Sur le bureau #30
La série « Sur le bureau » dont c’est ici le trentième numéro est constituée d’abord d’illustrations. Dans un dossier qui contient aujourd’hui 2553 fichiers, je sélectionne, au pas de cent, les vingt cinq (donc) photographies que j’y avais préalablement rangées : elles font partie des « photos améliorées » que je garde dans ce dossier afin de les poser quelque part (elles ont déjà servi ailleurs, où je ne saurais dire, j’en envoie comme j’en publie au journal ou ailleurs, n’importe : en tout cas, elles sont là) : il me faut les reformater, j’en profite parfois pour les transformer un peu.
Le tirage de ce numéro est très métropolitain. Des musiciens, des voyageurs, des glandeurs, la foule, les gens cette faune urbaine, et puis parfois des échappées, des images colorées, des images de voyage (une seule), que je pose ici
comme pour me souvenir que, oui, il y avait bien un train qui passait sur la lagune, oui, il y avait du soleil, les souvenirs qui s’effacent et le ciel qui s’estompe, il y avait des nuages en traversant le pont Royal, ce jour-là, j’avais aussi fait un contrechamp de cette photo
je l’aimais à cause de ces touristes et du fond gris du Grand Palais, nuages Île de France, impression c’est l’après midi, sans doute suis-je à pied, il me semble, je regarde comme si le monde devait à jamais changer, je passe d’une rive à l’autre, il y a des photos d’autre chose, de la campagne
non, celle-ci est un montage, c’est le ciel vu de la passerelle du parc et les quelques collines quelque part sur le fond on ne reconnaît rien et ça donne vie à quelque chose, le métro que je prenais pour rejoindre la place Clichy
tu vois c’était le printemps, sans doute, les courses, les hommes qui pensent
qui lisent, qui marchent
qui passent, parfois au ciel se découpe une tour
ou cette autre
le jaune aux arbres est d’automne, pas à dire, mais marcher dans les rues, ici cette petite voiture déjà posée (qui indique la direction du père de Christine– « tous les gouvernements ont leurs services secrets… » de John Drake, « oh je me présente, mon nom est Drake, John Drake… » -Destination Danger de mon enfance)
prolonger la rêverie, quelquefois avec le trouble de ma vue défaillante de vieillard, ne pas parvenir à vraiment comprendre ou ressentir ce qui se passe
ici ce n’est que Nation-Etoile par Belleville Barbès, là ce sera sur le boulevard, à présent l’immeuble est construit,
un genre de bazar en carton, doublé de laine de verre habillé de fausses céramiques, c’est encore le printemps, on voit ça, le soleil brille hello
le cent vingt de la rue, ce café à la mouture turque (entendu dire qu’avait encore été assassinée une chanteuse, quel ignoble monde qui s’en prend à ses artistes, quelle chimère poursuivie par ces meurtriers) alors continuer à marcher, le soir, regarder par la fenêtre
regarder et lire, peut-être, apprendre ici ou là, se souvenir de l’IRWD (de gauche à droite : Jean Peeters, RW of course, re Jean Peeters, et Sam Fuller casquette madrée légèrement de travers, « Pick up on South Street », 1953)
les années cinquante c’était en Tunisie, puis plus tard, on attendait le cadre, plus tard on lirait on irait au ciné
ou voir des expositions (ici, c’était un film de Bill Viola), on écouterait les musiques du monde, on participerait à des inutiles illusions
ça ne fait rien, laisse, oublier le monde comme il veut se montrer, et avancer, il y avait là, donc, des musiciens
dans les voitures et sur les quais (dire ces trois mots fait revivre Marlon B. et ses pigeons…
Elia Kazan et la liste noir de ce sénateur Mac Carthy de si abjecte mémoire)
ici c’est à Jourdain je suppose, l’homme brave la foule en éructant à moins qu’il ne murmure tout seul pour cette image d’un type, jeune, qui sourit, son sac à l’épaule, là il n’y avait personne qu’au fond, cette image de femme, je ne sais plus exactement mais cette menace droite cadre, toujours présente
nous sommes toujours en danger de mort, nous ne le savons pas parce que nous l’oublions, comment vivre sans cet oubli, mais comme disait Georges est-il encore debout le chêne ou le sapin de mon cercueil ? tout ça est d’une gaité sauvage, je sais bien, je n’y peux rien, c’est ainsi que sortent de leurs cases quelques bribes d’essence parfumée, quelques pensées curieuses
ici c’est le cent onze du faubourg, bientôt détruit pour en faire quelque chose de semblable à tout ce qui se construit ici, à la va-vite
pressé qu’est un monde qui n’a pas de temps perdre
mais sa nuit restera telle qu’en elle-même, sur les rives du fleuve, l’Institut dans la nuit, cette coupole inutile et d’argent, ces fils rouges des autos qui filent sans bruits sur les quais
mais il fait beau, je m’en retourne chez moi disait Jacques Brel, à ce monsieur, chez ces gens-là, c’est vrai que c’est la ville, chez moi, c’est vrai que ces gens-là, ce ne sont que ma famille, des êtres humains qui cherchent à s’en tirer, le monde tourne et bouge, les saisons au fil des mois semblables et belles telles qu’on les aime quand même elles seraient de pluie, de froid, de celui qui engourdit les doigts et dans ma main la sienne, et quelques roses pour finir
belle dérive en votre compagnie, en saluant parfois ce que pouvais m’approprier un peu