Journal des Frontières dernière édition
Ce billet du journal est particulièrement dédié à GianMaria Testa.
Ça commence par un « passerelle 15 »
Puis par un « passerelle 22 »
Ca continue avec « un passerelle 8 »
Ca ne dit rien, non, ce ne sont que chiffres posés là comme presque par hasard, juste pour parvenir à s’y retrouver. On commence à voir de quoi il s’agit, c’était en septembre quinze, c’était il y a un peu plus de six mois, seulement voilà, depuis les choses ont changé. Une sorte d’éternité est passée. Il s’agissait alors d’ouvrir un pont, une passerelle un chemin une voie un bord, une frontière à abolir pour tout dire entre deux communes de cette communauté. Il y avait là des maires, des élus des adjoints, les gens étaient là aussi, il y avait de la musique, il y a un vin d’honneur sans vin mais avec du cidre, alors un cidre d’honneur, peut-être, rive gauche.
Rive gauche du Loing, donc, rive gauche de la Seine par extension, donc.
C’était en face. Il y avait dans l’air l’été qui s’en allait, le gris des ciels septembre allait à l’automne, sur l’eau voguaient quelques jolis bateaux. Puis c’est arrivé, on a commencé, on s’est installé. Et puis, et puis on a commencé par aller prendre le train, parfois tôt le matin, c’était le froid qui commençait
on arrivait à la gare
on cherchait sa voie on trouvait un mur végétal
on embarquait jamais à l’heure, mais on embarquait on avançait on changeait, on passait ici ou là
il n’a pas fait froid, au vrai l’hiver et ses rigueurs, non, pas tellement, vint la fin du mois d’octobre, on pensait en terme de quoi déjà ? oui, de distribution, parce que ce texte-là allait paraître, faire attention aux choses qu’on aime, se garder de juger trop vite et trop superficiellement les choses qu’on adopte, regarder encore le monde tel qu’il est, avancer doucement sans trop vouloir faire vagues ou cris
on y était, on allait voir un peu de quoi ces frontières-là étaient faites, le fleuve, son affluent enjambé hier par la passerelle, on allait voir un peu, mais jamais les choses ne se passent comme on aurait imaginé qu’elles arriveraient, c’est la vie c’est comme ça, c’est ainsi comme les affaires sont les affaires, comme le monde est tel qu’il est, c’est la vie c’est comme ça, tout a brûlé, ce ne fut d’abord rien
un objet, il n’y a pas mort d’homme alors, rien, puis deux semaines plus tard, cette horreur, l’ignoble, le hasard a voulu que personne de ma connaissance n’y périsse, le hasard j’étais dans le métro à Montrouge, le hasard mes enfants les tiens, les amis, le souffle ça s’appelait chez Ploum devenu une cantine pour Olivier (l’un des invités du 23), ça a été l’effroi (ça te souvenait en tête un peu ce qui s’était passé rue de Rennes en quatre vingt quinze, puis à Port-Royal, Paris Maison Blanche ça te souvenait aussi tout le reste de l’histoire, cette histoire-là, qui passe qui s’enfuit qu’on oublie), oui, viens on l’oublie passons à autre chose, passons, passons les fêtes
les cadeaux, les rires un peu jaunes quand même, la joie tempérée, au balcon certes -aujourd’hui Pâques et il pleut et vente, aux tisons donc – et puis comme on aime commémorer, on s’est retrouvé le sept du premier mois de seize et , à midi, tout s’est arrêté, j’étais dans le métro station Pyrénées, midi, une voix inconnue annonça la commémoration et tout s’est arrêté t’en souvient-il ? le temps est passé, passons, allons préparons l’expo
sur cette carte se trouve Gênes, la Spezia Savona, oui le coeur bat plus vite, on regarde la mer on préfère, je t’assure qu’on préfère, et puis aller à la déambulation première
on avançait sur le bord de la route, de l’autre côté était la Genevraye
on avançait on voulait vivre c’est plus fort que nous on veut vivre, c’est comme ça
on respirait, et même sur l’air tout cela avait pesé
on avançait sur la route, de Villecerf on allait à Ville-Saint-Jacques, ou l’inverse, ça ne fait rien à l’écrit, on avançait, puis on alla parler, puis on continuait et on continuait, tu sais comment sont les choses
on allait à Nanteau (c’estsur le Lunain), on passait par Ecuelles ou Montarlot, on avançait on allait à Episy, Nonville
