Pendant le weekend

Premier Onze Quinze

 

Je ne sais pas bien quand commence le week-end, je ne sais pas non plus quand ça va finir, mais n’importe, c’est entre minuit dix et quatre heures, ce samedi. Ce jour-là, ça s’est mis sur son trente et un. La nuit, dehors, les bruits surtout le moteur du camion, l’échelle, les nuages faits de suie, les hommes casqués d’argent, un peu comme quand on est enfant. Un grand voile noir a tout recouvert. Ce n’est pas qu’il s’y trouve un deuil, je n’écrirai pas alors, je le sais, ce n’est pas que ce soit une telle perte qu’on ne s’en relève, on s’en relève – d’autant qu’on n’est même pas tombé (c’est plus simple aussi donc) – on s’en relèvera, mais vers quatre heures, on monte l’escalier dans le noir, toute l’eau qui dégouline de suie de chacune des marches (je les ai comptées, une fois, ascenseur en panne, on aura bien un lien quelque part), et comme c’est un journal, c’est aussi le genre de truc qui se met d’un coup à s’envoler en fumée. On pourrait trouver là quelque complaisance : il n’y en a pas. Il n’y a qu’une (sorte de) tentative d’échapper à l’emprise de la réalité : si le week-end du titre de ce blog (qu’est-ce que c’est, un blog, un site ? un truc, avec des liens, voilà ce que c’est) commence le samedi matin, c’est après minuit, on voit on sent surtout, les odeurs toutes les cloisons dévastées, les chambres du fond d’où nous parvenaient les notes de musique, la musique (le piano dans la chambre recouvert du voile, là l’armoire, sur le lit les draps froissés recouverts comme tous les vêtements de cette épaisseur noire) la musique jouera toujours, la musique toujours encore même si les pas crissent sur la moquette détrempée, plus de couleurs plus de lumière sinon ce noir, on n’a qu’une envie, fuir et fuir encore et encore et encore mais non, on reste là, l’astreinte nous dira ses quelques mots « relogement », « assurance bien sûr », la police prendra trois fois, quatre ses nom prénom date de naissance « vous êtes né où monsieur », numéro de téléphone, la réalité bien sûr toujours là, attend, elle est là comme cette odeur qui enserre toute chose à présent de ce lieu, les enfants les bras serrés les rires qu’on projette contre l’état de fait et cette vulgarité du feu qui ne reconnait ni n’épargne rien et engloutit tout sans distinction, sans ordre, sans noblesse, « c’est comme ça » disait la chanson pour continuer par « la la la la », il était tard, il faisait nuit, on attendait quoi, au juste pour aller enfin dormir, s’en aller de là, s’en aller, partir, ne plus rester là deux minutes, non s’en aller, comment on fait, un taxi un type sa voiture blanche, hybride et insonore, tu remarqueras des choses, le voile noir sur toutes tes choses à présent, c’est vrai ce ne sont que des choses et elles se remplaceront donc, des choses les mêmes ou alors annotées, tous ces livres tranches noires, la condition humaine ou cette comédie en vingt et quelques volumes, là, tranches noires, et ces jolies cartes postales objets papiers dossiers gomme stylos trombones sur le bureau mes lunettes cassées ordinateurs, on s’en fout c’est mort…

Tu sais quoi, il y a du soleil, c’est l’été indien ou quoi ? On va acheter deux chemises, trois culottes, trois paires de chaussettes, de la mousse à raser, on n’a pas de fric, on s’en fout, on vit, on est là toi, moi les mômes, il fait beau, tu sais quoi, j’avais donné deux jeans à réparer au type du faubourg qui me les a rendus en me disant « ah non monsieur je ne garantis rien c’est parce que vous avez grossi ou que vous avez maigri je ne sais pas, mais les fermetures elles ne marchaient plus parce qu’elles étaient montées de travers, alors moi, je ne garantis rien », qu’est-ce que ça fait ?  Ils sont réparés et si la fermeture ne tient pas, c’est parce qu’elle est montée de travers. Ah ? Oui, d’accord. Il y a des gens qui disent « c’était dans une autre vie » pour bien comprendre et faire savoir que les choses ont changé. Les choses, ah oui. Pas les êtres, c’est toujours la même vie, elle est là, et même s’il pleuvait et même s’il faisait froid, et même on s’en foutrait. Des larmes ? On saura pourquoi. Des cris ? cette nuit les voisins se sont encore engueulés comme du poisson pourri, si on n’avait pas été si las, on serait monté leur dire deux mots, qu’ils cessent un peu cette comédie, mais tu sais quoi ? dehors c’est le jour, même si cette satanée heure d’hiver, même si ce voile noir, les fenêtres et les odeurs, on s’en fout, on marche, on avance et tu sais quoi ? on continue.

arbre cours collège sysley

 

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2 Comments

    oh !
    ne sais que dire… un juron ?

  • Ah merde. J’espère au moins que vous n’étiez pas là, pas directement en danger, que tout va bien pour les êtres humains.