Journal des frontières #5
Il arrive souvent qu’on ait quelque rendez-vous dans cette vie : premier regard, premières rentrées des classes et donc premières vacances, premiers yeux doux, premières larmes premiers habits de lumière premiers dialogues, les odeurs (ah les odeurs) premier film premières musiques premières chansons, premiers contrats et premières payes, (l’armée certes, mais c’est fini, ça), des rendez-vous plutôt gais simples et d’autres tristes mais obligatoires (je passe), on avance dans ce monde et parfois change la direction du chemin.
Il y avait de cela dans cette journée, quelque chose de tellement semblable (mes mêmes yeux, mes mêmes poumons mes mêmes jambes) et de tellement différent (les mêmes gens, les mêmes chaises tables salles pupitre lumières sons canapés flûtes tout autant différents dans ce type de contexte), ici j’adopte une certaine chronologie mais les choses vont comme elles vont et je me souvenais, roulant sur la départementale cent quatre, en bordure de forêt (j’imaginais aussi le bornage) je me souvenais de l’inanité qui parcourt très souvent les mots inutiles qu’on dit (les « pour le coup/cou/coût »(?), les « pas de soucis », les « voilà » tous les trois mots, j’en passe et des pires : c’est que nous avons à parler).
Particulièrement, je ne sais plus exactement qui (c’est arrivé plusieurs fois aussi mais contrairement aux précédents-je fais attention pourtant à ce que je dis le plus souvent- je n’ai pas – à ce que j’en sais- employé cette expression) (car, comme toutes les précédentes, je les hais) mais je m’en souviens « c’était dans une autre vie » (^^) dit-il dit-elle, pour parler de ce qui se passait voilà vingt ans seulement peut-être, comme si nous en avions plusieurs, des vies.
Et pourtant, cependant, malgré tout aussi, j’aime tant à savoir qu’on en dispose de sept, j’aime tant aussi à croire que, prenant des photos, je capture quelque chose de l’âme du sujet (je me souviens d’un jour où, glissant sur le pavé mouillé du bord du trottoir du bas de l’avenue Simon Bolivar au coin du boulevard de la Villette, j’ai senti le vent du boulet de cet autobus (là c’est le vingt six) : aurais-je glissé que j’en aurais perdu la vie – c’est arrivé à une jeune femme à vélo, il y a quelques années, premières du vélib, au coin de la rue de Belleville et de son boulevard).
Essentiellement (je l’ai déjà dit ailleurs, je me répète mais ce n’est pas tous les jours qu’on entame une résidence numérique qui plus est en tellement bonne compagnie), je suis un type local. Cette propension disons, ce travers ou ce pli, je les trimballe partout avec moi : j’arrive, j’y suis, c’est de chez moi d’où je pars, et c’est là où j’en suis.
Départ vers onze heures, quelque chose dans l’air, un espoir ou une volonté, passer devant le domicile gardé de son altesse the prime minister (agents de police/gendarmes me dit-on comme s’il devait en pleuvoir, on nous indique-mitraillette au menton quand même- que les roues de la voiture mordent le passage-piétons, on aime bien prendre les gens pour ce qu’ils ne sont pas, c’est égal), on passera la Seine au pont d’Austerlitz, puis le périphérique par la porte d’Italie, la bretelle ira à l’A six, on passera sous les avions qui à Orly se posent, ici on criera derrière « la Seine-et-Marne !!! » comme une victoire (c’en est une), on ira jusque je ne sais où, à droite on sera en Essonnes, non, demi-tour, couper une ligne (une frontière, un mur), revenir, passer, continuer, avenue de la Gare se garer, aviser un petit restaurant, entrer, rire dire écrire (renverser son verre d’eau) penser quatre Italiens, un couple, une femme derrière son comptoir, seule à tout faire, délicieux
