été atelier comme un roman 5bis
il fallait sans doute quand même arriver à la facture des paragraphes multiples – quelque chose comme un exercice aussi plutôt – Perec, Queneau, Roubaud – que des garçons, tu remarqueras – pas tellement envie de rire, mais ça fait du bien quand même.
(augmenté de deux codicilles)
Lire
Ça dépend quoi, ça dépend où, c’est une affaire entendue, mais ce qui l’est aussi c’est qu’on ne fait que ça, même si ce ne sont pas des lettres ou des mots des phrases ou des livres : on cherche son chemin, on remarque cette devanture, on comprend ce paysage, cette route, cette voie – on regarde, on cherche, on sent : on lit.
Pour accéder à un certain savoir, pour se distraire, pour étudier, pour le plaisir, par obligation, pour se rendre compte, pour se tenir au courant, pour passer le temps, pour apprendre à écrire, pour connaître ce style cette façon cette manière cette histoire, ce dont on parle ce dont on vous a parlé ce qu’on a vanté, ce qu’on a promis, pour vérifier, pour s’assurer se rassurer pour ne pas oublier, pour oublier pour s’endormir pour s’éveiller pour se connaître aussi bien, se reconnaître et apprendre à vivre, pour en parler pour le recommander pour savoir la fin, pour voir comment il commence, comment il finit, pour voir, pour voir pour voir et pour vivre – les buts et les usages sont très nettement infinis
C’est une action qui se pratique le plus souvent seul, le plus souvent dans des endroits plutôt calmes (on voit pourtant des individus la pratiquer dans les métros des grandes villes malgré le bruit, les gens et la fureur) – il faut un peu de place nécessairement (je me souviens d’un jour dans un bus assez rempli, un 86, je lisais le journal et un olibrius s’est moqué de moi) et une liberté de l’esprit. Il y a un type du côté de l’église Saint-Sulpice qui un jour lisait en marchant. On suit, on regarde mot à mot, ligne à ligne, page à page, et petit à petit, le sens de ce qui nous est dit nous apparaît.
On tient le côté gauche de l’ouvrage (sa largeur correspond à l’empan s’il est de poche) de la main gauche et de la droite, entre le pouce et la première phalange de l’index, on sélectionne la page (suivante le plus souvent) à tourner, on continue la lecture tout en passant cette première phalange sous la page, le pouce lui-même dans la même disposition, on en termine on passe à la suivante grâce à ce pouce qui la … pousse. Continuer en haut à gauche, le plus souvent.
On est assis sur son lit, le dos appuyé aux oreillers (il en faut deux minimum), on a les jambes repliées en pont, on a posé l’ouvrage entre ses aines, à bonne distance – on a au besoin ses lunettes, on peut les nettoyer si on les ôte trop souvent, il y a peut-être une musique légère ou douce ou quelque chose, il se peut que la fenêtre soit ouverte vers le jardin où jouent des enfants – on soupire un peu, on ouvre, on plonge
Il y a des moments (mais je ne sais comment puisque je n’ai jamais assisté à ce genre de pratique qu’on peut qualifier de maniaque ou de sacrée), certains moments où l’officiant suit ce qu’il psalmodie avec une espèce de doigt en métal – je ne sais non plus comment il s’y prend pour continuer son manège.
Dans d’autres obédiences, le type (c’est un type le plus souvent) tient son grimoire à la main (il a le droit d’y toucher), ou il l’a posé sur un lutrin et lit chante déclame son oraison si c’est une oraison – c’est alors une affaire plutôt publique.
D’autres moments encore voient des auteurs eux-mêmes s’emparer de leurs propres écrits et les déclamer réciter lire ânonner parfois bafouiller devant une pléthore ou seulement un pauvre parterre de spectateurs, le plus souvent acquis à la cause plus ou moins défendue par le lecteur : il peut être applaudi en fin de prestation, on peut ensuite aller s’emparer d’une exemplaire signé dédié et dès lors consacré qu’on ira plus tard ranger en bonne place (elle aussi parfois dédiée et consacrée) dans le meuble voué à cet usage (il arrive que ce meuble prenne l’entièreté de la pièce : on le et la nomme de la même manière ; des lieux des villes, nommés mêmement, servent au prêt, ou à la consultation simple d’une foultitude d’ouvrages, de tous les genres, de tous les thèmes, de toutes les tailles et de toutes les factures).
Il faut poser l’ouvrage si celui-ci est trop lourd (ou trop important en taille, comme dans un des cas précédents, aux yeux de l’officiant) : une table, un lutrin, une tablette, une étagère ou un tabouret peut alors faire l’affaire – la page peut être alors parcourue en s’aidant de son index pour ne pas en perdre le fil (ce fil perdu est décrit au dernier paragraphe). Il se peut qu’on parcoure et s’imprègne de la totalité de l’ouvrage dans ces conditions, mais le plus souvent ce genre de lecture n’est occasionné que pour un recours à une réalité précise (par exemple, comprendre le sens d’un mot en le recherchant dans un dictionnaire ou en regarder les frontispices et autres illustrations)
Il y a aussi des moments où il n’est pas – plus – nécessaire d’ouvrir l’ouvrage pour en connaître une teneur tellement sassée puis ressassée (souvent c’est parce qu’on l’aime) puis ressassée encore (parfois ce n’est qu’un rite) – la personne sait ce qu’il lui faut dire, ce qu’il lui faut prononcer, ce qui vient ensuite après et encore. Elle est, dans ces moments-là, je ne sais si cela arrive souvent, mais cela arrive, accompagnée d’une espèce de musique, et sa parole peut (dans le meilleur des cas) se muer en chant (ce n’est plus exactement de la lecture, mais ça y ressemble foutrement quand même).