c’était l’hiver t’en souviens-tu ? c’était l’hiver, et bien sûr je me suis dit (cette réflexion déjà m’était venue) qu’il aurait mieux valu une résidence d’été (on fait ce qu’on peut, je sais bien) avec des fleurs des fruits et des roses, on avançait quand même
on allait à Champagne, atelier avec ces jeunes gens de la classe SEGPA -ça veut dire section d’enseignement général et professionnel adapté – une quinzaine de types et gonzesses, ça parle ça crie ça bouge (et puis ça rotative disait Léo mais je m’égare, non) des dessins
des merveilles, des mots collés, des voix chuchotées des chants
je me suis trompé d’ailleurs nous sommes déjà au deuxième atelier mené avec Mathilde, mais ça n’importe pas vraiment, la chronologie des événements est aussi ailleurs, mais comme l’un d’entre ces jeunes gens disait écrivait notait que son chemin commençait à l’ERPD -ça veut dire établissement régional du premier degré – je m’y suis rendu à cet ERPD -accueil magnifique, personnes sensibles travail formidable, ne pas ébruiter mais tant pis, si ce soir, si -juste pour voir, j’ai trouvé en passant une rue des Trop Chères, je suis allé voir un peu au bout de la rue
mais c’est en hiver, décidément l’hiver m’indispose
c’est pourquoi je double certaines photos (quand j’arrive à trouver le bon angle avec le robot, ce qui n’est pas si simple) c’est pour les mettre en été, je préfère la lumière c’est un peu comme pour tout en général, je préfère la lumière et pas les obscurs abrutis qui veulent à toute force nous empêcher de rire, de vivre, de boire manger je préfère la lumière et parfois les ciels s’y prêtent
cette fois-là, c’était ensuite, ça a été encore une autre fois, c’est qu’ici nous sommes venus, revenus et encore revenus, partir revenir ça a été le truc finalement, si truc il doit y avoir, mais aller venir, matin soir, à certaines heures pâles de la nuit, partir revenir pendulaires navetteurs, j’ai tenté d’en joindre, de ce genre de voyageurs, mais non, impossible, un appel téléphonique un sms encore un et puis sans réponse on renonce c’est ainsi et c’est tant mieux, c’est ainsi que les hommes vivent, des rencontres nombreuses, le bibliothécaire de la Catho, le logeur des Aigrain, le type qui demandait 90 000 euros parce que son logeur vendait, la serveuse porte de prison, la charmante de chez Lulu mais ça n’existe plus, non, ça n’existe plus chez Lulu, c’est fermé, les choses changent et c’est ainsi, on avance, on continue, ah oui, magnifique monsieur Mariage, prénom Désiré, magnifique croisière sur la Seine et le Loing
gentillesse et générosité, science incroyable des bateaux, de la batellerie, une vie sur l’eau, il fait beau même s’il fait gris, même s’il pleut même si on s’est couvert emmitoufflé de laine gants bonnets il fait beau, souvent il a fait beau c’était à cause des gens
l’Hermès au premier plan, en été ou presque, il faisait beau, donc même s’il pleuvait, ce jour-là, on avait aux lèvres ces sourires car au fond, tout n’est jamais si noir, au fond on a de la ressource même si on ne sait pas exactement de quoi demain sera fait, on sait qu’on affrontera quand même, et qu’on tiendra
c’est par les autres, je crois que j’ai oublié des passages, je suis revenu, je suis reparti, je m’en suis allé, et encore à nouveau, il y avait à Montigny cette Mercédès à vendre dans les six mille, mais dans les six mille mon pauvre ami, elle était grise, j’ai regardé passer les trains en gare de bleau, à bois le roi j’ai déjeuné sur la place de la gare, je suis passé ici, chanté quelque mots là
j’ai laissé de côté cette soirée formidable avec quatre amis, Virginie Gautier, Lucien Suel Olivier Hodasava et Benoit Vincent, elle n’est pas perdue, nous étions en janvier, le vingt trois, vint février et les ateliers, puis mars et les premiers bourgeons sans doute
un chemin fait à pied avec une conteuse au milieu
rencontrer des marcheurs, parler un peu mais quand je marche je pense avec mes pieds, je ne dis rien ou peu, n’importe, je regarde, je pose, je trouve ou non, je marche je respire bord de Seine rive droite cette fois,
