’est là tout auprès, mais qu’on a totalement perdu le chemin pour y retourner
Il y a là le pêcheur, un genre de vieux type, casquette peut-être bien clopo sûrement, juste sous la passerelle, cette saloperie de boulot, travailler, peiner, enquêter, le type est là, en dessous, et il attend, un tabouret qui sert de nasse, ou l’inverse,
peu de gens passent, gris des nuages et du ciel, au loin il y a le pont du chemin de fer
plus loin encore qui s’enfonce vers la ville elle-même, le bassin et pour communiquer avec le canal ce pont levant
ses quelques roues ses filins -– une autre passerelle fixe
tourné vers la ville, à main gauche la rue monte vers la place des fêtes (on y danse, on y chante on y boit au quatorze juillet, le truc standard) sur la gauche ce café où se tournait sûrement les portes de la nuit (sans majuscules, nulle part) et le clochard qui passait là, cette chanson de Jean-Roger Caussimon (« monsieur William, vous manquez de tenue »)
ce type qui lui ressemblait, c’était après la guerre, la Varda qu’on a croisée déjà faisait des photos de Gérard Philipe à Avignon, son prince de Hombourg, le théâtre populaire, c’est ça populaire, les faubourgs et la vie dure chèrement payée, je ne retrouve plus son nom mais il y avait sa photo dans une exposition au siège du parti communiste (il n’y a plus de parti, il n’y a plus de communisme, tout est loué, tout est à vendre ou à louer, ta voiture ton appart si tu t’en vas ton chien si tu peux, mais oui et les traces que tu laisses ici ou là, tout est à vendre) ah son nom s’est envolé mais le populaire du clochard qui vit sous les ponts, « c’était p’têt’ le destin qui marchait dans les rues » tous ces ponts et sous cette passerelle ce pêcheur, revêche probablement, à la retraite (c’est bien, ça, la retraite, tu cotises toute ta vie et il y a des jeunes gens pour qui tout est à vendre qui se permettent d’indiquer que ça coûte un pognon de dingue : ça aime à s’encanailler, parler le langage qu’ils vont comprendre et elles aussi, par la même occasion) il attend que ça morde, à sa gauche à cent mètres de là, les trois arbres dans le vent doux, c’est octobre mais il ne pleut pas, il attend si c’est cinq heures du soir c’est le bout du monde, puis il y a, comment cela se passe-t-il on ne sait, ce moment où il a commencé à parler et à raconter son histoire cette péniche qui était amarrée là, ici même à l’endroit où je vous parle, c’était à peu près la même époque mais je vous parle de ça, moi, j’étais minot, si j’avais dix ans c’est le bout du monde, et le commissaire de police est arrivé il y avait là quatre ou cinq cognes en pèlerine je m’en souviens comme si c’était hier voyez ils avaient flanqué leurs vélos contre le mur, il y avait un mur là, une bâtisse je ne sais pas à quoi elle devait servir, c’était sept heures du matin, ils ont sorti le cadavre il était coincé entre le quai et la péniche (il faudrait lui trouver un nom, quelque chose comme l’Espérance, ou l’Atalante, peut-être bien) on ne savait pas qui c’était bien sûr que non, et ils l’avaient posé face contre terre, là le type était là et je me souviens que ce qui m’avait frappé c’est qu’il n’avait qu’une seule chaussure, il était là et puis ils l’ont retourné personne ne faisait attention à moi quand le commissaire est arrivé et ça grouillait sur lui, des centaines d’écrevisses et je vous mens pas mais un type est arrivé avec un seau, il les a toutes comment vous diriez est-ce qu’il les a pêchées ?… enfin j’en sais rien mais cette histoire-là (c’est à ce moment qu’il faudrait demander ce que ce type faisait là, c’est à ce moment où il faut savoir se taire, et regarder au droit de soi ce qui s’appelle le rond-point des canaux, celui de Saint-Denis qui va à la basilique, s’il fait beau on en discerne le toit dans les verts, on regarde le bouchon, le type rallume son clope tire une bouffée) je vous parle de ça c’était juste après-guerre on venait là à trois quatre potes pour embaucher on avait quoi, dix ans ? j’en sais rien mais je suis de trente-six alors vous n’avez qu’à voir
8. consigne : et si on prenait le même lieu, mais dans des conditions météos complètement différentes : par exemple, il pleut…
