Oublier Paris #51
Rubrique(s) : Carnets de Pierre Cohen-Hadria / Oublier Paris / Ville (ma) vue du sol
20 décembre, 2013 4Des choses à faire. Des billets.
Rien de spécial, porter des fleurs à ma tante qui perd un peu la tête, penser à passer par la librairie pour quelques livres en cadeau
(pas celui-là, remarque, j’ai vraiment pas les moyens) regarder les ciels qui passent
le temps, le soleil est de la partie. J’ai téléphoné, on m’a dit d’attendre, alors comme il suffit de passer le pont
je suis allé avec mes fleurs attendre au jardin. Il y avait là un marchand de voiliers, enfin il les loue
je suis resté peut-être dix minutes, et la photo (semblable à celle-ci) a été prise au moins quatre fois, les touristes, le jardin, l’exotisme, la couleur locale, Paris quelle belle ville, le Louvre au loin, la tour Montparnasse dans l’astre, au loin
on ne pense pas dans ces cas-là, enfin moi, je regarde, j’attends, je m’assois, je porte un manteau noir, contrechamp
et sur le sable de l’allée un autre passant
aventure
c’est de voir les ombres, marche tranquille
approche
simple et directe et tout à coup plus rien
puis l’appel téléphonique « tu peux venir, elles sont parties », je me lève, croise
dépasse
avance
« elles » ce sont les dames qui s’occupent de ma tante, je ne sais pas exactement si elles sont plusieurs, je crois, je ne sais pas, j’attends le temps qui passe, j’attends de la voir, elle me sourit, je n’ai pas d’idée de billet, je ne vois rien en réalité, je l’écoute mais ne la comprends pas vraiment, je me souviens que cette attention aux mots que, dans ma famille, on néglige est pour beaucoup dans ce que les paroles ne se tiennent pas, je repense à ma mère, sa soeur, je m’en vais, je prends ma tante chétive dans mes bras, l’embrasse, le couloir, la porte, le couloir à nouveau puis un autre, un signe de loin, au revoir oui, au coin, l’ascenseur le métro marcher, de retour chez moi
ma fille récite le monologue de Lucky, « couronnées par l’Acacacacacacadémie d’anthropopopopopométrie… », plus tard, elle rira, « tu lis, tu le lis à la bonne vitesse, et là c’est là que tient le théâtre », puis « tu sais il y a Antigone à la comédie française » regarder les tarifs (ne restent que des places à quarante huit, impossible, impossible), j’appelle mon frère, un café, rendez-vous vers Rome,
la place Clichy sera au loin
sur le boulevard et derrière le Sacré Coeur (cette ordure de thiers) la lune se lève, le ciel est calme, il fait doux, chaque seconde qui passe attire la suivante qui elle même nous rapproche encore à nouveau de la suivante, et il fait nuit, dehors la lune redescend toute la nuit, dehors le froid peut-être de l’hiver bientôt, dehors
dehors c’est la nuit, oui, voilà, et pour le reste, des couleurs trop fortes pour êtres vraies
et sur l’asphalte, cette blessure
ils l’ont bien réparée la blessure, elle est belle malgré que.
(chez moi l’autre jour une dame, gros manteau, assez ronde, à ses pieds des sandales, celles en bois avec le passant genre cuir et les pieds nus dedans, tu te dis que quand il fait moins cinq (vu qu’il faisait moins cinq ce jour là) c’est quand même pas possible, et sur l’abri bus une pub pour dior, enfin tu vois un peu) (louer des voiliers, c’est beau) (ça pourrait être une scène bonus de mary poppins) (et les couleurs irrėelles bien sûr)
merci du passage…!
Au Français il y a toujours les places du poulailler à 5 euros, qu’on peut prendre à la dernière minute. Ils appellent ça places « à visibilité réduite » (hideux). Son autre nom c’est paradis. On ne voit pas grand-chose mais on peut éventuellement descendre à l’entracte !
(oui, d’ailleurs on a toujours aimé ses enfants) (ceux de Carné je veux dire) (et surtout, surtout, Maria Casarès) (pour les autres, bon ça va comme ça) en tout cas merci (en effet, 5 euros pour la visibilité réduite, c’est bien un truc de théâtreux, ça)