Pendant le weekend

Pour mémoire – Journal d’Air Nu (#36-40)

 

 

 

(36). Lundi 20 avril 2020 (deux pour le prix d’un)

ça se passe à Laumière (ajoute un L et tu as La Lumière – ôte un u et tu obtiens Lumière – et ce film jamais vu de Jeanne Moreau – ça me manque, ça par exemple) – le cinéma, toujours là, avec Todo Modo, et d’autres de ce genre des années 70 – Cadavres exquis, si tu veux (j’aime Rosi) – il se trouve que ce sont des « communistes » italiens je mets des guillemets parce que le PCI a quelque chose de révoltant, moins que que la DC ça ne fait pas de doute – de là à tuer son président, il y a un pas qu’il aurait été bon de ne pas franchir – je m’égare, tu sais les choses changent et il faut que tout reste pareil (le barbalakon premier de son cintré a fait comme ça « il ne faut pas s’attendre à un retour à la normale avant longtemps » – non, on ne prendra pas les armes même si) – il y avait les cravates de Goimard tu te rappelles ? celle qu’on lui avait offerte en fin d’année (des fleurs partout de toutes les couleurs et son sourire ravi) (il vivait rue du Borrégo) et le premier jour, son air docte et posé, un sage parmi des énergumènes « alors pour en finir directement avec mes opinions politiques, sachez que je suis et me revendique marxiste tendance Gramsci, cela dit pour votre gouverne » – des types (des deux genres) de vingt-deux ou vint-quatre ans, ça les impressionne – tout ça nous a éloigné du rêve de cette nuit – ça se passe à Laumière, c’est un restaurant aux nappes en tissu jaune, le repas est semble-t-il terminé, on ne s’est pas entendu du tout – il y a là mon frère et mes deux sœurs – l’une d’entre elle sort son stylo à encre, fait un chèque, je propose de payer ma part, elle : refus – elle signe, « de toutes façons vous ne comprendrez jamais rien, vous êtes des idiots » – mais le repas, je crois était bon – quelque chose avec ce restaurant peut-être mais je ne le connais pas, qui me fait souvenir de celui immédiatement avant le pont bleu du cimetière, sur la rue Caulaincourt en son tout début – il y a des enseignes que j’aime et connais sans y être jamais entré – par exemple celui de l’avenue de Bouvines dans le 11 (entre la rue de Montreuil et la place de la Nation) – une avenue qui procède du non-lieu à mon sens – souvent au coin droit de la place et de cette voie, on peut voir une Maserati garée là comme si de rien n’était (et c’est d’ailleurs le cas) – le restaurant aux grandes baies vitrées, haut de plafond, une espèce de terrasse couverte et fermée – des pizzas peut-être je ne sais plus – il y aurait des rubriques à faire mais je renonce –

il y a une belle histoire dans ces horreurs (celles commises dans les années 70) c’est celle de la diétrologie – belle histoire c’est une façon de parler un peu cynique comme on dirait des quelques belles lois ou ordonnances de l’état d’urgence de nos années contemporaines – sanitaire ou pas – fuck off – ils se servent de l’État et le pervertissent pour leur unique profit – définition citée par Carlo Ginzburg dans son « Le juge et l’historien » (Verdier 1992) note 49 p 67 « analyse critique des événements tentant de repérer, derrière les causes apparentes, les vrais desseins cachés » – ainsi en est-il tous les ans, vers la mi-mars, où on trouvera des « analyses critiques » de cette affaire-là (l’assassinat d’Aldo) qui feront intervenir ici le Mossad, là le deuxième bureau ailleurs des Bulgares avec un parapluie, ou encore les auteurs des attentats contre les tours jumelles du Centre Mondial du Commerce – tout, et (presque) n’importe quoi – pendant ce temps-là, ces jours-ci, à quarante deux ans d’ici, au sein du tribunal du peuple, les consultations allaient bon train à savoir si la peine de mort était requise ou pas – Aldo à genoux contre sa couche priait encore – en ai-je ? Sans doute, mais toutes intérieures…

j’ignorai parfaitement cette commémoration – la lecture des noms des disparus, cette commémoration nommée yam hashoah – une cousine la rappelle – celle du super-constellation – nuit du 20 au 21 avril – quelque chose de la religion probablement, cette date-là – ni dieu ni maître, certes, mais n’oubliez jamais (comme disait ) convoi 67 numéro 12745 du 25 janvier 1944 – arrivée le 6 février – immédiatement gazé

 

