Sur le bureau #21
Il n’y a jamais de raison (qui ne soit pas) valable pour écrire un billet : la plupart du temps, il y a un moment, juste probablement, et un besoin, tout autant juste tout aussi improbable : on attend un moment (enfin moi), on se décide. Un rayon de soleil, tout à l’heure une vieille femme, voile sur les cheveux « où on sort, ya amri ? » me dit-elle (ça veut dire mon amour, mais en arabe ça vous a un autre référent, mon enfant quelque chose, elle était comme ma grand mère disons), je lui dis (je sors pour changer moi) : »sur la place Stalingrad », « ah mon Dieu…! » elle se cache le visage de sa main, elle monte l’escalier, « je ne sais pas si je vais retrouver », « je te montre si tu veux » lui dis-je (je tutoie souvent les gens qui m’abordent dans la rue, c’est comme ça même si c’est dans le métro), « j’avais une fille tu sais, elle avait une amie, elle habitait le Maroc, tu vois, où on est , la place ? », en sortant il faut se retourner pour la voir, sinon on est face au bassin et si on ne connaît pas, tout à coup, on se retrouve perdu, je lui prends le bras « là, voilà, c’est là, il y a l’avenue de Flandre, là », elle me regarde, comme un sourire, une illumination « oui, l’avenue de Flandre, c’est ça…! » et la voilà qui me serre la main, « merci mon fils », merci oui, de rien, j’ai pris cette photo de l’immeuble de la Bataille
je m’en vais je passe devant les travaux qu’ils font devant cette rotonde (jamais mis les pieds dans l’établissement), un type déclare en regardant les ouvriers « oh ça, c’est du bricolage », ils sont noirs, quelle importance, j’ai attrapé le métro, on remonte vers Belleville (le litre d’essence sans plomb -neuf cinq, pas de blague, hein – à la station Col Fab sans pompiste est à cent quarante six point neuf), on arrive, je sors, une femme qui se retourne, qui regarde et se retourne à nouveau, qui crie « Laura !!! » comme si on lui avait pris arraché un bras, sur l’escalator, une jeune femme (cheveux pris dans un bonnet noir, pantalon gris anorak noir chaussures beiges ces trucs mi-bottes, là, qu’on voit partout -10 dollar européens la paire sur le faubourg – la mode) « mais je suis là, je suis là… », je dis à la femme : « mais elle est là, elle est là… « et celle-ci se retourne à nouveau, prenant l’escalator, « j’ai eu peur, mais elle est là », elle me sourit, je m’en vais, je marche.
Un billet, normalement, ça a quelque chose à dire.
Celui-ci, non, rien. enfin, au départ, oui, je voulais parler un peu, à peine parce que je l’ai à peine connu, deux ou trois sourires échangés, sans doute lui ai-je serré la main, deux ou trois fois, je ne sais plus vraiment, je me souviens de ses mots parce qu’il les disait tout haut, comme il se doit sans doute, dans ces ateliers, mais outre ces quelques bribes de souvenirs, non, je ne sais pas, peut-être allait-il dans un restaurant de la rue de l’Aqueduc, je crois me souvenir, ou les regards d’entente avec sa femme, les rires oui, peut-être, je ne sais plus bien exactement, alors j’avais à penser à autre chose, il y a trois ans, j’avais mélico à faire avancer (je le reprends mais dans un autre cadre, parce que merdauxcons) , j’avais la gorge qui se serrait quand j’avais mes mots à dire, comme de juste…
Alors pour dire, j’ai fait tourner Nina Simone, j’ai mis sur le billet deux images qui ne sont pas de celles que j’ai prises à ces occasions, je vais mettre des liens, je vais encore sur le métier remettre mon ouvrage, je ne savais pas qu’il portait le même prénom que moi, mais qu’est-ce que ça peut faire, finalement, ça n’a pas une importance capitale, un prénom, enfin on a le sien, propre comme son nom, on a le sien, alors le métier qui attend, les souvenirs qui reviennent de Maryse et, donc, de Pierre Baldini, donc, oui, à l’évidence alors, le monde vit encore, malgré tout, oui, et la vie est encore là, parmi nous les amis sont encore vivants, donc, les êtres vivent, bougent et se cherchent, oui, s’aiment, oui, donc, au bout du couloir j’entends le piano, le violon, je me souviens de ces moments-là, et puisqu’il faut toujours qu’il y ait des raisons, il doit y en avoir, certainement, sans doute, ou alors probablement, je ne sais pas bien, Nina chante « Mood Indigo » et joue du piano, le soleil vient de se cacher derrière l’immeuble d’en face, c’est l’hiver, bientôt, oui, mais tout à l’heure, elle entonnera « Strange Fruit », on reverra sa bouche qui se tord un peu en disant « black bodies swinging in the southern breeze » tu sais, ce n’est pas que l’espoir nous quitte, ce n’est pas qu’on perde la joie du café brûlant, l’odeur du pain grillé, le matin, partagé avec ceux qu’on aime, non, ce n’est pas ça. C’est juste que, parfois, dans certains moments, tout, mais alors tout, tout est dépeuplé
Nina Simone repeuple le silence…
Mélancolie d’un billet : au fait, on le prend bientôt, ce café ?
juste te dire qu’en lisant et par ces sortes de hasards somptueux qui ne sont pas hasardeux, au même moment j’ai écouté E lucevan le stelle http://www.youtube.com/watch?v=D7YM67osqF4&feature=youtu.be
(alors il crie un peu le monsieur, mais il a le droit, il va être fusillé donc, dans ces cas-là, il est possible qu’on perde un peu de sa sérénité)(mais ce qu’il dit et tout ce qu’il y a derrière et la mélancolie de cette mélodie, purée, ce déchirement, enfin, c’était avec toi en lisant, tout pareil)