Oublier Paris #52
Rubrique(s) : Carnets de Pierre Cohen-Hadria / Oublier Paris / Ville (ma) vue du sol
6 janvier, 2014 2Il s’agit d’une sorte de centre de cette ville, peut-être géographique, ou alors physique : en sous-sol se trouve un commerce (on n’appellera pas cela une librairie, non), quatre lettres, située en face d’une boutique de vêtements (même punition, même motif) deux lettres réunies par l’esperluette (dont on salue ici l’anniversaire-enfin du libraire) (ça n’a rien à voir, mais on salue), et l’une de mes filles (je les adore comme on sait) m’a offert un livre pour Noël (« le paysan de Paris » Louis Aragon, en folio) qui est déjà là, donc je m’en vais l’échanger, métro Rambuteau, au bout de la rue
des travaux, dormez en paix bonne gens car veille la police, il y a là un commissariat, il n’y a pas de voitures dans les rues, sauf celle de, on avance, les travaux du centre de la ville lumière, tu te souviens l’enquête qui n’a servi à rien (une enquête ça sert à quelque chose ?), les projets, les merveilles ou les horreurs, le diagnostic de la municipalité
gauche cadre le néon clignote, il est ici allumé, on avance, les travaux pharaoniques (la municipalité va changer, les promesses ont été tenues : vélib, autolib, réaménagement des halles – cicatrices des parasols encore ouverte, au fond Saint Eustache
on approche, découvre (mais on le savait déjà par Emmanuel Delabranche) l’abjecte métaphore de « canopée » pour représenter l’horreur
on la double
cette prétention à se croire naturel pour des constructions humaines, c’est à mourir de rire, celle-ci durera sans doute ce que durent les roses
oui, il s’agit d’une cosntruction faite de bois (c’est pour le recours à l’écologie, tu comprends, c’est important le durable développement-construction-ville et tout à l’avenant, les électeurs ne comprendraient pas) un impeccable ordonnancement
descendre au sous-sol, faire la queue attendre photocopie de la facture un avoir aller chercher quelque chose (un livre) n’en pas trouver envie de vomir papeteries-filrtres à air-cafetières-ordinateurs photos dans les étages-sortir de l’air – concerts accueil vigile noir sortir, d’un côté de l’escalator « bienvenue » de l’autre « au revoir » le centre de la ville, la capitale du pays, son centre, en travaux certes attendre de voir pour donner un avis (déjà donné, déjà inutile, déjà le jury a tranché et on s’en fout après tout, quand le bâtiment va tout va)
consignes de sécurité badges casques chaussures gilets fluorescents
oui, c’est en bois, du fer,; des grues de l’air des courbes, oui, c’est un lieu où quelques millions de personnes chaque jour, oui, faire attention, quelques centaines de millions quelle importance
il en va du rayonnement international de la ville en question, de sa place dans le monde (rends-toi compte, s’il te plaît, dans le MONDE) rien n’est trop beau (Rio de Janeiro, les Olympiades, la coupe du monde de football, les usagers, les clients, les électeurs)
certes pas elle (à l’aveugle, recadrée) certes pas d’autres encore foutus à la porte de leur pays, bateaux passeurs Lampedusa autres choses autres lieux autres gens, non, pas eux, incendier les campements dehors foutre à la porte, remonter la rue Montorgueil, avoir besoin d’air, remonter, prendre à droite Quatre septembre, cette photo déjà prise de passementeries rubans couleurs
marcher de l’air, cette échoppe pressing (chapeau claque gants canne tu vois pour qui c’est)
en tout cas pas pour moi, l’église devant le musée dont les tuiles font souvenir de Beaune sa Côte d’Or
on s’y croirait, un vieux type au guidon d’un tricycle de livraison
(vieux ? enfin garde ton calme) j’ai repris le métro, il était presque midi, on parlait riait s’invectivait
on ne le voit pas le regard caméra était là, je sais bien, alors pour rire et pour changer
quelques photos à l’aveugle
une sorte de dispositif
marcher mais tenir son poignet pour qu’il ne bouge pas
continuer son chemin même si la ville comme elle est atteint si profondément ceux qui y vivent, les yeux baissés, les sourires crispés ou onctueux, obséquieux, avantageux ou désolés, les rides les yeux noirs, marcher encore
et surtout, surtout, ne rien lâcher.
non, mais frémir un peu – c’était presque mon cadre, y passait, c’était sur mon chemin de piéton et je frémis oui, et je vois sans les regarder, sauf si leurs yeux me rencontrent, ceux qui sont là
(mais pour la boutique je souris dans le souvenir d’une incursion, un peu paumée, avec liste d’une mère ou d »une soeur)
juste voir l’église et me dire presque finie la marche, République, un peu de boulevard et la montée vers le Père Lachaise.
Oui, c’est amusant, quand on est dans ce magasin sous terre (Fnac Lux !), on se croirait chez Darty, on se demande si ce n’est pas une erreur d’itinéraire !
Sinon, travaux pharaoniques, oui, mais ça donne du boulot à certains sans-papiers.
Car y-a-t-il encore des paysans à Paris ?