95-96 Trois (week-end studieux) (Oublier Paris #62)
Le fleuve étant en crue, il a fallu sacrifier au rite (un peu comme quand il neige, on sort, on va voir, on respire, on regarde)
mon amie MJ m’avait indiqué (j’ai pris la photo en sortant du rendez-vous que j’avais avec elle au café qui fait le coin du quai et du débouché du pont Louis Philippe) (lutétia sans doute) que la librairie du boulevard Raspail avait été refaite, j’y suis allé jeter un oeil, je n’ai pas aimé du tout cette nouvelle facture, n’importe, (il y avait même Antoine à l’inauguration) je suis allé acheter des fleurs pour TNPPI et il y avait là cet animal orange
(la chanson « L’homme orange » qui fait cet homme étrange dans on déshabillé orange etc… ) (j’aime le couple en haut gauche cadre, lui qui montre ce que l’autre regarde), j’ai plaisanté avec la jeune vendeuse puis m’en suis allé par la rue du Bac mais il n’y a plus de bac, dans les Tuileries, cette grille (la photo est inique mais j’avais pensé qu’elle serait dans les tons de l’esprit qui m’animait alors
: en fait, elle est moche mais c’est l’or qui protège le jardin, il y avait là une quinzaine de jeunes filles japonaises qui riaient beaucoup des fleurs dans les cheveux (elles venaient de la boutique -hors de prix- de la rue des Pyramides, fermée alors) comme il était tôt (enfin trop tôt pour voir TNPPI qui dormait m’a-t-on dit) j’ai patienté en faisant un tour du quartier (rue Saint-Honoré rue de Castiglione rue de Rivoli rue des Pyramides et encore) (tourisme de luxe : j’ai vu qu’on avait changé le nom de l’hôtel Intercontinental en quelque chose d’anglo-saxon à lak, il y avait pléthore de berlines noires teutonnes chromées vitres teintées pour la venue de quelque chose de la Corée), comme il était encore tôt je m’en suis revenu au jardin où m’attendait cet animal à deux points
et puis le temps passait, les touristes avec leur manche à selfie s’en réalisaient des dizaines, la tour Eiffel était en fond sonore, la pluie ne tombait pas mais il s’en fallait d’un cheveu (ce même cheveu dont on se servait pour fabriquer un hygromètre en cours de sciences nat en quatrième), comme il commençait à être l’heure, je suis monté mais elle dormait, j’ai laissé les fleurs, je l’ai regardée assoupie je suis parti
j’avais un rendez-vous (une sorte de rendez-vous, un endroit où aller boire une ou deux coupes de champagnes, en haut d’une tour
– je reconnais que celle-ci est assez improbable mais on reconnait quand même la marquise rouge de l’Atlantique, la prochaine sera plus en verve-
si on veut, le dôme doré d’une élégance si prétentieuse des Invalides, la bruine épaisse, à l’intérieur les gens qui parlent, le buffet est ouvert, les coupes de champagne, les petits fours, le libraire et le représentant des propriétaires, dehors brillait la brume couvrant le champs de Mars
j’ai marché, repris l’ascenseur. Là, j’ai reconnu l’un de mes profs de cinéma (il enseignait alors l’anglais) alors que la plupart (Claude Beylie, Jacques Goimard, Jean-Paul Török, Eric Rohmer) nous ont quittés depuis quelque temps, lui ne m’a pas reconnu vois-tu mais je lui ai dit que j’avais été son élève il a eu une sorte de sourire dans ses yeux (dans ses yeux seulement, le type ne sourit que peu, une timidité relative, sans doute), j’ai marché descendant la rue de l’Arrivée, en pensant aux loueurs des Aigrain sur le bord des quais de Saint-Mammès (ça ne va pas trop mal, merci…), en avançant sur la rue de Rennes, descendant encore le long de la rue, j’ai pris le métro pour te rejoindre au Louxor où on a été voir « Tunisia Clash » (Hind Meddeb, 2016) le film narre un peu la vie de jeunes rappeurs en but aux exactions de la police qui, furieusement rappelle ce que la police d’ici fait endurer aux manifestations contre la loi scélérate (cette photo-là n’est pas de moi) (mais c’est Tunis quand même, le mont Boukornine au fond et entre les immeubles du premier plan et lui, la lagune probablement traversée par le TGM)
et puis c’était hier, et puis ce matin il a bien fallu aller travailler, alors l’homme dormait dans le métro, il n’était pas si tôt non plus, mais le type dormait
(recadré, puis bougé
on le replace quand même), puis j’ai rencontré comme à l’accoutumée des dizaines de gens, dont cet Italien qui ne parlait pas très bien le français (en tout cas nettement mieux que moi son dialecte) « personne n’est parfait » lui dis-je, main gauche sur son avant-bras droit, on a ri, on a parlé, l’homme avait -a toujours très certainement- quatre vingt deux piges, cherchait un peu un chemin que je lui ai indiqué, il m’a dit avoir eu un accident vasculaire cérébral, être paralysé de tout le coté droit du visage (il y avait quelque chose en effet), on a parlé de son travail (finances à Milan : il n’exerce plus), de ses loisirs (jeu de cartes, lectures des journaux), de son usage (première visite etc.) puis on s’en est allés chacun de son côté (lorsqu’un enquêté vous serre la main -là puisque c’est un Italien, ce sont les deux mains qui serrent la votre – c’est que quelque chose a lieu, quelque chose qu’on aura oublié peut-être après demain, mais qui a eu lieu : une rencontre, et on sait ce que cela vaut, on se sait humain et on partage cette condition), j’ai fait mon travail, et comme je l’aime ça ne m’a trop coûté, j’étais fatigué tout de même lorsque, vers quinze heures trente, un texto m’a appris que TNPPI avait été emportée vers l’hôpital, phlébite embolie (elle se repose semble-t-il hors de danger), ce même hôpital où un type de 27 ans, Romain D. est plongé dans le coma des suites de l’explosion d’une grenade de désenclavement comme ils aiment à dire, jetée là comme une vague ordure par un policier (cette photo-là n’est pas de moi non plus)
tu en as entendu parlé ces temps-ci ? ça fait dix jours que le type meurt, personne n’en dit mot sauf ici, j’ai entendu dire que des policiers avaient foncé en voiture sur des manifestants à Rennes, que micron était en « pourparlers » avec l’administration qu’il dirige, juge et partie, au sujet d’une sous évaluation de ses biens, mais c’est certain quelqu’un lui veut du mal, j’ai trouvé que ces nouvelles avaient quelque chose de terrible, comme un goût de mort, ah bah me dis-je encore (ah bah, c’est un peu comme les « pour le coup » ou les « voilà » ce sont des mots inutiles qui servent à reconnaître qui parle, d’où il parle comment il parle) ah bah, il pleut encore cette nuit, il se fait tard, demain qui est déjà aujourd’hui est entamé, du côté de Saint-Marcel, je crois qu’elle dort, ah bah « la dernière fois qu’on nage » dit la chanson (je l’aime beaucoup) (la chanson et TNPPI, oui)
épuisée par tant et tant de choses et de sentiments
un billet monde
un épuisée qui est admiratif
Concernant les « grenades de désencerclement », il y a eu un article rigoureux dans « Le Monde » du 6 juin, dont j’avais repris le lien sur mon blog « Métronomiques » du lendemain, sous le mot manifestations coloré en rouge.