Atelier 18.2 19 & 20
j’ai commencé par la fin, pour voir de quoi il retournait à Bordeaux, puis Toulouse, puis ailleurs. Le texte écrit ensuite a été légèrement travaillé – Moondog Bird’s lament dure 26 minutes dans sa version étendue – il agit comme un chronomètre, mais la contrainte et la discipline m’ennuient profondément, je ne les suis que peu.
19. consigne : enlever un à un tous les liens du lieu point de départ avec son assignation réelle, plus de toponyme, rien qu’une recréation mentale, légère, irréelle, qui s’ouvre alors en miroirs à tous les miroirs, fantômes, comparaisons
Un parc ici et ailleurs
Il y en a partout, ce n’est pas si compliqué non plus, c’est la nature en ville, quelque chose avec des arbres de l’herbe et sans caisses s’il te plaît, une espèce de havre – j’avais commencé par imaginer ceux d’ici, on s’en fout, ceux d’ailleurs – Toulouse (pardon, image du Mirail – un documentaire écouté sur ce qui s’y est passé : édifiant)
et Bordeaux, celui de Lyon tête d’or et zoo, il y avait la Hotoie
dans le temps, il y avait aussi
ceux de Berlin les jardins ouvriers
ou ceux de Fribourg, un peu partout, commencer à retrouver la terre, le béton on en a soupé, la puanteur des autos aussi et le bruit, il y a la qualité du bruit tout autant, chacun fait ce qui lui plaît – ceux de Venise partent de la rue Garibaldi, ou Tunis le Belvédère – des voitures comme s’il en roulait, catastrophe, je ne sais pas je n’y suis pas allé, je ne sais pas et je m’en fous un peu – ça concerne quand même aussi le travail et la relation particulière qu’on établit avec d’autres, les coureurs à pied ou les cyclistes, les sportifs, les danseurs les gymnastes et les musiciens, les aficionados du ballon rond qui ne font pas le voyage pour rien – là c’est forcé de parler de ça comme c’est forcé, tout autant que de parler des répétitions des obsèques de STGME2 organisées (c’est féminin les obsèques, on en apprend tous les jours) (et il n’y en a pas qu’une, imagine-toi) il y a peu, avant qu’elle ne réapparaisse, l’une des plus grands fortunes du monde, en habits de couleurs, la cérémonie des clés d’Edimbourg
j’ai vu ça – et celui du jardin botanique, le reste du monde, ouverture sur le reste de la ville, celui de Barcelone qui domine la ville comme celui de Gênes – je ne me souviens plus du jardin botanique de Gênes, mais je me trompe (c’est le cimetière), je ne me souviens plus non plus s’il y avait un jardin à Istanbul Topkapi sans point sur l’i, quelque chose peut-être bien, un jardin des fleurs et des arbres, centenaires si possible, quelque chose qui aurait à voir avec le calme d’un cimetière, celui de San-Michele qu’on voit
de Fondamenta nuove, ici c’est ici que tu perds ton temps, tu laisses aller même s’il pleut, tu perds ton temps tu attends que ça veuille bien passer, tu lis ou tu peux faire des mots croisés, tu t’allonges sur l’herbe, s’il fait trop chaud tu cherches de l’ombre, tu es là, attendant un peu, tu as pris une bouteille d’eau, des biscuits, quelque chose qui n’a pas d’heure – tout le contraire du travail, tu remarqueras, non rien je ne fais rien, je passe, je regarde et je m’en vais – tous les jours ? – tous les jours, tous les jours… sauf pendant les vacances, mais alors je vais dans celui de la Baule, je reste assis sur un banc, et j’attends que le temps passe aussi… c’est ma nature, c‘est un peu la même chose… un lieu qu’on fréquente et qui vous permet doublier que le temps passe, que les tempes blanchissent, que ça s’accumule, c’est là au creux des articulations et on le perçoit plus en hiver, parfois l’eau reste figée gelée prise dans ses rives gardée par le froid le gel la glace les jours qui sont sans plus de lendemain, ils font des barbecues les Danois sous les arbres
je ne sais plus attends, les jardins du Roi (Kongens have) quelque chose dans le genre, le truc des princes et de leurs enfants, une lente promenade (je me souviens
de ceux que fréquentait Redmond Barry, avec le chevalier je ne sais plus, oui de Balibari, une mouche sur la joue et un œil en moins, avant son mariage maudit – ces lumières et ces sourires, ah Marisa…) au loin lorsque le soleil s’en va, les ombres croissent le canal stagne et les enfants ont faim, on rentre, les coureurs s’échinent et suent, il peut bien pleuvoir, partout et n’importe où, les premiers pas, les sourires, les chutes et les pleurs, on apprend à faire du vélo, du patin à roulettes, les gens rient, les gens pleurent mais qu’on me laisse tranquille au moins, je lis, silence, un peu de silence, ça n’a pas la qualité de la plage mais presque les atours, à l’été on se dévêt, on lit seins nus allongé sur le ventre, on apporte son transistor et on écoute la retransmission du tour de France ou quelque autre bazar si propice au rêve ou à l’inaction, on a apporté des fruits, des serviettes, il fait chaud, il fait bon, on n’attend pas grand-chose du reste de l’après midi, sinon de se reposer un peu, de laisser filer un temps qui ne nous appartient pas ou plus on s’en fiche pas mal, du temps, « c’qui peut m’arriver n’importe quoi, jm’en fous pas mal j’ai mon amour qui est à moi» qu’il passe au moins qu’on l’oublie, un lieu simple et tranquille, sans histoire et presque sans lendemain, de l’herbe (les huit cent sept brins d’herbe), des arbres, des gens de l’eau, la pluie ou le soleil, le temps qui fuit, et les enfants qui grandissent et les vieux qui s’assoient au bord du banc
