Atelier d’écriture en ligne Pierre Ménard 3
Je me suis demandé où ça pouvait bien commencer, et j’ai décidé de donner deux tours de clé à la porte (quand on sort en dernier, c’est le principe), on prend à droite, une autre donne vers l’escalier – il est fixe – l’ascenseur, comme l’indique son nom, ne sert qu’à monter – c’est le principe – ça tourne pas mal, on ne va commencer à compter, on n’en finirait pas, ça tourne encore, puis encore, puis encore, là une autre porte (coupe-feu, à maintenir fermée – un groom s’en charge), puis une autre puis une autre encore (on ne va pas aller vérifier si un courrier est arrivé, on passe, on ignore, on avance, on sait où on va, le temps qu’on mettra, ce qu’on fera pendant ce temps-là, tout est réglé par l’habitude) puis une autre, puis une autre (on est vraiment bien gardés) puis à droite, trente à quarante mètres (on ne va commencer à compter, mais sans chiffre et sans nombre, on serait bien embêté) (encore que ça puisse se discuter – si je commence on n’en finira pas) à droite
monter la rue, bijoux, tabac, parrain, pain, traverser ici ou là, continuer encore boucherie Zorba puis traverser, prendre l’escalier (fixe) le plus proche de l’entrée pour ne pas se cogner des couloirs inutilement – par temps de pluie, ça peut se discuter, mais là, non, il ne fait pas si moche, ni si froid, c’est le début du printemps, ça va encore, on marche d’un pas gai et joyeux, on va gagner sa vie – droite, gauche, gauche encore carte orange (ça ne se nomme plus comme ça) (mais à l’année pour éviter les attentes de début de mois) sonnerie, prendre à droite, si besoin la présenter au contrôleur – avoir envie de crier « contrôleur ! » en s’en allant et le faire au besoin – tout droit – plutôt chômeur que contrôleur ? ah bah… quel choix -, descendre l’escalier fixe, accéder au quai, stop ici parce que la science de l’habitude indique qu’à l’arrivée, il faudra se diriger vers cette sortie-là, en queue de train, pour éviter l’affluence toujours importante le mardi – c’est jour de marché
ainsi que le vendredi– attendre un moment, se préparer à lire ou pas, tout dépend (de quoi, c’est tout le problème, si c’en est un), arrive la rame en station
(et non en gare : le métro stationne mais ne se gare pas) peut-être tenter une image avec le téléphone qui sert d’appareil photo (on appelle cette engeance un smartphone, élégant ou intelligent plus son, quelque chose d’hybride, de plat, de brillant et de fragile et donc de facilement cassable mais qui ne fait pas encore ni ouvre-boîte ni couteau à huîtres : opter alors pour le couteau suisse, qui n’a pas, certes, les mêmes usages) monter, ne pas chercher à s’asseoir (sauf à certains moments de haine noire pour le monde et ses affidés), attendre un moment, laisser divaguer le regard (c’est mâle ou femelle – le matin très tôt c’est plutôt mâle – pour une bonne moitié, ça consulte son smartphone – élégant ou intelligent – ça joue ça lit
ça dépend ça peut aussi parler fort dans le bigo mais là, on les agonit on siffle on tousse on fusille du regard enfin on n’aime pas : le (ou la) bigophonant.e (comme on dit maintenant) lui.elle (idem), s’en tamponne parfaitement et continue à parler avec sa mère sa femme son père son homme n’importe ça discute – un gros quart lit, le reste (entre 12 et 15%) soit dort, soit patiente – on compte mais c’est juste pour donner une idée : mais des idées on en a, on n’a juste pas besoin qu’on nous en donne -, premier arrêt ouverture des portes montées descentes sonnerie fermeture puis le métro sort et domine les rues, un type passe et mendie « excusez-moi de vous déranger pendant votre trajet, je m’appelle Marcel… » on lui donne un sourire pas de pièce, côté gauche la station-service standard oil où le litre se négocie à un quarante-deux (ce qui fait monter le plein à cent euros quand même), puis la file d’attente pour cette institution où se pressent des malheureux qui attendent sous des couvertures dorées ou argentées, des jeunes gens, afghans syriens que sais-je qui fuient des pays en guerre, c’est ainsi qu’on les traite tu vois, terriblement navrant, on en voudrait au monde entier mais le train s’arrête, le monde ne monte guère, il repart, tourne autour de la rotonde, tourne à nouveau