Il y a une manière assez malpropre peut-être mais efficace de se saisir de la suivante : on a passé légèrement son index (droit le plus souvent), à peine, sur sa langue à peine elle aussi tirée afin d’y saisir un peu de salive et que le papier qu’on attrape s’en trouve plus préhensible (il collouille parfois un peu et prend la forme du doigt). C’était le secret dans « le Nom de la Rose » (et non son Roman) où certains moines moururent de leur façon de s’humecter l’index à nouveau de salive pour se saisir de la page suivante parcheminée (je me souviens de Sean Connery et de l’espèce de Torquemada interprété par Fred Murray Abraham – le film était, comme souvent, nettement en dessous du livre, mais on ne devrait pas comparer – je ne suis pas certain que le F. de son premier prénom soit Fred, mais passons).
Dans la même idée, le truc ne s’appréhende que rarement d’un coup (enfin je ne parle que de ma propre façon de faire), il faudra alors marquer le lieu de l’arrêt (parfois impromptu, obligé, ordonné) : s’il prend l’envie de corner la page où on en est, on ne sera plus l’ami du rédacteur (un morceau de papier, un bout de journal, un objet plat même – on m’en a offert un un jour (mon amie Hélène, pour un anniversaire – merci…!) de ce type en bois, avec un dessin de tigre, dont je placerai la photo sur le blog (voilà – il a réchappé de l’incendie grâce à ma fille E.) – peut faire l’affaire)
Il arrive aussi qu’on commence par ce qu’on appelle ici la fin, là-bas c’est le début : on porte alors le regard en haut à droite, on regarde de droite à gauche mais toujours de haut en bas. Il me semble (mais je ne suis pas non plus adepte de ce genre) qu’il arrive que certaines bandes dessinées du pays du Soleil levant comme on dit (ou d’ailleurs, dans cette Asie profonde et inconnue) se parcourent de cette manière. Il se peut qu’on use du même manège (mutatis mutandis) qu’en paragraphe quatre pour parcourir l’entièreté de l’ouvrage.
On peut ici remarquer que le parcours dans son entier de l’ouvrage n’est nullement prescrit ni obligatoire ni forcé ni même recommandé – on est libre vis à vis de cet objet et de sa pratique, et c’est sans doute ce qui en fait aussi, pour une bonne part, sa valeur.
On pourrait ainsi continuer à énumérer les divers modes, habitudes, façons obligations ou traditions, usages et pratiques de ce qui est une espèce de coutume des plus utilisées dans ce monde cruel et incivil pour se cultiver, apprendre, comprendre, passer le temps et autres joyeusetés (voir paragraphe deux) mais justement, ici, il manque un peu, ce temps, et donc on cesse.
Parfois, cependant et pour ne pas finir, on tient en main et on se prend au jeu de parcourir ce qui est écrit mais l’esprit flotte, ailleurs peut-être, on ne sait où parfois, on s’est laissé aller à tourner une page, le regard flotte encore sur les lignes, et on s’aperçoit que le sens s’est échappé, qu’on ne comprend plus, qu’on ne suit plus, et qu’on se trouve un peu perdu. Soit on cesse, et on laisse alors vagabonder l’esprit, alangui sur la chaise (longue ou pas), sous l’ombre d’un grand arbre (ainsi commence, parfois, la sieste). Soit le sérieux reprend son dessus, et on retourne à l’endroit où on se souvient encore des méandres de ce qu’on nous racontait.
{codicillons un peu : non, rien, mais quand même, toujours quelque chose, un deuxième cinq parce que le quatre m’a posé sans doute des difficultés, et puis que le six vient de sortir – repris plusieurs fois, en ajoutant ici, là ou ailleurs parenthèses textes entre tirets double et autres – commencé par le 4 mais je ne numérote pas, auquel je viens de rajouter le type de « tentative d’épuisement » mais je ne l’ai pas ici pour y poser la date vraie – si elle existe – je pourrais regarder sur internet mais non.}
add. du 12 vers 10 h : rétrospectivement : quelques heures plus tard, le truc a eu le temps de mariner, on a dormi dessus comme on dit, et on s’est aperçu (mais je crois que c’était hier) qu’il n’est nulle part fait mention de la lecture à l’écran. Ce sont ces moments-là (la découverte de conduites inconscientes) que j’aime dans la vie (la mienne, celle des autres, peu importe : la vie générique) (on est là, on se tient sur le bord du navire qui va d’une île à une autre, les embruns, les écumes et les oiseaux, le bleu et le blanc – il fait un temps splendide, disais-je hier ou ce matin à mon frère, il fait beau et le temps s’en va. C’est que je considère les images et les écrans comme des leurres : mais non les mots écrits sur du papier) (on a à penser, hein) (à la relecture de l’ensemble, mention d’internet en presque dernier mot codicillaire quand même)