elle est là, on la distingue gauche cadre sur la photo, elle ne veut pas qu’on la photographie, « ah oui, dit-elle, les gens, il faudrait les voir à la sortie de la messe sinon… » les gens, sortir : un homme, plus près des soixante, revient de la banque, « vous nous prenez en photo ? » lui demande-t-on : « oui, dit-il mais je ne sais pas me servir de ces trucs-là… », en effet pas de photo, gentil, drôle touché : « c’est que mon propriétaire m’a dit qu’il allait vendre, alors vous n’auriez pas quatre vingt dix mille euros ? » ah non, on rit, on se sépare, on passe à l’office du tourisme, on demande « mongolfières ? batellerie ?… », on prend des prospectus, quelle heure est-il, quel temps fait-il, on y va, on arrive
c’est à Ecuelles que se passeront les choses, très bien, on passera par Episy (à droite, aérodrome
) on arrive, on s’embrasse, on se reconnait on s’apprête à se connaître, on (se) prépare, on s’isole, je commence l’inventaire : ici un arbre
dans la cour seul sur sa pelouse; il fait doux, on installe
là les magnifiques cartes de visite de Mathilde Roux
des nappes rouges sur des tables montées de cinq éléments, sur le cinquième (le plateau) on posera les livres
on ne les distingue pas bien, ce sont les oeuvres des participants que tout à l’heure le public regardera, ici ma table (carré rouge sur fond rouge)
les livres de photographies de Denis Pasquier
préparation, isolement, mises en place (ici la table de Joachim Séné sous le soleil, exactement)
bientôt tout sera pratiquement prêt, il sera six heures, on ira se promener, écouter les bruits de cette petite ville que longe un canal (c’est celui du Loing)
ah oui, des fleurs qui tutoient le grillage, l’annonce sur les panneaux lumineux
en photo ça ne donne rien
quand même elle serait doublée (mais mieux cadrée peut-être), on sort ? il y a là le gymnase
la bibliothèque juste mitoyenne (accueil sympathique, des mots « quand on a demandé à des enfants ce que c’était Picasso pour eux, ils ont dit « une voiture » : Pablo en serait-il ravi ? je crois…) (j’ai pensé à cette Cadillac Eldorado stationnée dans un tout petit coin d’un tout petit coin de Normandie), encore un arbre
et le même gymnase plus graphique
c’est que tout est là, très bien; allons malgré les bottes, on demande, on tourne à droite à la pharmacie, on passe devant la caserne des pompiers, puis encore à droite et là : « attends des mûres…!!! » ah oui, des mûres, mais là
le canal et ses rives lentes et droites, au loin court l’eau jusqu’au ciel
non, il fait beau, pas à dire, sur l’autre rive personne ?
personne, puis un coureur à pieds
il faut toujours essayer, si le point n’y est pas c’est que la lumière manque
ah oui, et aussi le zoom
enfin l’homme court, que ce soit lui ou après son reflet, sa forme, sa santé, il court disparaît au fond de l’image, on marche
on croise des passants, bonjour bonsoir
quelle heure est-il ? moins dix, on retourne, on y va, on y retourne, on croise le tabac d’où sortait la dame lorsque le robot l’a capturée, on passe devant la mairie, une affiche
bientôt recouverte, on revient, c’est prêt, une jeune femme repasse des nappes, puis en triangle met en place les flûtes (10+9+8+7+6+5+4+3+2+1 = 55), on arrive, le monde est là, on attend on applaudit, tant de monde (55 ? peut-être mais les trois quarts féminins), le droit à l’image
la photo est un peu à l’image de ce qu’on ressent, les discours.
La lecture (magnifique Anne), illustrée de photos (magnifiques, Mathilde) puis présentation de L’aiR Nu (juste et parfait, Joachim), comme l’arroseur, les images imagées
l’homme est là, qui garde par devers lui ses images emprisonnées
je l’appuie au cadre, c’est l’heure, voilà lancée cette résidence, qu’en sera-t-il ? Ce que nous en ferons
la formule pour calculer le nombre de flûte (envoyée par JS.) et désapprouvée par wordpress (probablement trop complexe) est ici
(encore que n fois n+1 divisé par deux, c’est quand même pas non plus le bout du monde).
En tout cas, merci…
Dans ces flûtes vous avez versé de loin de l’eau du Loing ?
Le canal ne se pendra pas !
@L’Employée aux écritures : des bulles… merci du passage
@Dom A. : non, mais infiniment de brumes à venir et le fil des jours pour unique voyage… (jte tiendrais au courant) Merci du passage itou