toujours cette tentation de faire en sorte que ce soit vivant et beau mais ça ne marche pas, peut-être pas, qu’est-ce qui a tellement changé sinon qu’on a pris trente ans tout comme le reste du truc, les couleurs sont passées, on a arrêté de faire comme si vraiment non, ici n’est pas un endroit comme les autres, non, efficacité, retour sur investissement non, on a fait comme si, plus tard, pendant le week-end sûrement trouveront place les chroniques, le mandala, le royal de luxe et autres joyeusetés gratuites, premiers arrivés premiers servis, tu sais comment c’est ? c’est comme ça (la la la la la disait Catherine Ringer qu’on a vue alors qu’elle n’avait rien à faire là), sur la passerelle un soir (mais il y avait du Ricardo B. là-dessous) des batteurs, ça cognait dur comme du fer ou de l’acier, Vulcain sa forge et ses feux, c’était de l’artifice mais c’était là et tout le monde regardait ça, ébahi parce que c’était éblouissant (c’est fait pour ça), et le son et l’image, le canal demeurait impassible, les rives courraient toujours droites ou presque, il y avait des lumières elles aussi glacées, on regardait – je n’en étais pas pourtant – c’était en quelle année déjà, puis il y eut d’autres et d’autres actions mais en allant, on avait perdu la générosité et l’acte gratuit on l’avait remplacé par une billetterie tout ce qu’il y a de comptable, est-ce bien cette histoire-là qu’on a décidé de conter, on fait ce qu’on peut ou on improvise, on regarde le soleil droit dans les yeux, et la peau brunit et le regard se voile, du monde sur le parquet de bal (cette horreur) ?, et aussi toute la nuit électrique (cet ignoble souvenir) mais le temps passe, tu sais bien, les gens vieillissent changent désertent sont promus évoluent montent s’en vont descendent vont viennent la retraite des uns les amis les autres s’en vont ou émigrent, la couleur de la peau, la couleur de la voix, les gens il faudrait ne les connaître que disponibles (il y a beau temps que Léo s’en est allé un quatorze juillet, quel bras d’honneur – on se souvient de son île, de son chimpanzé – c’était une fille – Pépée – sa (belle-) fille qui écrivit un livre sur ce père-là) (comment voulez-vous qu’on oublie ?)
Richard disait-il, monsieur Richard le dernier pour la route ! ça n’a rien à voir avancer en âge laisser de côté les images des albums (Blood sweat and tears la marque existe toujours – Winston « no sport » Churchill y ajoutait le labeur, mais c’était un autre temps) ce qui a changé, ce qui n’est plus pareil c’est qu’aussi dans cet autre établissement on vendait un ticket valable un mois – ça a existé et ça changeait tout – à présent les lieux gratuits l’un après l’autre ferme, on fait place au marché, TINA quand tu nous tiens, le temps passe voilà tout, il y a dans la mémoire pourtant quelque chose qui reste, ordinaire une espèce d’existence – c’était un autre temps, un autre travail, d’autres volontés – il y avait Brel qui disait « c’est pas ma faute à moi les carreaux de l’usine moi j’irai les casser » ça n’a rien à voir mais ce sont des chansons et les chansons sont importantes, celle où on entendait « il pleut sur Nantes donne moi la main » ce ne sont que des mots simples peut-être, en tout cas ils sont là, on ne les oublie pas comme on n’oubliera jamais le sable épandu dans l’eau triste du canal, un premier mai, ce même premier mai où des ordures (celles qui sont à l’oeuvre désormais en Italie, en Turquie, l’abjecte aube dorée de Grèce, en Hongrie, en Pologne, au Danemark, un peu partout par ici – c’est de la peur, de la honte, comme à l’époque de ce sang et de ces larmes et c’est de la lutte aussi) jetèrent à l’eau Brahim Bouarram
cette même haine qui agissait en octobre soixante et un, un dix sept, un passé qui ne passe pas, comme ce huit février soixante deux, tout autant, cette même saloperie qui unissait les Reagan et autres MacCarthy dans la fin des années quarante, dans la détestation de leurs semblables, on n’en finira pas il pleut il fait gris le ciel est bleu un coin de vide, un détour en ville, la musique cesse le ciel est clair c’est l’été
9. consigne : fermer les yeux, et voyager dans tous les sons et bruits, en se laissant flotter temporellement et spatialement, qu’on peut associer au lieu point de départ
On se postera sur le promontoire – six marches y conduisent
en fait elles sont neuf) – l’espace ici est ouvert et l’entrée y est libre sept sept vingt quatre vingt quatre – quelque chose de la modernité, intitulée merdonité par je ne sais plus qui – Michel Leiris il semble
– et on attendra. Dispositif disponible : les deux oreilles : au loin, les sirènes toujours présentes, quelle que soit l’heure (ici il s’agit d’un accompagnement de Gérard Manset solitudes quelques chose six minutes trente quatre – on complétera à mesure – est-ce ainsi que les hommes meurent, six trente cinq – attend que le temps te vide neuf minutes cinquante neuf : fin) en journée, les cris des enfants toujours, parfois la cloche du manège à proximité (il se peut que parfois soit diffusée une chanson qu’on aime, du genre Gall/Berger