(37). Mardi 21 avril 2020 (voiregarder)
si je regarde devant moi, je vois un journal de réclusion qui se termine dans vingt jours – je ne regarde jamais devant moi sauf en vélo (jamais aimé le vélo)– et quand je marche (pas toujours) (toujours aimé la marche) – ici je regarde, les yeux baissés, le clavier, les lettres en blanc sur noir et celles en noir sur blanc – tiret espace – un écran m’empêche de voiregarder devant moi – cette première année de vacances en Europe, j’ai marché sur une planche qui était dans le caniveau – un caniveau épais et large pour canaliser les vraies flots qui descendent de la colline lors des orages – planche sur laquelle demeurait un clou que je ne vis point (je courais après une boule de pétanque en plastique) (de quelle couleur, je ne sais plus), pied transpercé, piqûre assez rapide anti-tétanique à Cavalaire et privé de plage jusqu’à la presque fin de ces vacances-là (soixante et un) – elles duraient alors quatre semaines je crois bien mais mon père n’était pas là : elles reproduisaient un peu le premier semestre soixante – nous étions sept – comme dans l’avion, les mêmes, le super Constellation, et l’escale de Nice Côte-d’Azur – ma mère avait une de ses amies qui portait le même prénom qu’elle qui vivait à Nice – ce furent là-bas les premier « pan-bagnat » – vaguement sosie avec les sandwich tunisiens inégalables (mauvais pain mal mouillé, des anchois,enfin n’importe quoi) (le pain des sandwich tunisiens peut être réalisé avec du pain dit italien) – la promenade des Anglais – la visite de G. « tu me comprends ?» (un des frères de ma mère) et du père de ma tante (l’oncle de ma mère donc : on suit ?) et de sa femme (qui n’était pas la mère de ma tante, ou je délire ?) – et du demi-frère de ma tante (une de mes nombreuses tantes) Gg (la première femme d’un des deux frères de mon père, laquelle était aussi cousine de ma mère) – mais à Gamarth (non, Gigaro) dix ou quinze jours plus tard, à nouveau le bain et marcher sur le talon du pied droit – Gamarth est une plage qu’on trouvera au-delà de la Marsa (terminus du TGM comme on sait) (ou pas) (image du jour : ce qu’à peu près on voit quand on pose les pieds dans l’eau, à Gamarth)

ici de temps à autre passe un rafale (ce fleuron magnifique de la technicité dassault que le monde entier nous envie – sans pour autant en acheter – car le monde, comme on sait, a l’ingratitude chevillée au corps) à très très basse altitude ce qui permet d’en entendre distinctement le bruit (le raffut comme dirait Philippe de Jonckheere) il faudrait mesurer mais le nombre de décibels doit être impressionnant) (ce qui couplé avec les défilés de points lumineux de la nuit – ici c’est de jour, ici c’était aujourd’hui juste après midi – nous ramène à quelque chose de la guerre énoncé par le minuscule jésuite) –

 

j’ai fait parvenir une facture – pour cause de force majeure – je vous tiendrai au courant (add du 27 courant : l’imprimante ne fonctionne plus, pas de facture ; écrite à la main ce jour, je vais l’envoyer – complexe la vie ? Peut-être aurais-je dû m’adresser à une personne disposant de ce précieux outil ? bah c’est fait, je vais acheter des timbres et poster le bazar) (perdu 3 semaines dans ce tourne-cul) (pas certain qu’existe l’expression mais enfin feu de tout bois, à Rome comme les Romains etc.)

 

(38). Mercredi 22 avril 2020 (et donc on rêve)
et donc on rêve
vers le haut de l’avenue du Maine, le cabinet d’un médecin qui ressemble à peine à notre secrétaire d’État foreign office/quai d’Orsay j’en passe et d’autres – je crois qu’il était à la guerre (pardon aux armées) dans le précédent – c’est à peu près comme ça, les choses vont et nous, nous trimons – encore que de trimer on aimerait peut-être plus : le manque de loyauté dans le travail en fait quelque chose qu’on agonit, alors que c’est un anxiolytique puissant qui de plus nous permet de payer notre loyer et nous apportait des relations parfois amicales avec nos semblables – le télétravail est en bonne voie, merci – pardon, j’ai dérivé – le cabinet je ne consulte pas, j’apporte des fleurs – il se trouve que ce cabinet (j’y entre pour chercher une amie (ou un, je ne sais pas exactement)) est situé au rez-de-chaussée, que cette entrée est celle d’une espèce d’usine qui confectionne des coussins, lesquels sont recouvert d’une espèce de satin ou de velours dans les verts, dans les mauves, ils s’entassent dans une annexe, assez immense remise à droite – plus loin, les boxes des médecins ouverts vers le bas, on aperçoit par là un appareil à prendre la tension qui dépasse, un autre à écouter – ça doit bien avoir un nom – un stéthoscope (du grec stetos poitrine) (inventeur Laennec (René – 1781-1826) (image du jour prise au Petit Larousse 1961) – ce sera tout on sort, la place, l’église, de l’autre côté des avenues qui ici se croisent le cinéma (où ma grand-mère « dieu merci » avait ses habitudes) – inch allah disait-elle aussi, parfois –

dormir et s’en souvenir n’est pas une mince affaire là (on remarque pourtant que je ne vois pas le visage du médecin, c’est important, il n’est que caché – probablement par le temps qui passe)