20. consigne : dans L’équipée malaise de Jean Échenoz, un clochard s’héberge clandestinement dans le musée Jacquemart-André : bibliothèques, musées, appartements vides, stations de métro, centres commerciaux où la musique d’ambiance et les messages de service continuent le dimanche : comment est-ce que vivent ces lieux quand personne n’est là pour les décrire ? comment écrire quand y projeter un narrateur est impossible ? on voudrait une proposition libre, dérivante, exploratoire
(sans illustration pour le moment)
Les âmes mortes
dormir, et rêver des âmes mortes, les saxophones silencieux, des animaux, ou des chats, leurs yeux qui fixent un moment la nuit, et qui passent, pendant ce temps-là, l’eau stagne, il va pleuvoir, au ciel passent les nuages, c’est dehors, il y a certainement des gens aux turpitudes délivrées qui cherchent quelque chose comme l’aventure pendant que les bourgeois dorment et digèrent la viande et le vin, ils s’en sont allés et se sont endormis après la fin du concert du film, ils ont parlé discuté argumenté, ils ont peut-être bu un dernier verre, une bière une boite, il y a là les regards des animaux qui attendent qu’ils s’en aillent, on ne ferme rien il n’y a rien à fermer, les humains sortent s’en vont, rejoignent leurs cases, il n’y a rien qui bouge, le vent lui-même a du mal à vivre, c’est là, c’est la nuit, rien ne rôde non plus, seule peut-être une goule discrète s’évade dans le ciel noir, ça ne chante plus c’est calme et silencieux, les pavés ne brillent pas, les feuilles des arbres doucement dans l’air calme ne bougent presque pas, seules elles respirent doucement, on ne voit rien, sans lumière et sans bruit, seul un tout petit murmure parfois, au fond, tout au fond du silence, loin dans la ville, au loin, là où le soleil s’en est allé il y a des heures, peut- être, un signal, une lumière diffuse quelque chose, au loin qui montre que la vie n’a pas complètement déserté ce coin de terre, on dort et il ne se passe rien, il y a là le musée et ses groupes qui diffusent une vague sensation de chaleur, il y a les salles de spectacles qui reposent, les restaurants et leurs déchets, les vieilles bouteilles vides, les détritus, les restes de boites d’aliment, les torchons de papier, les eaux usées et les égouts mais tout est calme, paisible, tranquille tandis qu’au bout du monde ou à quelques kilomètres on se tue, on s’écharpe on se hait, femmes enfants vieillards meurent sous les coups, noyés violés humiliés mais ici, le calme la volupté presque, si un couple s’est évadé dans quelque buisson, ils ne se parlent qu’en chuchotant, personne d’autre qu’eux-mêmes n’entend, seuls, personne ne les perçoit, le vent léger et presque apaisé, plus de bruits plus de lumière plus de musique, rien que dans quelques minutes peut-être l’apparition de la rosée sur les brins d’herbe des pelouses, le frais le froid de la nuit oui, quelques vaguelettes sur les rives du canal les caressent, rien, doucement, tandis qu’ailleurs – ici à la nuit, une espèce de bonheur, peut-être niais, peut-être idiot, sensible mais pas aux bruits du monde, le creux de la nuit entre trois et quatre, personne ne le sait, personne ne le sent, les ponts, les quais, les rives, les arbres, le bouquet de ces trois-là, les petites lumières bleues qui vont s’éteindre, bientôt derrière les moulins la lueur paraîtra comme chaque jour, chaque matin, les bancs sont déserts, bientôt les bus de nuit de la ville convoieront des femmes fatiguées et noires qui viendront vider les poubelles des banques, nettoyer les toilettes des banquiers, passer un coup de wassingue pour que le reflet des pas des puissants puissent exister le temps qu’ils passent pressés et affairés (à quoi ?) dans ce hall, ce marbre, ces atours excessifs et protubérants, logos enseignes marques images communication là-bas au loin et que ça y reste, derrière le pont du périphérique où commencent à tourner voitures taxis camions, le temps qui s’écoule le calme renaissant et disparaissant là, à l’ouest Babylone, à l’est l’astre qui paraîtra, tout à l’heure mais pour l’heure, maintenant, ici, tout est souple et simple, doucement un air frais passe, sans bruit comme au paradis et si tu écoutes bien, loin, très loin, là-bas tu ne saurais dire exactement où mais tu en auras l’écho, tout à l’heure, furtivement dans le jour, plus tard, l’air de cette chanson
retrouvé texte apprécié très nettement enrichi en images 🙂