, Balavoine
ou autre – c’est tombé sur Diane Dufresne
) on ne sera pas dérangé sinon par des organismes destinés à la sécurité (il y a quelques années, demande avait été formulée aux passants de répondre à un questionnaire sur l’éventualité d’une mise en place d’une vidéo-surveillance – une bonne centaine de caméras qui ne servent à rien (sinon au bonheur bien éphémère et vénal du fournisseur) auraient été installées, aucune utilité non, mais dissuasion certes oui oh là, oui – on n’a jamais connu les résultats: du côté de l’enquêteur, au pif au doigt mouillé à l’instinct huit avis négatifs sur dix) : des humains la peau souvent foncée le regard placé derrière ces lunettes noires d’aviateur qu’affectionnait l’un des derniers plus ignobles mais hauts magistrats de la République (le présent est du même acabit, qu’on ne s’y trompe (!) pas), toujours affables, ils (rarement femme à ces postes) ne vous demanderont rien, simplement ils fixeront votre agissement quelques minutes, en feront part à leur supérieur, votre station sera connue – on ne vous surveille pas, non. Il leur arrive suivant certaines dispositions de leur convention collective de travailler douze heures d’affilée, six jours de suite, puis de se trouver de repos vingt quatre heures, puis de reprendre à la même fréquence (à un moment, on s’arrête quand même plus d’une quinzaine) c’est payé le smic mais à ce rythme-là, on n’a pas tant de temps que ça pour dépenser ses émoluments, parfois un oiseau vole et va se poser
, on crie, on s’invective, vers les huit heures du soir, si rien ne se passe de ce côté-ci, le calme s’installe, si une péniche glisse
le bruit de son moteur, assourdi, l’hélice brasse l’eau plutôt verte, le bouillon de l’écume, le virage vers l’autre canal – passent un vélo, puis deux – un coureur puis deux
des chiens jappent, la nuit commence à venir, attendre là, assis, écouter : pas de sifflet, si dimanche on aura entendu les divers battements des troupes de tambours couleurs noires blanches rouges le sifflet du commandement, la pulsation loin, au-delà des pelouses, ce n’est pas qu’ils se cachent, le matin tôt le sifflet aussi des permanents de la gymnastique, les musiques asiates on pose son éventail sur son bras, on l’ouvre en claquant, on se tourne, des hommes des femmes quel âge a-t-on quelle importance ?
On avance, on est là et on passe le calme et la lointaine rumeur de la ville, sur le quais les autos vers huit heures, le matin s’il pleut, il ne pleut pas, c’est l’été, quelque musicien dans le jardin dit des bambous soufflera dans son saxophone, percevoir cette musique, quelque part sur la droite, il y avait là (mais c’est parti, on s’en est séparé ça ne servait à rien, ça ne marchait jamais – ça marchait quand même – mais c’était d’une poésie telle dans le soir, quelque chose de la magie du lieu qui s’en est allé encore aussi) un jardin dit des brouillards où des vagues de vapeur étaient épandues dans la joie des rires des enfants – et des autres – et cette eau dans cette état rare ce bruit ces couleurs dans la lumière qui s’irisent – ça ne marchait pas – mais ça marchait quand même… – il fait beau ce matin quelqu’un a le souffle rauque, ses deux mains posées sur les genoux, les bras tendus courbé reprend son souffle un chien jappe le long du quai
encore cette sirène encore les grondements éloignés de la ville ici c’est la porte là-bas sonne une cloche au fond du ciel passe un avion mais sans qu’on en perçoive l’écho soleil ou nuages lumières ou gris clair du matin eau qui ne coule pas bruits des pas passants par là rien d’autre
10 : consigne : explorer la relation de l’écriture aux autres sens que la vue et l’ouïe : l’olfactif, le toucher, le goût, en 1 texte comme en 3…