établir la liste des personnes citées, plus celle des lieux – peut-être des films, il n’y en a que peu – le nombre de choses, d’événements, de gens vus, connus ou non, avec qui on parle comme d’habitude des autres – je me souviens de ce touriste japonais qui me demandait je ne sais plus quoi, sans doute son chemin, à qui j’ai proposé de téléphoner avec ma carte – qui se confondait en excuse – passer sous silence les agissements des autochtones – se souvenir, ne pas oublier – mais ça va servir à quelque chose ? ces questions sans réponse

il y avait dans un des livres lus cette incise amusante « Le lieutenant Voisinet était passé à côté de sa vocation de zoologue, suivant les ordres impérieux d’un père qui l’avait flanqué dans la police sans discussion » – ça se passait sans doute au siècle dernier, probablement – mais ces agissements me rappellent parfois à la réalité – au fantasme plus exactement – des moments de déprime : si mon propre père avait été de ce genre – mort trop vite, trop tôt sans doute – peu importe, j’ai vaguement et très distinctement le souvenir de l’allée Berlioz, de cette cérémonie, vers onze heures du matin, en été, les feuilles des arbres et le refus de poser quelque chose sur sa tête – la chemise grise dans le pantalon noir achetés au printemps l’avant-veille – m’aurait-il flanqué employé de mairie ou quelque chose dans un ministère, une préfecture, une gendarmerie ? – serviteur de l’État fonctionnaire à tout prendre – c’est vraiment une déprime noire qui alors m’étreint – une affaire de sécurité peut-être ou quelque chose…

finalement prendre les choses du bon côté (envoyer une facture) (relire des ouvrages ou seulement les lire) (regarder les feuilles venir, entendre le vent y souffler, ne pas s’effrayer, ne pas se laisser envahir par la peur) – le soleil ? Peut-être – la lune, les étoiles – parler avec les enfants, appeler les amis, dire regarder voir – et reprendre souffle –

(39). Jeudi 23 avril 2020 (pourquoi pas lui après tout)

insomnies plutôt – il y avait au programme (c’est vrai que j’ai vu ça sur la une de cette saloperie de site d’orange par lequel je passe pour les mails) des étoiles filantes : bernique rien – regardé à 3, 4, 5 du – rien – des milliards et des milliards d’étoiles tout court – un Fred Vargas en lecture – JJR j’ai arrêté, fait braire – les trente sept mers du globe continue doucement (terminé) – une affaire de géographie – j’ai du passer une étape, je n’ai plus de souvenirs sinon de colère – sans doute à cause de la musique – retrouvé un album entier de Neil Young – seize titres, ça fait passer le temps, sans doute une espèce de best of – le Cowgirl in the sand ou le Down by the river font toujours du bien – la mélancolie de On the beach – je jouais Ambulance blues je me souviens, Concorde, Palais Royal, La Motte-Piquet Grenelle ma préférée je crois –

la disproportion entre le travail qu’il faut fournir pour écrire un livre et le temps qu’il faut pour le lire m’a toujours – de tous temps – outré – de tous temps veut dire à partir du moment où j’ai décidé d’écrire – vingt cinq ans – voilà plus de quarante ans si je compte bien – je me suis dispersé, c’est vrai – c’est cette différence entre les emplois, les statuts, les revenus, les déclarations, les dispositifs qui m’outre aussi – ne se souvenir que des belles choses : le visage de la charcutière dans son camion, lunettes dans les bordeaux, regard dans les bleus « c’est surtout le stress qui me fatigue, je suis fatiguée on ne sait pas pour l’avenir » non, on ne sait pas – pour l’avenir non – une lettre qui me vient de mon grand-père qui ne m’est pas adressée mais qui mentionne mon prénom (image du jour)

