été atelier comme un roman – outils
la consigne demandait l’étirement du texte – il y a de multiples raccords de la famille du pilote aux espions armés, au marchand d’armes, au producteur et sa toute nouvelle femme (comme il se doit) (on aime les clichés, comme tu sais) au personnel d’accompagnement qu’on verrait bien marcher de concert dans un hall d’aérogare (j’ai une image pour ça, mais où est-elle ? je vais chercher) (c’était à Naples, je crois) (ou Munich ?) (et ils sont assis…)
j’ai donc essayé de diluer si on peut dire, c’est un peu vulgaire – dans cet espace de temps un mail de GB m’est arrivé – les autres chantiers doivent continuer – mais tant pis on va poser ça là pour attendre, on y reviendra peut-être – il n’est pas certain qu’on revienne jamais, ça ne fait rien – comme l’indique un peu le codicille, il se peut que le samedi en question (j’ai juste entrepris l’affaire ce samedi, c’est tout (c’est presque rien/c’est comme un rêve/comme un jeu dit la chanson) soit le lendemain de mon arrivée en France – l’idée de départ – et comme on verra, on y retourne – puis ça s’est un peu détourné de l’objet (à partir de « L’avion est plein ») – et puis se mettre en scène quand même (comme un je) – et puis par le regard de l’autre – du voisin – et puis cette image de Venise qu’on survolait en allant à Chypre, un soir de seize.
Dix minutes
Le pilote se nomme Jacques parce que lors des dernière semaines où il a été enfanté, sa mère avait trouvé que ce prénom irait bien à son fils – elle était certaine que ce serait un garçon, comme toujours, comme d’habitude, comme les précédents, comme les suivants, comme il fallait que cela soit – elle avait connu un Jacques dans le temps, quand elle avait eu dix sept ans, un sale type qui ne pensait qu’à lui, qui avait sept ans de plus qu’elle, dont elle avait été tellement amoureuse, elle l’aurait suivi où il aurait voulu mais elle l’avait vu partir, seul, au volant de son camion le lendemain matin pour ne plus jamais le revoir, c’était juste avant guerre, elle l’avait connu au bal, la première fois qu’elle allait au bal, il l’avait foutue enceinte, ce sale type, toutes les peines du monde à se faire avorter, mais c’était avant, avant qu’elle ne rencontre le père de ses six fils dont Jacques est le troisième – Jacques qui vérifie la check-list, qui porte des lunettes de soleil du même modèle que celles que portait un minuscule et décomplexé PR, bourré de tics d’insomnie et de cocaïne certainement, un peu comme lui d’ailleurs, Jacques avec sa chemisette blanche aux armes de la compagnie qui l’emploie, ça se passe à Orly et il n’est que six heures du matin, un samedi comme il y en a tant, on est en juillet, on appareille bientôt, on attend les passagers sont installés, les ceintures sont bouclées et les valises rangées. L’avion est plein (on refuse du monde, ces temps-ci, les gens ne savent plus quoi inventer pour s’en aller, se tirer, prendre des vacances, courir au bout du monde boire des cocktails au bord de piscines bleutées et tièdes – jouer aux cartes – fumer des cigarettes – danser rire chanter avec qui on voudra) on refuse du monde, direction Nice Côte d’Azur avant de rallier Tunis – rang vingt six A et C, deux types parfaitement normaux – costumes cravate à peine dénouée chemise bleu clair regard au loin et revue à portée de main – sous le veston, près du cœur, des armes d’assez gros calibre, chaussures cirées et lourdes, chaussettes transparentes et noires – lunettes de soleil poche poitrine et moustaches, c’était la mode à l’époque (on appelait ça des barbouzes) chapeaux – loin des premières mais ça ne fait rien on reste vigilant – on regarde on fait gaffe on guette on espionne – il fait vingt deux degrés, on baisse les lumières, une vague musique douce (un combiné de Beethoven et de samba comme savent en produire toutes les compagnies aériennes du monde) – une jeune femme blonde fait quelques gestes au milieu du couloir, montre les accès, les portes les lignes au sol – elle sourit (elle pense à son amant qui déteste l’avion, déteste les voyages et les aéroports) – sa collègue est brune et se tient devant les rangs des premières, au premier rang un type genre vieux beau mais gras, qui lui a ordonné de lui servir une coupe de champagne, immonde – le steward (plus ou moins homo, plus ou moins marrant, plus ou moins blanc) vient de tirer le rideau qui sépare la cabine en deux classes idoines et imperméables – il pense qu’il servira du champagne et des écrevisses à la jeune femme du deuxième rang, mignonne, ronde, blonde, chandail et pantalon dans les mêmes tons grèges, un sourire engageant, à Cannes l’attend son mari, entrepreneur, industriel, producteur de cinéma, quinze ans de plus qu’elle mais encore très en forme, elle lui parlait tout à l’heure dans la cabine téléphonique de ce qu’elle voudrait comme cadeau pour leur premier anniversaire de mariage – un collier de perles à trois rangs comme en porte la reine d’Angleterre – il avait ri parce qu’il aimait rire mais aussi parce que les choix de sa femme le faisait toujours rire (c’était loin d’être la première, il y avait à parier que ce ne serait pas la dernière), il aimait dépenser son argent pour elle et elle le savait, il lui avait proposé d’aller le choisir chez Boucheron, ou ailleurs ou n’importe où, elle en pensait quoi elle avait ri, de ce rire qu’il aimait tant, elle allait le retrouver, elle venait de rendre visite à sa mère mais un avion à six heures du matin quelle barbe ! – il n’y en avait pas d’autres, et puis elle ne