Vases Communicants #46
C’est avec grand plaisir que pendant le week-end accueille Louise Imagine, tandis qu’elle accueille Piero Cohen-Hadria sur son blog il pleuvra demain…
La chair lisse du ciel
Il regardait le ciel laqué étirer son bleu profond là-haut, au dessus de sa tête. Le soleil, pourtant intense aujourd’hui, ne l’éblouissait pas encore, cachés derrière les immeubles voisins. Une chaleur lourde saturait l’air, fondait sur ses épaules bronzées comme un sirop onctueux, caressant chaque centimètre de sa peau découverte.
Si son corps semblait s’apaiser, son esprit, lui, ne cessait de le tourmenter. Et le calme dense de cet après-midi ne parvenait pas à y remédier.
– Il m’a menti.
Les mots, pourtant simples, pesaient lourds, inconfortables. Presque incongrus, ils se mêlaient de mauvaise grâce aux bourdonnements sereins des abeilles s’abreuvant au nectar des multiples fleurs du jardin.
– Il m’a menti, répétait-il, butant sur l’évidence, contraint d’inscrire une fois de plus cette certitude dans le moment présent.
– Tu t’attendais à quoi ?
La voix avait claqué tel un reproche, chargée d’ironie. Moqueuse. Une lassitude extrême se déversa sur lui. Lentement, ses épaules s’affaissèrent. Il se sentait terriblement fatigué. Quelques secondes de silence incertain s’ensuivirent. Il les mit à profit pour réfléchir à cette foutue question pour laquelle, bien sûr, avec sa candeur habituelle il n’avait aucun début de réponse.
À quoi s’attendait-il ?
Certainement pas à ça, en tout cas. Non, certainement pas à ça. D’ailleurs, il y avait fort à parier qu’il ne se soit attendu à rien finalement, n’ait noué aucun espoir particulier. Ce n’était pas dans ses habitudes d’imaginer la lune ou d’inventer des happy ends. Pas dans ses habitudes d’imaginer tout court. Il se contentait d’être lui-même, se laissait porter sans trop d’inquiétude ou de questions. Confiant.
Voilà le mot exact.
Confiant.
Ridiculement confiant.
Il s’était comporté comme un con.
La déception le submergeait telle une vague amère, entrainant des flux et reflux de bile auxquels il n’était pas habitué. Il se sentait sombrer dans une colère noire, violente qu’il ne parvenait pas à endiguer.
Le bien-être qu’il avait ressenti quelques minutes auparavant s’était définitivement envolé. Il n’en restait plus rien. Mort et enterré.
Il avait chaud, si chaud à présent que c’en était insupportable. L’air pesait dans ses poumons, sur sa peau. Il étouffait. Une sueur glacée perlait de son front et son cœur s’emballait sourdement. Tremblant de rage, il enfouit son visage entre ses paumes, effaçant derrière ses paupières closes le sourire narquois de son frère assis à sa gauche, luttant tant bien que mal contre l’envie de lui flanquer son poing dans la gueule.
Découvrir ce putain de mensonge l’avait déjà profondément ébranlé, plus qu’il n’aurait voulu le reconnaître. Plus qu’il ne l’aurait jamais cru possible. Mais subir de surcroit les sarcasmes de son propre frère, non, vraiment, il ne parvenait pas à s’en remettre. Son amour propre en prenait un sacré coup. Il se sentait doublement trahi.
D’un bond, il se leva de sa chaise et mâchoires serrées, s’éloigna dans les profondeurs du jardin encerclant la villa, hors de portée des ricanements qui martelaient ses tempes.
Là-haut, le ballet des avions recommençait, lacérant la chair lisse du ciel de cicatrices indélébiles.
Texte : Louise Imagine, photo PCH.
Les autres vases se trouvent ici . Merci à Brigitte Célérier pour sa toujours attentive et patiente recension.
Le ciel (belle photo) lacère les yeux aussi comme parfois l’écriture.
[…] Très grand bonheur de recevoir sur Il pleuvra demain Piero Cohen-Hadria. Notre dernier vase communicant remonte à décembre 2011. Il était donc grand temps que nous récidivions ! Après un premier envoi de photos par mail, l’échange s’est rapidement mis en place malgré un wifi passablement capricieux de mon côté. Merci à toi, Piero, pour ce beau texte que j’ai grand plaisir à présenter ici, merci pour tes talentueuses propositions de titre (je te dois une fière chandelle!) et pour ton chaleureux accueil sur Pendant le week-end. […]
Il m’a menti, il n’y a plus l’ombre d’un doute. J’ai un peu l’air con, bien trop crédule mais j’ignore la colère pour ne me souvenir que des bons moments. Et mon frère n’en sait rien…