La couleur de l’argent
(le titre n’est que pour les murs)
Je me rends compte tout à coup que je tente, par ici, de garder en mémoire quelque chose de la journée d’hier, mais que ce sera sans doute oublié dans quelques mois années lustres ou décennies, sinon siècles. On écrit pour la postérité, on poste pour l’éternité. Il y a là une grosse trentaine de photos -je ne sais pas faire le point, et il n’y a jamais assez de lumière. Il s’agit de rendre compte (à quel titre ? participant, disons) du colloque qui a eu lieu hier dans l’amphithéâtre de l’Ecole (nationale et supérieure) d’arts de Cergy et organisé par François Bon (enseignant là) et l’Ecole (et nationale et supérieure) d’architecture de Versailles. Ici aussi pour remercier et de l’accueil et de l’organisation.
C’est tôt le matin qu’il faut partir (enfin tôt
on a déjà vu plus tôt, huit heure quinze, mais les yeux se décillent
un peu) -j’ai eu le tort de changer à Opéra Auber mais enfin c’est le matin et des milliers de travailleurs
des contrats à durée déterminée, à durée indéterminée, salariés ou pas, hommes femmes tous bipèdes tous en forme marchent d’un pas assuré vers la Défense, sur les trottoirs roulants, déjà happés par leurs petites machines qui les guident, navetteurs, pendulaires, je pense à Peggy attendant la rame qui m’emmènera à Cergy-Préfecture
et qui après Nanterre-Université (je me souviens de Leroy-Gourand) sort, il fait beau, bleu du ciel, soleil, je lis quelques pages de « Sinouhé l’Egyptien » (Mika Waltari, 1977 deux tomes chez folio, une merveille), tout le monde après Sartrouville a quitté la rame
le monde se calme, on double Maisons-Laffitte
on dépassera tout à l’heure Neuville Université
tellement complètement inconnue, le train amorce une courbe, au loin on voit, on avance, on descend, on cherche, un escalator, la dalle, la préfecture au loin les 5 Cinémas désaffectés (quelle pitié, quelle misère, les autos sont parquées en dessous, ça roule, ici que des piétons), j’ai repéré que c’est un peu à gauche, par là, des centaines de chaises vertes, bleues, « vous connaissez l’école d’art ? » demandé-je car je ne suis pas complètement certain de la direction, « c’est par là, mais où…? » me fait un homme barbe blanche costume tweed cinquante cinq balais, je prends quand même à droite, j’avise deux gonzesses sacs à main manteaux de lainage noires trente piges à tout casser « ah non, pas du tout non… » j’avance encore, une blackette la vingtaine « ben c’est là » oui, en effet, j’arrive, café en salle 103, bonjour bonjour, je discute avec un jeune homme (il s’agit de Lukasz Drygas, qui tout à l’heure nous entretiendra de cette magnifique initiative dite « Les Grands Voisins » organisée par le collectif « Yes we camp » sur les restes de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, mais pour le moment je n’en sais rien), petits croissants, café on redescend, on entre, le directeur de l’Ecole
Sylvain Lizon, et si j’ai bien compris Antoine Idier qui a organisé le colloque aussi, quelques mots, et François Bon qui entame la journée
en nous lisant ses 33 abstracts 33 (analyses résumés abrégés) (éléments de construction : les dira-t-il tous ? oui) trente trois fois ce qu’inventent ses étudiants (ce possessif est assez bizarre, il sera repris tout à l’heure par la chorégraphe, Julie Desprairies quand elle parlera de « ses » danseurs »), derrière lui défile un diaporama de vues satellitaires de Cergy et ses environs alentours si j’ai bien compris, et la lumière s’installe, les murs de l’amphi sont faits de briques argentées
un étudiant a posé ses deux mandarines
règle ses directions, puis viendra Frédéric Joulin, directeur de Cergy-Pontoise Aménagement
qui expliquera comment et ce qu’on construit ici (l’Aren Ice, des milliers de logements ici, là, ailleurs -sur l’image au dessus de lui -on ne le reconnait pas, non -en orange Cergy, en vert Pontoise), comment un talweg (la ligne constituée par les points les plus bas d’une vallée) et un « grand paysage » (alors là…)…
Puis viendra Lukasz Drygas
un diaporama derrière lui montre les travaux, les objets, les créations, les oeuvres du collectif qui a investi l’ex-hôpital Saint-Vincent-de-Paul (un concours est ouvert sur le site) mais le travail qui y est entrepris est juste magnifique, on aimerait qu’il perdure et embellisse…
Le « plan guide du POlau » sera présenté par Maud Le Floc’h (une mine d’informations sur les innovations, l’urbanisme mis en récit et autres joyeusetés qui permettent aussi et cependant aux artistes, parfois -mais ce qu’on voudrait, c’est que ce soit le plus souvent possible- de réussir à vivre…), puis ce sera la pause déjeuner.
