Sortir
C’était le nom de la salle dans laquelle on projetait « Voyage à Tokyo » (Yasujiro Ozu, 1953) et dans cette endroit
la salle immense confortable bois précieux sièges profonds écran presque géant, un temple, était comble. Avant cela, il y avait au cinquième étage
une exposition consacrée au musée imaginaire de Henri Langlois : l’étage où les photos sont interdites.
A gauche, dans cette salle de cinéma (petite, parois de verre transparent, faux spectateurs assis de dos en fauteuils rouges), il y a entre beaucoup d’autres la trapéziste Cleopâtre de « Freaks », en français « La monstrueuse parade » (Tod Browning, 1932, , interprétée par Olga Baclanova) et à droite, la Belle de « La Belle et la Bête » (Jean Cocteau, 1946, interprétée par Josette Day – photo Henry Alekan, quand même). Il y avait dans cette salle d’exposition une scénographie facile à comprendre, des dizaines et des dizaines de pièces constituant pour une part le musée du cinéma d’Henri Langlois, le fondateur de la Cinémathèque Française, quand elle se trouvait avenue de Messine avant de migrer rue (non, c’est une avenue) Albert de Mun au Trocadéro, après la rue d’Ulm, enfin cette histoire-là, retracée ici
Il y avait cette toile « la Roue Rouge » de Fernand Léger, j’ai vraiment beaucoup aimé cette exposition
le monde était un peu là, pas trop (cette visiteuse se retrouvera assise à côté de moi dans la salle tout à l’heure, mais à présent personne n’en sait rien),
ici ce sont les études de Victor Vasarely pour le logo du musée, j’aurais aimé faire plus de photos, tenter de dire le bien que je pense de cette exposition, tenter de le faire partager mais pas le droit de faire des photos, alors celles-ci que j’ai volées, certes, et pour finir le
où je n’ai retenu qu’une seule scène, celle du type qui vient de perdre sa femme (elle mourut à 3h15, leurs enfants sont là – ils pensent déjà à s’en aller, c’est le petit matin et leurs devoirs professionnels les appellent, aiment-ils à croire) et lui, le vieux type, le père donc, il a disparu, la jeune soeur le cherche, dans le jardin, il se trouve là, droit debout dans la lumière tendre du soleil (le film est en noir et blanc) et il dit « c’était un beau lever de soleil », voilà tout, une merveille. La rétrospective Ozu dure un moment, comme l’exposition Langlois.
Pendant le week-end, le plus souvent je travaille, mais ce dernier là, sans doute à cause de ces ponts et fêtes ou quelque chose, ça a été sorties, c’est ainsi et c’est tant mieux, il y avait ailleurs près de la Concorde, au jeu de Paume, une exposition des photos de Robert Adams, en est-ce le titre (« L’endroit où nous vivons », ce sont des photographies des Etats-Unis), en est-ce le lieu (j’aime ce lieu, le jardin qui le jouxte moins, la place et le quartier ne me plaisent pas, il y a là trop de « nation » trop de « patrie » trop de têtes coupées sans doute, trop de haines des années trente et quarante du siècle dernier, je crois), qui nous attirèrent, je ne sais mais en tout cas au rez-de-chaussée se tenait une autre exposition qu’on doit au photographe Mathieu Pernot
et ce fut la troisième merveille de ce week-end qui en compta quatre, une caravane qui brûle (ce que j’aime le reflet de ces vieilles gens, là) , c’est un ancien dont on se sépare, les Tsiganes bien sûr, j’ai tant aimé ce « Nous on n’en parle pas » que j’avais titré « le silence, une arme contre l’oubli », je me souviens (un livre de Patrick Williams, MSH 1993), et là des photos des armes contre l’iniquité, contre l’injustice, les divers papiers rassemblés, les « carnets anthropométriques », les parcours, les photos de ces gens, nos soeurs nos frères, juste là, qui crient, enfin et d’autres séries, des fenêtres sur des jardins, des immeubles promis à la démolition qui s’écroulent saisis des gens dont le photographe suit le parcours depuis des lustres, comme j’ai aimé ces photos, j’ai pris les miennes
vers le premier étage, nous partions, le siège était vide, et dehors à nouveau
je n’aime pas ce qu’on dit « peuple » sinon dans « les hommes sont un peuple uni », je n’aime pas ce qu’on dit « nation » ni ce qu’on dit « patrie », tu vois, je crois qu’au nom de ces entités-là, les miens comme les leurs, comme les vôtres, comme les nôtres ont beaucoup trop souffert et ont été beaucoup trop blessés, je pense que lorsque les choses ne marchent, il faut en changer, et cette image-là, cette caravane me fait penser à mon grand-père mon ami qui, sur ma tête de môme de trois ans posait sa main et marmonnait quelques mots d’hébreu, alors je pense au dernier livre d’Erri De Luca qui apprend à parler le yiddish qui se sert de cette langue, alors je pense à prendre une photo, et je monte les escaliers
dommage, je l’ai manquée, mais cette petite fille qui tend les bras vers ce type, sur le capot d’une voiture américaine Chevrolet sûrement, cette confiance magnifique et cet amour, les enfants allez, ce n’est qu’humain
(cette photo pour HC), les enfants oui, allez, et plus loin, ces images de cette nature
je lisais hier matin ce texte de Benoit Vincent, (merci à brigetoun qui l’indiquait par ailleurs) et pour réponse ces quatre hommes et ce qu’ils ont réalisé, je me souvenais de ce qu’écrit ce photographe, là, Robert Adams (c’est jusqu’au 18 mai, lui comme Mathieu Pernot), nous serons jugés sur ce que nous avons fait (ou quelque chose d’approchant) à cette planète, peut-être pas par nos enfants, peut-être pas par les leurs, ni encore par ceux des générations suivantes, nous ne serons plus là pour les comptes, mais par nous-mêmes, regarder cette Terre, comme elle est, comme il nous la montre aide à entrevoir que, décidément oui, quelque chose n’y tourne pas rond. Du tout.
J’ai fait quelques photos, quatre hommes (il en est autant je crois – je le sais inutile de croire – des femmes : ce n’est pas le hasard si elles ne se trouvent pas ici, c’est l’image de ce monde) des êtres humains qui tentent de faire que les choses soient belles, tout en témoignant de la cruauté imbécile de ce monde avide et de son absurdité
je ne suis pas sûr qu’il vaille mieux s’en amuser, mais n’importe, ces quatre-là étaient là ce week-end, ils sont à ne pas manquer et à suivre sans doute. Avec mon profond hommage
avec un grand merci pour le souvenir de Voyage à Tokyo, pour Léger, pour la caravane, pour les souffrants, les humains e la petite fille confiante…
Je me souviens de l’escalier plongeant de l’ancienne cinémathèque au Trocadéro…
Peinture et photo se marient bien : je ne connais aucun peintre du nom de Lourd.
Merci pour ces visites !