dormait pas, elle dormait mal, elle avait trente et un an, jamais elle ne pourrait avoir d’enfant (c’est pourquoi l’autre l’avait épousée d’ailleurs) (l’entrepreneur a pour les enfants une horreur sans fond – il est fils unique, son père est mort quand il avait six ans, accident de voiture) – elle regarde par le hublot, l’avion recule doucement – on bouge, on va bientôt s’envoler – la lumière s’adoucit dans la cabine, on a éteint ses cigarettes, sur les sièges non loin des ailes sont assis des jeunes enfants, cinq que surveillent plus ou moins deux femmes assises derrière eux, elles parlent ensemble, si elles ont trente ans c’est le bout du monde, l’avion s’est immobilisé et attend son tour – Jacques a pris le micro, il répète les mots qu’il est censé dire avant chaque décollage « good morning ladies and gentleman this is the captain speaking » etc. en français puis donc en anglais, son second contrôle les paramètres, il porte la même chemisette que lui mais avec une barrette en moins aux épaulettes, dorées, le ciel est dégagé, il fait vingt deux degrés, le soleil commence à poindre derrière l’avion et le vent d’ouest est assez faible – c’est un moment difficile pour certains, l’envol a toujours effrayé les occupants des avions, un peu comme l’atterrissage du reste – on pense qu’on va mourir, notre dernière heure est arrivée – l’hôtesse blonde s’est assise en sens inverse du vol, elle regarde sans les voir les passagers assis, elle pense à la coupe de cheveux de son commandant de bord et se demande comment il fait pour les tenir toujours aussi impeccables, les voyageurs, eux sanglés, certains parfois exténués, d’autres angoissés, de l’autre côté du rideau, le gros type surveillé par les deux barbouzes boit le champagne qu’il a commandé lit un journal fume une cigarette qu’il écrase quand l’hôtesse le lui demande si gentiment (en voilà une qu’il verrait bien dans son lit, mais bon pensons à autre chose, les affaires étant ce qu’elles sont et les guerres ce qu’elles génèrent, il y a d’autre chose à penser que de s’envoyer en l’air) – il sourit intérieurement de ce bon mot à ce moment précis – il replace sa ceinture, il regarde par le hublot, attend que l’avion s’élance – le commandant de bord indique qu’il va falloir patienter encore avant le décollage, une femme soupire, un enfant pleure, chacun s’occupe, quelques uns font comme s’ils dormaient mais d’autres dorment déjà rêvent d’un monde étranger, dans une heure on se posera près de la mer, il fera dix degrés de plus, on sentira dans l’air le parfum des lauriers – il fera bon se promener sur le bord de mer – la femme au pantalon grège se tortille sur son siège, elle déteste attendre, elle repense à ce voyage à Jersey au cours duquel elle a rencontré son entrepreneur de mari, c’est bien la première fois qu’elle se marie et elle croit avoir tiré le bon numéro, elle ne le connaît que mal puisqu’il se trouve toujours en voyage, toujours entre deux avions – vraiment insupportable d’attendre comme ça, sans que rien ne se passe seulement le souffle de l’air conditionné, cette musique mièvre et inutile, je me replonge dans mon livre mais il est beaucoup trop compliqué pour que je m’y attelle, il me faudrait un crayon, un papier – les deux mains de mon voisin pressent les accoudoirs, ses deux jambes semblent durcies dans son pantalon noir, c’est un homme d’une cinquantaine d’années et à le voir, on ne peut pas se douter qu’il panique avant le départ d’un avion – c’est un gros homme qui pense qu’il a bien eu tort d’accepter d’aller voir ces amis à Menton, qu’est-ce qui lui a pris d’accepter comme s’il ne savait pas qu’il lui faudrait prendre l’avion – il ne faut pas penser au train, qui met une quinzaine d’heures, un temps interminable, on est obligé de prendre une couchette et de côtoyer la médiocrité du populaire, même en première, non impossible mais pourquoi avoir accepté cette invitation ? Il se le demande, regarde droit devant lui pour ne pas laisser voir sa peur panique, sur sa droite un jeune type mal rasé, mal vêtu, qui lit un essai plus ou moins sociologique, c’est à pleurer, ce qu’il faudrait, ce serait un peu d’air frais, un peu de calme et que cesse cette attente, ce bruit de fuite d’air, que cesse l’inconfort de ces sièges idiots – la prochaine fois, il voyagera en première c’est décidé – les statistiques sont formelles, c’est au décollage que les avions se crashent le plus souvent, c’est donc à ce moment-là qu’on risque le plus de s’en aller, dans l’explosion, dans l’incendie de l’appareil, cent vingt deux passagers et sept membres d’équipage – pas un seul survivant – mais non, non, il fait beau, on sent un peu de fraîcheur et l’avion se positionne sur la piste. Paré au décollage. C’est vers six heures dix que Jacques lance ses quatre moteurs à pleine puissance et que doucement, dans un air limpide et frais, l’avion s’élève et, sur son aile, prend la direction du sud-est, doucement presque sans bruit – il s’est élevé dans le matin gris-bleu, comme dit la chanson – et très loin dans les traits du soleil, il finit par disparaître
codicille
il y avait l’idée de ce vol, à rebours, probablement le lendemain – le pilote est apparu, l’avion et les passagers – le vol est le même, quand sont arrivées les piscines, il y a eu la première scène de Goldfinger, et l’apparition des espions – c’était là parce que c’est sans intention, parce que c’est l’époque – ça a failli être un truc de science-fiction mais non ce sera pour la prochaine fois peut-être – le titre est venu pendant l’écriture