et croise le faubourg, stoppe, on descend, tout de suite à droite – passage interdit : n’importe quoi – une volée de marche, droite gauche, une autre, un pallier, une autre (escalier fixe qui en longe un roulant) et ici en bas deux écoles : soit tout droit, soit à droite (aujourd’hui, il fait beau, on va tout droit – sinon
interminable couloir peuplé de publicités obscènes et souriantes et cons et gaies et si belles et désirables et attentives et charmantes, qui nous veulent tellement de bien, tu comprends puis gauche droite marches droite gauche gauche marches encore pallier marches à droite on est sur le quai qu’il faut arpenter – on va vers la tête – mais là non) tout droit (école deux) on sort par une porte automatique, au besoin laisser entrer qui veut, au bout du couloir un escalier mécanique (ou escalator, ou le contraire de fixe, c’est quoi, c’est mobile ? le jargon devrait le dire – roulant ?) qui transporte jusqu’à la rue (on stationne sur une marche, on s’économise, c’est l’âge sans doute, ou le temps qu’on maîtrise, ou l’envie de glander ou n’importe quoi d’autre), à droite, on traverse le boulevard et on marche, on passe devant une banque, on prend l’avenue, on traverse, à gauche une pizzeria clignote en rouge, tout droit pour chercher l’entrée du métro, cet immense bâtiment dans les bleus c’est la sécurité sociale, marches droite, couloir droite encore, carte sonnerie machin aux jambes portillon gauche droite, marches à descendre quai (raccord école une), métro à nouveau – on attend, on reste en tête, on attend, on monte même jeu –
une image ici d’une dame qui porte des brassées de buis, de cet homme barbu de blanc chapeau sur le crane au deuxième plan, ou pas d’image, non, laisser, prendre son livre dans le sac ou pas, non, laisser aller les pensées où elles veulent (les nombres, les chiffres, les marches, les carrés, les angles les roues les rails parallèles qui jamais ne se rejoignent, les cris des aiguillages et des freins, ceux des portes ouvertes les gens les milliers de gens qui vont viennent vaquent comme quiconque, cabas, à roulettes, sacs, à dos ou pas, des quidams, des unes-telles des pékins, casques aux oreilles et tatouages
colliers ou vestes de couleur chaussures de sport criardes manteaux noirs, barbalakon chemise cols ouverts cravates cheveux longs chignons, « vestes à carreaux ou bien smoking » (non, smoking, non, jamais – ou du moins jamais vu…) Jean-Roger Caussimon ou Catherine Sauvage, fredonner, voir sentir essayer d’entendre et de se souvenir des belles choses, avancer en âge, combattre l’ennui et la vacuité, adorer ne rien faire et détester la concurrence comme la performance mais s’apprêter à affronter le monde quand même, les collègues ou pas, les amis ou non – ici à l’arrivée on descend le plus souvent à gauche, c’est ainsi à la porte, c’est la porte ici – la volée de marches, puis à droite, on arrive une porte automatique (si quelqu’un ici, aussi, veut entrer par là, on pose le pied pour ouvrir on laisse passer, on se frôle on se dit merci de rien, à plus), on sort, à droite
l’escalier qui roule encore, qui monte parfois il crie, à gauche encore à droite c’est le tram la porte le périphérique les voies qui vont à l’est, on arrive presque, à gauche, on ouvre le sac on cherche le badge qu’on a mis là hier soir, entouré de son cordon rouge, on le présente au lecteur qui déclenche l’ouverture automatique et électrique de la porte d’entrée « entrée du personnel » un groom la referme derrière soi, on entre on est arrivé, bonjour si on ne connaît pas, salut on serre une main, on plaisante si on connaît mieux, on est là, on entre la deuxième porte qui s’ouvre seule automatiquement qui roule et puis et puis et puis
texte produit pour l’atelier d’écriture en ligne de Pierre Ménard (qu’on remercie ici), tordant à peine la consigne (les images sont prises dans les archives récentes ou pas)
superbe ! mais c’est pas juste… y en a à voir sur vos trajets, moi mes milieux de matinée dans les rues d’Avignon c’est désertique ou presque ou je cherche de mauvaises excuses.
Vins juste de vous rattraper (pas pour la qualité) sur tiers livre puisque François Bon en a publié huit d’un coup
mais sur liminaire ait deux propostions de retard, vais en rester au plaisir de vous lire et là de cueillir plein de choses et gens sur notre passage
Je pense que le couteau suisse fera un jour téléphone, c’est une des fonctions qui sont indispensables à son faible encombrement, à son esthétique et à son côté bien sûr pratique… 🙂