Pendant le weekend

Atelier été 34. 3 (ouest) & 4 (sud)

 

OUEST

demi-tour sur soi-même, entre le pont de chemin de fer désaffecté et l’hôtel à quatre vingt quinze (ou moins : une chaîne, le truc idoine pour les colloques qui ont lieu au centre de conf, les conventions, les réunions professionnelles, ce genre de choses qui fait marcher le commerce, net d’impôts corporate ressouder les équipes et faire partager les idées de gouvernance) (que du vocabulaire de chiottes pour des actions du même égout – prendre l’argent où il se trouve, les formations, la sécurité la surveillance, la précaution) (financer la politique qui aide à trouver des opportunités et les légalise : enfin, tout le kit) c’est l’ouest qui veut ça (conquérir de nouvelles frontières et éloigner de soi le Mal)

le long du canal se couche l’astre, on passe et longe les immeubles de standing – ici aussi parce que ça c’est Paris – le bassin où donnent des commerces de demi-luxe et une école de cinéma, une autre de publicité, le bio, restaurants et open bar et cinéma librairie et croisières – tout droit vers la rue Lafayette le pont sur les voies de chemin de fer de l’Est, ses diamantaires et en son bas ses galeries, le boulevard du Baron, ses hôtels de luxe, son avenue Friedland son étoile transformée en hommage à Charly, grande armée et représentations automobiles de luxe aussi bien, Maillot Neuilly Défense, Paris et ses beaux quartiers, riches opulents avides, je lisais quelque chose sur la bourgeoisie génoise il y a quelque temps, et ce type – patron, millionnaire – enlevé qui, libéré, réclamait un billet de tramway qu’il y avait dans son portefeuille quand il fut soustrait à l’amour des siens et aussi ses chaussures trouées, la générosité aussi, ces lotissements et ces banquiers, comment se nommaient-ils (les Keller, il semble – les deux frères se lèvent vers cinq heures du matin et commencent leurs consultations, les prêts qui se négocient à leur heure à eux et ce genre de disposition) et aussi Nucingen voilà, cette calèche où il attendait Esther (on se souvient parfaitement de ce Birotteau du trois cent quatre vingt dix sept rue Saint-Honoré, trahi lâché ruiné mort par la grâce de l’un de ces (immondes?) « loups-cerviers »), partout ce luxe affiché, revendiqué, recherché, il y avait dans les années anciennes à main droite avant d’arriver à la porte ce dix-septième (le bon) et on laisse à main gauche ce bois aux turpitudes exacerbées (une marche hier de celles et ceux qu’on nomme inélégamment « travailleurs du sexe » pour la mémoire d’un des leurs tué à la nuit – et la voiture noire, il y a bien dix ans de ça, du secrétaire de la présidence, laquelle siège dans ce huitième qui ouvre les triangles d’Or et autres territoires interdits (socialement) aux gens de peu et aux pauvres – périphérique, Sablons et Argentine Obligado, il y avait là dans les premières années de faculté le domicile d’une jeune femme, il y avait vers septembre soixante quatorze la découverte de ce monde des rallyes et de ces fêtes d’entre-soi, le type avec sa moustache tellement amusant, on riait on allait au cinéma ce n’était pas mon monde pourtant, ce n’était pas qu’il fut spécialement fermé mais il n’était pas mien, il me fallait travailler, il me fallait survivre, s’en aller mais continuer, c’est au fond de l’horizon que se trouvent les palais de cette magistrature suprême (ça en jette un petit peu : quand on voit par qui le poste est tenu, il faut se garder du cynisme mais que nous reste-t-il en les voyant, ces gens?) au fond de l’horizon, là où l’astre disparaît laissant derrière lui des coulées de rouges d’oranges et de mauves

le soir un peu tard en été, la douceur des vents, le rond point des canaux où se calment les remous des eaux noires, devant soi ce pont de chemin de fer qui ne sert plus aux trains, sinon ceux de la sauvegarde de la petite ceinture, une fois l’an peut-être, disparues les usines, les fumées, les trains de bois, disparus aussi les petites gens, les bals et le bœuf gras (une journée par exemple du début du siècle précédent) on descendait l’avenue de l’Allemagne jusqu’à celle de Laumière (général d’artillerie mort au Mexique en 63) pour aller devant la mairie, on allait à Belleville par le boulevard puis on revenait, une espèce de carnaval avec élection de Mademoiselle Villette ou quelque chose, chars danses et musiques, boissons et viandes certainement (le bœuf lauréat enrubanné pesait parfois près d’une tonne… quand même) par la porte de Pantin aujourd’hui autour de la fontaine qui était sur la place de la Liberté (maintenant République) on a disposé des élucubrations d’un jaune pétant, on donne au cinéma des films où on chante et danse, il fait doux le soir, en été

 

 