Reprenons : dispositif restreint à nouveau, mais déjà utilisé bien des fois peu importe (ici, dixième – à la vérité la consigne est passée à l’as), narines pores langues papilles palais fosses ailes sinus, il fait doux sur le parc, il y a dans cet air là, parfois vicié (le moteur de la péniche qui s’échine à vouloir la faire virer pour s’engager dans l’écluse et cette fumée noire qui pue) – on avait tendance, à l’évocation des bêtes qui passaient là – cohortes foules rugissements quelque chose comme des remugles – tendance à imaginer que dans les restes de cette construction due à ce Baltard, si connu, dans les combles de cette construction d’au moins une centaine de mètres de long, haute de vingt et large d’une trentaine quelque chose peut-être les âmes de ces bestioles avaient pour objet de se fondre dans ces interstices et de sortir à la nuit, des goules ou des sphynx ou des loups-garous ou des striges, peut-êtres mais réincarnations d’une autre superstition, et puis c’était passé quand on sut qu’on ne les tuait – un coup de marteau en plein crâne – ce n’est pas un marteau, mais l’effet du coup y ressemble bien – que sur l’autre rive – ça se nomme un merlin – on s’égare, justement, les voies de chemin de fer, au fond du son passe le train à grande vitesse qui va au Luxembourg ou ailleurs, loin
là-bas vers l’est – ce n’est pas ici que se tient ce bruit, n’importe – les barbapapas ont cette odeur sirupeuse, les beignets, les chichis, les pommes d’amour, c’est venu après que l’institution eut proposé à ses publics une exposition sur la fête foraine (payante : on officia avec une caméra, mais où se trouvent aujourd’hui ces images ? celles de l’avocat qui disait « lorsque ma deuxième fille a trouvé du travail et s’est mariée, je vous assure (il laisse tomber ses bras) c’est comme si j’avais posé mes valises… ! »), et depuis, comme une espèce de champignon ou de maladie tenace ces manèges et ces sucreries de la foire du Trône ont trouvé là un havre, on entend cette scie musicale tandis que tourne tourne tourne et qu’on pense à Regain (erreur c’est Liliom (Fritz Lang, 1934 – tant pis – Charles Boyer et Madeleine Ozeray)
(Françoise Hardy ou quelque chose d’aussi mièvre peut-être
) ou à L’arnaque, la nuit tombera les arbres laisseront échapper ce magnifique oxygène puis changeront du tout au tout, il y aura si la petite machine passe, cette adorable senteur de l’herbe fraîchement coupée, il y aura sur le visage le souffle d’un vent tranquille venant d’un sud inconnu – ici c’est l’est, le vrai – de quoi te souvient-il à présent ? cette chanson du film Bagdad café dont s’était emparée la trapéziste qui, sur le bord du canal, gratuitement pour le monde se balançait, tandis que sur son fil (quel dommage, les noms de ces gens sont oubliés) tendu entre le haut du sous-marin et la prairie (ce ne pourrait être une pelouse tu comprends bien – il faut comprendre ces mots-là, la « prairie du cercle » et celle « du triangle » ces appellations qui sont d’un registre champêtre pour signifier les bêtes qui paissent) les gens sont là, ils ont apporté leur manger, pâtes à la mayonnaise comme au Brésil, sushis et bières tsintao comme à Kyoto, boulgour afghan ou couscous berbère, le monde entier sur les prairies – on ne va pas manger du pain et du fromage, ici, tu comprends bien – s’asseoir, dans le soir, devant un film, la rosée du soir qui tombe et humidifie ta chemise, ce vieillard qui portait un short et un marcel sans manche – un marcel n’a pas de manche, un polo en a – de jolis prénoms pour des vêtements de coton blanc le plus souvent – un ancien architecte qui installait son pliant au bas de la cabine de projection et buvait de la bière mangeait des gâteaux d’apéritif, il venait à pied tous les soirs que le cinéma faisait, non merci pour les gâteaux, et de la bière ? non plus non, c’est gentil, tous les soirs que le cinéma faisait il venait à pied il vivait boulevard de la Madeleine Malesherbes ou quelque chose comme ça, à pied ? mais ça fait un petit bout – croyez-vous, c’est tout droit… les règles de l’art, les couples qui s’enlacent à la nuit, dans les taillis, on ne les remarque ni ne les envie, on s’en fout d’ailleurs complètement chacun est libre il fait doux ce petit vent qui vient d’au delà des frontières et qui n’en connaît pas, en marchant encore et s’il y a concert, devant l’autre porte là-bas ce sont les merguez et les poivrons qu’on fait cuire, ces volutes ces fumées ces odeurs magiques ou pestilentielles qui sait ?, goûter un peu de cette liberté-là passer avancer marcher le temps de la nuit le temps de la journée ouverture pavés et le bruit de la fontaine
lu et aimé… les photos ajoutent
moi en vingt minutes dont quinze à écrire dans file d’attente : bien plus bref et puis ennuyée parce qu’en recopiant une faute de frappe et en demandant correction ie me suis plantée… et du coup c’est affreux… n’ose pas demander nouvelle correction, le ferai en envoyant le 2
de toute façon toute petite chose à côté de votre richesse et lyrisme
J’admire. Et aussi les photos d’artistes qu’on aime. C’est bien parti.