il faisait presque beau comme on aime à le dire, ça commençait le printemps, sur les hauts de Champagne quatre ou cinq types faisaient un barbecue très arrosé, des morceaux de poulet à cinq euros et rires garantis, on marchait, une quinzaine, avançait, on descendait, il y avait eu cette jolie arrivée le matin -au vrai le midi parce que le train, parfois… mais passons – un café à l’hôtel de l’Avenir
mais le robot l’a capturé autrement
et le nomme le Tizy II (le premier se trouve peut-être là-bas) et puis le temps passait quelque chose de fatal, je remarquai le jour de la croisière dans le café qui jouxte le bord de Seine, à Saint-Mammès, une affichette notant informant que le dix neuf mars aurait lieu la commémoration de la signature des accords d’Evian
mille neuf cent soixante deux, fin de la guerre d’Algérie (les événements)
le lendemain devait se tenir une « printanière » départ Villemer sept heures et demie (ça fait tôt, mazette) la voiture – ma propre conduite intérieure – a décidé que non, finalement elle ne démarrerait pas ce dimanche-là, rien à faire, tant pis, c’est le printemps sans doute a-t-on été au cinéma, comme on aime, sans doute quelque chose, en attendant parce que les histoires
on en a toujours à raconter, on pensait sûrement et depuis un long moment d’ailleurs à l’objet final, j’avais à l’idée de faire en sorte que les choses se matérialisent, j’avais choisi comme héroïne une navetteuse, une à la conduite pendulaire, une femme née un trente avril mille neuf cent quatre vingt un, deux enfants garçons et jumeaux, nés en deux mille sept, comment se nomment-ils déjà Charles et Georges, des noms de rois pour m’amuser mais ça ne colle pas, ou alors si, elle vit dans une de ces venelles, son père était marinier quand donc est-il mort, il y a quelques années, son mari travaille aux Renardières, toujours des histoires à raconter, et je me rends compte que peu j’ai parlé du collectif mais il est partout, là ici, là-bas, partout dans toutes ces images, dans toutes ces éditions du journal des frontières qui, petit à petit engrange quelque chose comme des centaines de lectures quotidiennes, on s’en fout des chiffres tu sais, non nous ce qui nous attache ce sont…
mais le monde tournait tu sais comme il est, toujours tourner, toujours et encore, et le vingt deux, c’était un mardi, c’était le matin, neuf heures quelque chose, encore et encore et encore… Ce n’est pas que cette résidence ait été inutile, désagréable ou fâcheuse, déplaisante, ennuyeuse ou fade, non, ça a même été l’inverse en réalité mais cette affaire de contexte, là, tu vois ça n’a pas aidé du tout, bien sûr qu’on s’en fout, et bien sûr que des choses subsistent subsisteront, une demi-année à cheval sur deux budgets, six mois qui se terminent sur un printemps, ça renaît, les fleurs escaladent les murs, tutoient les grillages, sortent
couleurs odeurs joliesses et joie de vivre, ici, ailleurs, n’importe, quelques moments de grâce, des tragédies terribles, allez on n’oublie rien mais on laisse le temps aller, on avance on compose, j’aurais aimé poser de la musique sur ces images et ces mots mais le sort ne l’a pas voulu, le piano s’en est allé ça ne fait rien, alors parce que c’est vraiment une chose formidable que d’écrire, je laisse à l’une des filles de la SEGPA de Champagne les mots de la fin « ne jamais désespérer, laisser infuser »
Merci à toutes celles et tous ceux qui, au fil de ces six mois, ont lu, commenté, argumenté et fait par leur présence qu’aussi ce journal existe.
Déjà vu certaines photos (la voiture brûlée, l’hôtel de l’Avenir, la rue du Panorama), pourtant on ne saurait s’en lasser !
« Résidence d’hiver » : dense, en tout cas.
Merci Piero pour ce beau conte rendu aux paysages et aux personnes.
(il manque une photo de la mercedes de Montigny :-))
@Dominique Hasselmann : j’ai réitéré le procédé (elles sont passées trois fois pendant que je disais le texte lors de la séance dense de samedi…) (content qu’elles te plaisent en tous cas : je t’en ai dédiée une autre déjà parue dans l’article suivant – il s’agit d’une vitrine de magasin que j’aime assez)
@>Lucien Suel : pour la mercédès, elle était en plus à boite automatique (j’espère quand même qu’elle a été achetée vendue depuis le temps…) Merci à toi du passage du 23 (c’est pas mal comme titre, ça, « le passage du 23 ») qui, lui, n’était pas un conte – et on t’y entend chanter…!!!