SUD

tu te souviens, il y avait un type qui voulait prolonger le boulevard Saint-Michel jusqu’à la mer, c’était une promesse de campagne, dans les années soixante, sans doute était-ce post ou ante six huit, je ne sais plus, mais c’est cette direction là qu’on atteint, pano droite gauche à quatre vingt dix qui fait découvrir le reste de cette vague, qui longe donc cette espèce d’allée (ils la nomment galerie, c’est beau comme Versailles et ses glaces) sur la droite pour les enfants un jardin, puis pour se mirer un autre,

puis le pavillon Tusquets dit Blanc puis dit Delouvrier (on oublie tout, on laisse tout aller, le premier nom est celui de l’architecte de cette autre espèce de folie (blanche…), quelques centaines de mètres carrés et l’exposition de Jane, les cuisines du monde devaient s’y côtoyer mais non, lieu d’exposition – puis le mandala, les médecins navajos et d’autres encore) à gauche une librairie (propriété de la boîte possédée par la locataire aujourd’hui du ministère de la rue de Valois, com surtout tu sais bien – n’a pas attendu d’être au gouvernement pour faire des affaires, c’est ainsi, c’est la société dite civile) laisse aller, laisse tomber, toutes sortes de choses pour distraire le salarié fatigué (pouvoir d’achat, bambins, tatouages invisibles bermudas tongues barbalak et tout le tout venant – pas que, certes – il y avait ce film Ceravamo tanto amati, il y avait des films italiens), et justement au bout de la perspective

 

qui passe par les Buttes Chaumont (jardin en devers, pelouse du même tonneau, cascade, grottes et pont des suicidés) et le cimetière du Père Lachaise (tant de célébrités, Edith Piaf peut-être et Jean Cocteau peut-être je ne sais plus je me souviens de leurs morts proches de celle si dramatique (un assassinat) de ce bellâtre assez libidinal – Charly le recevant, et disant à sa femme légitime qu’elle avait des ancêtres français – guerre d’Algérie et accords d’Evian à venir, il me semble mais je ne sais plus, je ne vérifie pas je devrais, on se doit, on ne le fait pas on n’a pas les outils les vacances, le soleil, la mer bleue et le vert des pâturages) – il y avait ce film sur elle dans son tailleur rose taché du sang de son mari, Dallas, et les mémoires de Dean Martin, et Marylin Monroe « happy birthday » comment pardonner – et à qui ? – cette décennie, les boys le Viet-Cong, et puis ces coups de feu, le pistolet dans le ventre de Lee Harvey Oswald, la condamnation à mort de Jack Ruby, Etats-Unis – ce qui nous fonde, ce qui nous revient, la gare de Lyon et les trains de nuit en direction des vacances, ensuite en auto, Genève ou la Croix-Valmer par Toulon par Hyères, loin, là-bas, Ramatuelle quelque chose les cageots de pêches – puis passer le pont la Seine, le jardin et la première nuit blanche parisienne avec la visite à six du matin de la galerie de paléontologie jamais ouverte au public, le boulevard qui monte et longe l’hôpital où mourut ma tante après cent-un ans ici, je me souviens des draps jaunes de l’ombre sur ses cheveux blancs petite, sur ce lit, la vie passe et justement au bout de cette perspective la place d’Italie, sa porte tout autant, d’autres choses encore pour des enquêtes dans le treize, comme la mort de ce type lors des attentats de quatre vingt quinze – je ne me souviens plus, ça me reviendra et je le poserai, quelque chose de Maison Blanche (ce n’est pas cette maison blanche-là mais une autre du côté de Vénissieux qui vit la mort de Khaled Kelkal) mais Tolbiac et son métro, ses tours et les entrepôts des frères Tang comme il y a les Taviani les Larrieu les Dardenne, le cinéma ici découvertes les études qui y menait, ici au quatrième sous-sol les films sur des étagères de fer, les multiples numéros de l’avant scène et les « prenez ce que vous voulez » de Claude Beylie, et puis, et puis il y aura Ivry et les boucles de la Seine, Vitry puis au loin, et la Seine (« de nouveau ruisselle d’eau bénite et chacun est rentré chez son automobile ») et puis, pour finir, il faut finir, sans chronomètre, sans chanson, sans Moondog, il faut finir sur la douceur du soir, Orly, cent mille volts, et les images arrêtées de la Jetée et celle qui voit le regard de cette femme, unique, probablement sublime, un mouvement, un seul, là, et aussi pour revenir au Nord, les questions et les réponses de Jean Seberg jouant Patricia à Jean-Pierre Melville jouant Parvulesco, écrivain un pseudonyme sûrement, des chansons il en faudrait, du travail qui se termine, des cieux, des vacances des gens, d’autres encore et encore d’autres et puis pour finir, doucement il fait doux, doucement, le mauve des cheveux de ma grand-mère, doucement tout doucement 

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2 Comments

    et voilà que je perds une de mes fausses croyances. Je croyais que c’était Mouna Aguigui… mais il ne s’est pas présenté en 68 – entré « prolonger….  » sur Google et c’était une génération avant nous, Ferdinand Lop qui s’est présenté plusieurs fois avec ce programme entre 46 et 58 (désolée… de vous faire partager mes illusions – suis certaine que je n’étais pas la seule 🙂
    et ceci n’enlève rein au texte d’autant que c’est évoqué au conditionnel un peu comme une légende générationnelle

  • @brigetoun : ah! Mouna oui, on le croise dans cette volonté de prolonger le boulevard : on l’aimait quand il balançait sur son public des graines pour qu’il en prenne… merci de vos (attentives) lectures…