Oublier Paris #56
C’était pendant les fêtes (les confiseurs et leur trêve – j’écris ce mot, et je pense à cet escalier et à Primo Levi– les fêtes et les agapes comme on dit, il n’y a pas trois semaines, mais tant et tant de temps passé depuis), et sur les murs du métro j’avais vu cette photo-ci.
Puis cette autre.
La mise en scène de la danse, ou du cirque, les jambes pliées, les bras étendus comme les doigts (parfois la photo est mal cadrée, mes excuses), les vêtements, les couleurs, la joie de vivre peut-être ou du moins celle de voler, il me semble, l’expression des corps, quelque chose du sourire de certaines et de certains, j’ai pensé à une sorte de série, quelque chose qui aurait tendance à vouloir montrer ce que c’est que le spectacle qu’on donne pour les fêtes, on sait s’amuser et regarder les gens danser voler ou certaines femmes de leurs robes s’amuser.
C’était sans doute quelque chose comme avant.
Elles n’ont pas pris une ride – je les retouche, certes, parce que je n’aime guère cette affichage qui se prétend informatif, mais qui n’est que mercantile : j’ôte ce qui me déplaît, les mots toujours, les lettres, ce qui indiquerait quelque provenance mais est-ce tellement difficile à détecter ? (je m’aperçois que j’ai laissé « palais » sur la photo danseuse étoile…) Aujourd’hui, non; dans quelques mois, on ne saura plus qu’il s’agit ici d’un cirque, là d’une Ibère, les asiatiques resteront tels qu’en eux-mêmes avec le sourire et cette sorte de déploiement qui confine au culturisme, contorsionisme, positions incrédibles des pieds ou des mains, sourires de la facilité et de la joie de transmettre plutôt que d’une fierté (je n’aime pas la fierté et on lit ce qu’on veut sur des images).
J’emprunte le couloir du métro, le changement (quand il fait froid, sinon, je passe dehors), les murs tapissés invitent, tentent de persuader, de nos jours on dit « impactent », informent des spectacles qui auront lieu, dates et adresses. L’adresse est un joli mot, un peu comme cette « audace formelle » parfois revendiquée : vulgate contemporaine, le « naturel spontané », mais toujours et partout, dans quelque champ, quelque « compartiment du jeu » toujours le recours à la lutte de tous contre tous, l’individualisme forcené, la concurrence comme le profit, le pouvoir contre la liberté.
Ces gens-là volent, dansent, sourient de leurs facilités ou tendent leur visage dans l’effort : le tragique et la comédie… Une vraie et exacte similitude : le sport. Tandis que, de par le monde (ici il y a peu, en Afrique, en Ukraine, ailleurs – partout ?) on assassine, on égorge, on lapide, on émascule, on viole, on tranche, on casse, on dépèce, ce que prépare la réalité du monde, ce sont les sommets, Davos Porto Alegre et les BRIC, les jeux de l’Olympe, les coupes du monde, ronde ovale petite et jaune et ronde, terre battue rouge sang, corps domptés comme ceux des athlètes, jeunes gens qui maîtrisent poutres et arceaux, parallèles ou asymétriques, afin, par là, de créer « de la richesse » de donner du travail, d’évacuer enfin la pauvreté et la misère de ces bidonvilles, Furiani ou Heysel, Munich ou Berlin, la CAN se déroule en Guinée il semble, dansez maintenant disait la fable, vingt deux novembre soixante trois, le livre de Stephen King où cette danse je ne sais plus son nom, tellement d’importance pour s’aimer, et tandis que le sport confronte chacun avec chacun, un gagnant en sortira, un perdant avec les honneurs, la fierté, la joie d’avoir participé s’en ira, tête baissée et pleurs aux yeux, muscles tendus et vêtements de sueur, à dans quatre ans, l’année prochaine, Rio, puis ce seront, vingt vingt, Tokyo, et puis encore… Echafauder la concurrence, traduire ces hypothèses en profit, le monde tourne, et les performances et les jeux et le pain, à même le sol meurent les déclassés, la plus belle ville du monde, il ne fait pas si froid cette année, tu as vu, les nuages aux cieux, les étoiles au loin, une brillance fugace qui déjà date, un tout petit monde, une danse pour oublier ou se souvenir
avancer en âge, sentir se tendre et se solidifier ses articulations, une douleur là, un peu comme nos veines, nos artères, les disques entre nos vertèbres, il y a là l’atlas, ces systèmes que nous possédons tous, pileux, nerveux, vasculaire, cérébral, ces réseaux, tous, quelle couleur de peau, ces corps fauchés, que nous reste-t-il sinon de les exposer, de les montrer, de nous recueillir et de nous retrouver…
dimanche dernier vers 15h dans le 11°, 11.01.15 photo courtesy of Olivier Warusfel (qu’il en soit ici remercié).
Je ne sais plus exactement, mais lorsqu’on apprend la conjugaison (ça s’appelle CP, cours préparatoire, primaire, puis il va à l’élémentaire pour finir au moyen : premier cycle…), le premier groupe, puis le deuxième et le troisième, les irréguliers puis les auxiliaires, première personne du verbe être… Je suis, oui, voilà.
à gauche, l’un des 3 bâtiments de l’école, bord cadre en bas, le boulevard qui va à la cité, on discerne le petit chemin qui existe encore dans les jardins.
J’étais en dixième, à l’école de la rue D. (on ne balance pas), j’aime ces souvenirs, il y en a d’autres, celui de la règle de fer posée sur le sol sur laquelle il fallait en punition laisser peser les genoux, un bon moment, dix minutes mains sur la tête, discipline quand tu nous tiens, châtiment corporel même pas, année soixante seulement, quelle plaie que cette mémoire, le petit chemin qui n’existe plus partait de l’école, la contournait arrivait rue Marguerite-Hémard Férandier, presque juste au coin du boulevard qui allait à la cité, elle était là, non loin et scolaire, midi et à la cantine derrière le stade, sur la table la bouteille de Valstar étiquette verte, boeuf en daube riz peut-être bien, pourquoi ce souvenir ? Quelles danses avons-nous apprises ? Non, c’est juste pour (ne pas) oublier.
Somptueux, merci, et comme vous dites Tandis que de par le monde… et les sommets !
Ravi, Employée… Merci du passage…
De la danse et ses arabesques au pas chassé et ses terroristes…
L’enchaînement se laisse aller, nos souvenirs sont plus forts que des affiches.
je nous, continuer, danser, chanter, vivre, oui, on a vieilli, nos articulations ne sont plus ce qu’elles étaient mais
« Je vous en supplie
faites quelque chose
apprenez un pas
une danse
quelque chose qui vous justifie
qui vous donne le droit
d’être habillés de votre peau de votre poil
apprenez à marcher et à rire
parce que ce serait trop bête
à la fin
que tant soient morts
et que vous viviez
sans rien faire de votre vie. »
J’ai trouvé que c’était Charlotte Delbot qui nous suppliait… Merci de cette magnifique citation (j’avais pensé à une chanson, me disant qu’il en manquait une et voyez, une poésie… Merci beaucoup Elise)