Atelier été 18.2.11 & 12
intitulé « errances » (à présent « flottements renverses ») on en fait ce qu’on en peut (c’est loin, c’est autre chose mais ça ne fait rien, ça fait écrire) (illustrer avec des pochettes, par exemple)
consigne 11 : lieu non lieu
choisir, quelque part dans la ville, une de ces petites bulles d’intérieur qui sont aussi des espaces publics, et la faire exister telle quelle, comme nous la vivons tous
Cette nuit j’ai rêvé qu’Alain Chamfort s’était suicidé – ça m’a fait tout bizarre, je me suis dit qu’il devait avoir eu connaissance de son cancer irrémédiable et qu’il avait voulu en finir – je crois bien qu’il est de 48 ce qui lui en fait soixante dix aux pelotes – on l’avait reçu du temps de radio ivre dans cette émission et au théâtre noir (zeugme) où il était apparu dans son blouson de cuir tout aussi noir mais de marque suédoise – tu sais que la mémoire est quelque chose d’extrêmement sélectif – et qu’elle aime à jouer des tours – « j’ai la fièvre dans le sang » disait-il
et ce fut une nouvelle qui m’affecta, vraiment, tant que je suis allé voir s’il s’agissait de la réalité, mais non a fait wiki, non, il est de 49 déjà il use d’un pseudonyme et ne dispose pas encore d’une date de décès : il est donc bien vivant, ce n’était qu’une espèce de rêve, les chansons, c’est ici cette espèce de lieu qu’on aura à l’esprit, « avec son tralala »
chantait Suzy Delair – dans « l’Assassin habite au vingt et un » ? ou dans « Quai des orfèvres » ? ce que j’ai aimé ce film, il y a tant d’années, c’était Simone Renant, et surtout Jouvet que j’aimais tant, cette façon d’agonir le cinéma, cette image de lui allant à l’Athénée, et puis un jour, il y a dix ans de ça, dans cette impasse de la rive gauche
je m’adresse à un type qui l’emprunte, lui demandant où se trouve donc le théâtre, il me dit « c’est fermé depuis un moment vous savez », non, je ne savais pas (il s’agit du théâtre Récamier, ainsi que le nom de l’impasse – qui est intitulée rue…), le type portait un panier comme on en prend pour aller faire ses courses au marché, c’était Philippe Labro qui passait par là, doit habiter l’impasse j’imagine, je ne l’a pas reconnu immédiatement mais à un moment, oui et il l’a vu, j’ai vu qu’il l’avait vu, il m’a souri s’en est allé avec son couffin, un peu comme celui de BC – elle se reconnaîtra – au coin de cette impasse se trouve le faiseur de costumes où, lorsqu’il fut plus aisé, vers soixante cinq ou six, s’habillait mon père aux soldes d’hiver, en traversant la rue l’hôtel qui abritait la Gestapo du début des années quarante, cette ville-là, ces chansons-là, ces lieux-là, « cette fille m’échauffe les sangs » disait le chanteur, « jme présente je m’appelle henri » disait un autre, cette époque de la radio fin soixante dix, cette autre que j’aime tant « pour pouvoir faire mon numéro » (c’est Claude Dubois)
fariboles ou fichaises, foutaises et scies, des choses qu’on entend sans le savoir, qu’on écoute sans le vouloir, ce « et si ce jour-là tu as de la peine, alors cours jusqu’à perdre haleine viens me retrouver » ou alors d’autres encore dans d’autres dialectes comme « when you’re down in trouble and you need a helping hand and nothing nothing is going right » cette imagerie un peu à la rose, un peu à la sirop, des enfants, « mama is in the alley she’s looking for food » ou quelque chose comme « you don’t need the weather man to know where the wind blows » ce genre (on n’est pas prix Nobel pour rien)(ou alors si) (il paraît que le jury littéraire en a trop fait – ce genre de nouvelles si régénérantes) ce sont ces coins-là de la mémoire qui reviennent, on est là, juste à bosser, compter, regarder, les trois arbres, les filins d’acier, les gens qui vivent et marchent et bougent et passent et puis tout à coup « les hélices astrojet whisperjet Clipper jet turbo à propos » de Charlebois et sa bière qui y mène, dit-on, qu’en sait-on tout à fait, ces images je me souviens qu’alors dans le poste on entendait Campus de Michel Lancelot, c’est comme une antienne, offrir le disque peut-être si on lui envoyait les paroles de ce Lindberg (avec Louise Forestier, Robert Charlebois)
ce n’est pas un lieu, non mais on s’y retrouve, on y passe, c’est là, au coin de l’oreille, au creux de ton épaule, c’est là ça vous veut du bien, je ne mets plus de guillemets mais elles doivent s’y trouver, j’oublie parce que Moondog en même temps tient lieu de chronomètre, il nous faut des dispositions et des contraintes, on les adopte ou on les rejette mais il nous les faut, on en est là, aller vite, l’image de Jean-Paul Török
qui nous disait « il faut savoir taper à la machine, à un moment l’écriture va à la vitesse de la pensée » ses lunettes sa timidité, cette salle de l’institut d’arts et archéologie, après l’armée, les chants en marchant, cette saloperie cette discipline eh bien, la voilà, il fait beau je crois, un peu toujours, « quand l’avion se pose sur la piste, à Rotterdam ou à Rio » c’est bien c’est ça, c’est là, le rond-point des mémoires ce n’était qu’un rêve