est arrivée aujourd’hui (elle est datée de Genève le deux septembre soixante quatre) (la deuxième fois où nous allions en vacances sur les bords du lac, l’herbe qui en borde la plage, le jet d’eau et les cygnes là,au bord du lac – on ne leur jetait pas de pain, non – vaguement pourtant le souvenir de TNPPI – les souvenirs, la lampe en cuivre, la douane volante à Lons-le-Saulnier – et puis la marchande de légumes, « les trois, deux euros – oui, bon trois je les prends ? (elle me sert un kilo de pomme de terre variété amandine – j’en prends un puis un autre et le laisse ah non si vous le touchez vous le prenez… – je le prends, il est dur comme du bois – « en tout ça fera quatre euros », je n’ai que trois quatre vingt dix ne vous inquiétez c’est pas grave – je vous les donne jeudi prochain, je ne suis pas inquiet – son regard un peu incrédule, elle sourit « ça ne fait rien » elle secoue la tête sourit – gentille –

ce n’était pas un homme de grande taille – un mètre soixante quinze sans doute – brun aux oreilles décollées, il portait des lunettes – myope – mangeait sans sel – urée – souffrait de coliques néphrétiques et fumait des gitanes – il appelait sa femme Jacquot (comme Youssouf appelait la sienne Max) et il n’est pas surprenant que les deux apparaissent en même temps : cette affaire de père, de patriarcat sans doute, de protection aussi – le voyage Karachi-Londres par le Cap à la fin des années quarante – celui en sens inverse mais en auto de la fin des années cinquante – la calandre de MG qu’il y avait dans le garage et lui qui écoutait la radio, assis dans sa Honda grise sous l’auvent de Cambo – quand j’y repense, je me dis qu’il n’est plus jamais retourné en Tunisie, contrairement à elle qui y allait souvent – sa manière de laisser derrière soi des choses en pans entiers de sa vie – son sourire et sa joie de vivre – les livres qu’il aimait, le travail qu’il réalisait sur la table de la salle à manger, sa règle à calcul comme son critérium, sa carrière de petit employé à cadre sup service achat France, la méthode Assimil pour apprendre l’anglais et son accent américain – parfois je me demande, pourquoi pas lui après tout ? –

 

(40) Vendredi 24 avril 2020 (fermer le poste)

sans café c’est plus difficile – un verre de jus de fruit seulement – il fallait aller se soigner, peut-être simplement ou seulement les dents – pourquoi seulement ? ce n’était pas grave – nous étions trois ou quatre, la fratrie sans doute, quelque chose comme ça – nous étions arrivés en avance ou le type était en retard – on attendait mais on montait – c’était au 21 rue de la Grande Qualité – au dernier étage sans doute : on y accédait par un escalier en carré qui tournait : d’en bas on pouvait apercevoir le quatrième ou le troisième où était située l’entrée du cabinet – arrivés en haut on nous annonçait que non, tout à l’heure – on apercevait le dentiste, c’était un homme connu blouse blanche qui ressemblait, deux gouttes d’eau, à Pierre Bérégovoy – on redescendait, attendre dans la rue – on mangeait des cacahuètes dans leurs cosses qu’on brisait comme à Tunis ou ailleurs (mais pas à Genève, non) – on attendait, on mangeait,on attendait – je me suis dit qu’avec ces brisures de cacahuètes dans les dents ça allait être un peu gênant – par le fenêtre en bais, cachée sur sa moitié haute par un store vénitien (ah Venise,oui) (image du jour), on parvint à déceler que c’était notre tour – on remontait

 

ramadan ratp masques obligatoires : j’ai fermé le poste

(add du 25 mai : hier fin du ramadan – ducon (pardon le pr) (pardon ceux qui tirent ses ficelles) a dit d’ouvrir les églises et l’ordure vendéenne)

machines à respirer d’Air Liquide fonctionnant uniquement dans les estafettes de l’urgence mais sinon, non – entendu 8500 sur 10 000 inopérantes – je crois que c’était hier – j’ai fermé le poste : l’air liquide est au tableau de la compagnie des agents de change quarante ?

 

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3 Comments

    Tu aurais soudain remplacé l’efflorescence des parenthèses que tu utilises habituellement par – en tout cas : ici – un semis fort prodigue de tirets cadratins ?

    Le confinement ou l’éloignement de Paris pourrait donc provoquer des conséquences inattendues ! Faut-il consulter ?… 🙂

  • Le « être » est de trop (dans « pourrait donc être provoquer »), c’est dû à un changement de dernière seconde.

    Merci de l’éradiquer si possible ! 🙂

  • @Dominique Hasselmann : éradiqué !!! (j’ignorais le qualificatif pour les signes parsemés – on apprend à tout âge -serait-il canonique,comme le mien – ou le tien, certes – mais merci (je garde les parenthèses pour des occupations moins futiles) (ou plus joyeuses) (qui peut savoir ?) (à bientôt) :°))