Je suis parti flâner
en ville (ce qui veut dire sur la dalle); j’ai avisé ladite préfecture, pris du pèze à la banque, et été manger une assiette anglais je ne sais où, lisant « La Nostalgie n’est plus ce qu’elle était » (Simone Signoret, 1976) où elle relate le tour de chant de son Yves Montand de mari en 1956 (je lis deux ou trois ou quatre voire cinq livres en parallèle, oui), j’ai bu un peu de vin, j’étais à l’intérieur, un type de mon âge qui mangeait la même chose que moi avait tourné sa cravate au dessus de son épaule pour ne pas la tacher, il avait l’air d’une espèce d’adjoint du sous-préfet quelque chose (mais j’enjolive), puis je suis reparti vers l’école, me disant que en prenant cette rue (mais est-ce une rue ? une allée plutôt ? un passage-piéton ? quelque chose comme une voie, tout de suite à droite) je devrais sans doute retomber sur l’école, il y avait là un café-tabac-jeux où j’ai bu un café, il faisait beau et j’avais chaussé mes nouvelles lunettes de soleil (verres polarisés qui empêchent de voir l’écran du portable mais on s’en fout).
J’ai trouvé
l’école au coin suivant, l’amphi était vide, je suis allé dans la cour
ça discutait sur la passerelle, sans doute est-ce là que j’ai discuté avec un homme au chômage qui avait ouvert une galerie, était-ce à Besançon
à Lyon, Beaune ou Chalon-sur-Marne, oui, il était assis devant moi ce matin, on parle, sur la passerelle ça discute encore
il faut rentrer, c’est l’heure, là parle un professeur de l’école (et nationale, et supérieure) d’architecture de Versailles
il s’agit de Gilles Paté, artiste plasticien sonore et enseignant ENSAV, et de « ses » étudiants, dont deux d’entre eux (mais comme elles sont femmes, ne devrais-je dire deux d’entre elles ?) présenteront un travail sur les deux passerelles de la gare de Massy-Palaiseau
en bas gauche cadre, l’une d’entre elles : elles présentent un film (une partie d’un film qui en comportera cinq) sur cette passerelle, un travail au son formidable, à l’image aussi certes, du cinéma documentaire (? wtf…) où le personnage principal est une ville constituée principalement par des voies de chemins de fer (passage halte du TGV, trains du RER qui fait souvenir de ceci voilà cinq ans…) . On aime.
Puis encore des images mais aussi beaucoup, des corps qui dansent
Julie Desprairies (déjà croisée) qui présentera son inventaire danse de la ville de Pantin, en six volets, tous aussi intenses les uns que les autres,
images animées, danse joies plaisirs, et un bouquet final assez merveilleux…
Dans la salle, on suit
Puis viendra Sébastien Rongier, apportant en ces murs argentés de lumière la bonne parole du Général Instin.
(ici on le reconnait encore moins que là
mais cela n’importe pas trop) : on aime ce général depuis qu’il vient du côté de Belleville et la rue Dénoyez Instin, on aime ce travail relié à celui de SP 38 et à Textopoly…
Puis on passera aux images fixes présentées par Pascal Beausse, enseignant à l’HEAD de Genève et conservateur au Cnap (érudition et éthique impeccable) pour une proposition intitulée « deux ou trois choses que je sais d’elles » avec cette photo du maître suisse en train de disposer sur le champ ses paquets de bazar (on a nommé et reconnu, à sa calvitie peut-être, Jean-Luc Godard)
puis une photo de Valérie Jouve (dont on avait vu l’expo au jeu de paume) puis d’autres exceptionnelles d’Allan Sekula
sortie d’une usine d’armement de la fin des années soixante (ou début soixante dix, je ne sais plus)
des salariés, CDD ou CDI comme tout le monde… La vie n’est jamais, n’a jamais été, et ne sera jamais, facile. Le conservateur du Conservatoire nationale des arts plastiques, département photographie, parlera des relations qui unissent profondément la photographie et l’horlogerie (suisse, sans doute… mais pas que, évidemment) puis du concept d' »intimité territoriale ».
Et pour finir, Bruce Bégout
nous parlera de sa manière d’envisager le paysage, de ses voyages à Los Angeles et ailleurs aux Etats…
La journée se termine, je m’en vais, je dois atteindre Paris pour dix huit trente, la dalle à nouveau, l’escalator, le quai
Paris au loin
à l’horizon gît cette Défense
qui se rapproche, carte postale moderniste, skyline de pacotille ?
Je ne sais plus vraiment, mais journée fertile et fort sympathique (encore merci…)
merveilleusement passionnant et en même temps totalement frustrant
une envie de rentrer, armée de vos mots, dans chaque photo pour tester ma capacité à comprendre le suc de ce qui se dit et se montre