consigne 12 : intérieurs extérieurs
extension de la précédente, encore un lieu décrit de l’intérieur, et lieu à usage public, mais cette fois lieu de traverse ou déambulation
Ce n’est qu’à la douzième reprise de ce travail (est-ce un travail?) que me vient l’idée de son utilité. Il y a beaucoup de contraintes à écrire sur tel ou tel sujet, cette ville insensée, faite de noms de rues et de dispositifs, d’emplacements et de croisements dont l’architecture invente le territoire. Elle est placée à la périphérie de la grande Babylone
mais il ne m’est de rien de la décrire : j’ai le sentiment parfois de flatter cette existence, d’en faire une espèce de panégyrique, d’apologie ou quelque chose qui serait de l’ordre du sirop, une sorte de flatulence, un compliment, un remerciement pour la main qui m’a nourri, au lieu de la mordre, mais qui m’a aussi retiré ce qu’elle m’a donné, pour une part. J’ai des comptes à régler, probablement, et il s’agissait de s’en tenir à cette utilité-là. Or l’écriture a des qualités plus importantes et notamment universelles, que je ne parviens pas à retrouver dans ces exercices, ou alors de loin en loin. J’y parle certes de ces chansons qui sont, d’une certaine manière le sens de la vie, de la mienne peut-être (je n’en écris pas, j’en chante parfois, j’en écoute, beaucoup) (la montre de ces exercices, cachée certes dans la profusion, mais existant quand même – cette page a reçu dit le compteur trois cent vingt et une visites depuis son ouverture – est une profonde entorse à ma timidité) et du travail, qui est aussi quelque chose auquel je tiens (la description entreprise dans ces exercices est celle d’un lieu du travail qui s’est évaporé, après la nuit électrique, dont j’ai retrouvé il y a peu la facture, datée de septembre 2002, d’un montant de trois cent quatre vingt cinq euros, une quinzaine d’entretiens réalisés, retranscrits et analysés : ce travail ne plut pas au commanditaire, notamment celui qui programmait cette nuit et le travail, alors, me fut retiré sans qu’on m’en eût dit plus que rien – c’est ainsi que procède ce monde, c’était il y a plus de quinze ans, j’ai tiré de ces expériences un certain nombre de textes que je publierai certainement) : au moment où j’avais entrepris de comprendre, dans une autre partie du jeu, un autre compartiment, un autre endroit – sur l’autre rive où on attribuait aussi d’autres contrats, mieux payés, à d’autres mais dans quelle mesure étaient-ils plus fondés que moi à demander ces tarifs et surtout ces travaux ? – à ce moment-là, j’avais quarante cinq ans, deux enfants de sept et cinq ans, et je n’employais guère de monde, je me mis en tête de reprendre des études – de sociologie – je m’inscrivis à l’école, y passai un diplôme d’études approfondies pensant naïvement que le diplôme aurait la magie de me faire arriver à des travaux situés dans une part du monde qui me siérait plus. Non, mais pour ces études-là, j’avais été trouver un directeur de recherches
un homme aux cheveux blancs, qui souriait, je l’avais toujours beaucoup aimé pour ses livres, et il se trouvait qu’alors, dans cette partie du monde où je travaillais alors, allait ouvrir un lieu dédié à la chanson : mes diverses rencontres dans le parc penchaient parfois vers des réminiscences d’enquêtés et je me disais que parler avec eux des chansons qu’ils aimaient serait d’une grande utilité pour comprendre le monde dans lequel ils vivaient et notamment le lieu qu’ils fréquentaient. J’en parlais à cet homme, Marc Augé, qui me dit « un directeur on vous en trouvera toujours un, foncez ! » et j’ai donc foncé sauf que le lieu n’ouvrit que virtuellement, à peine, et que le temps parvint à ses fins : j’avais un mémoire à produire, je n’avais pas le temps d’attendre, j’ai travaillé sur les études menées sur ce territoire depuis son ouverture (au recensement, il y en avait plus de quatre cents dont quelques unes signées de moi-même, je les lus, les classai, en tirai un travail et en septembre deux mille, je me vis remettre mon diplôme : il ne me servit à rien). Mais les chansons restaient ainsi que celles que j’interprétais du temps des cours de théâtre que je suivais, parallèlement à mes études de cinéma, vingt ans plus tôt, où la professeure terminait tous les cours par « Pierre ta chanson », et je montais sur scène interpréter « Amsterdam »
ou quelque autre chose du genre « il s’est levé à mon approche, debout il était plus petit » (Magali Noël, ici dans Amarcord Frederico Fellini)
et les paroles reviennent, et ainsi aussi pour le diplôme avais-je produit une copieuse réflexion sur mon parcours ou le travail à mener pour qu’il puisse être efficace c’est-à-dire parvenir à me nourrir et à nourrir ma famille. J’y parvins, mais ici, quelle utilité ? Aucune non plus, il fait beau, certes, j’ai passé soixante cinq ans, et la musique du travail se termine
merci pour ces retrouvailles illustrées