Carnet de voyage(s) #59
C’est l’heure, on embarque
(bizarre de donner de la « barque » pour un avion, mais qu’est-ce que ça peut faire ? on a discuté avec le personnel pour changer de place, on nous a placé sur les fauteuils qui jouxtent les sorties de secours : on donne sur l’aile) tout à l’heure
on virera, j’ai posé sur la platine Antonio Zambujo, sa « casa fechada » – ça veut peu-être bien dire maison fermée, abandonnée ou quelque chose (ça rappelle la maison du pêcheur d’Amalia Rodriguez, qui ressemble à Anna Magnani, ou à ma mère c’est selon l’idée qu’on s’en fait – quant à moi je ne sais plus) – il fait nuit, les lumières brillent de soufre, je ne me souviens plus si le commandant de bord nous a souhaité la bienvenue, les gens de la cabine oui, on sent dans l’avion qu’il peut s’écraser, c’est comme ça, ce sont les consignes de vol, on nous demande de nous séparer de nos affaires, rien pas même un petit sac minuscule, non, issues de secours obligent, les lumières vont baisser tout à l’heure, l’avion avance
(un airbus genre 319 ou vingt, je ne sais plus non plus)
(ça n’importe guère) il faisait doux en s’en allant,peut-être vingt deux, j’avais mes lunettes de soleil, mon sac noir, ma veste bleue, il faisait doux, on laissait l’aéroport derrière soi, on laissait l’Espagne et la Catalogne, on y reviendrait mais on ne le savait pas encore, pas vraiment, seulement quand on part de Gênes, Lisbonne Venise ou Istanbul, de Paris comme de Tunis
on sait qu’on y reviendra, si tout va bien, j’ai pris un journal dans la poche collée au siège de devant, un de ces journaux iniques, tant pis, les stewards et hôtesses posent des mots sur des gestes, des gilets de sauvetage qu’on gonflera si, des masques tomberont devant nous si, enfin l’avion avance, laisse à droite les lumières, attend patiemment, puis voilà qu’il s’élance et s’envole, doucement sur l’aile il prend son virage, à droite, juste là
les lumières, Barcelone s’en va, on laisse s’écouler le temps monter l’avion se détendre les nerfs peut-être
au loin les lumières de la ville qui se fondent dans le bleu nuit du ciel à l’ouest le soleil s’est couché, on avance à huit cents kilomètres à l’heure il me semble, dehors il fera tout à l’heure moins vingt ou trente, je ne sais pas, l’avion monte encore
on n’entend plus rien (dans certains avions, sur certains vols dit-on, on nous abreuve à n’en plus pouvoir d’annonces, d’injonctions pour mettre en valeur et la compagnie et ses partenaires, insupportables mais bas prix : faut-il choisir ?), il fait doux, les lumières sont un peu voilées, derrière les nuages s’est levée la lune
derrière les nuages, au loin la ville disparaît
on reste ceinture bouclée, cigarettes éteintes (on ne fume plus dans les avions : c’est mieux pour ceux qui ne fument pas, c’est vrai, mais ces principes aliènent nos libertés et il y en a marre, aussi) si on veut un peu d’air tourner un petit bouton juste à côté de la lumière, on allume dehors il fait nuit, les lumières reviennent dans la cabine, on ouvre le journal, Lyndon B. Johnson le vice président sur le ticket de John F. Kennedy, les deux lunettes de soleil au nez
est-ce du Texas la lumière ?
Au loin, Paris, douze ou quinze au thermomètre, je ne sais plus, on remet un pull, et on reprend l’autobus
Ce que c’est beau, tous vos voyages
Quand je prends l’avion (de moins en moins) je garde le front collé sur le hublot et entre les deux, mon appareil pour photographier le dehors et oublier le dedans. J’aime beaucoup l’avant-dernière photo avec le reflet.
Une petite question : qu’est-ce que « Hermes Baby » ? (ça apparaît en lien sur le côté droit de la page, rubriques RSS et Réseau)
Merci à toutes les deux de passer par ici…
(@ruelles : un nom de code secret – qui correspond au nom d’une machine à écrire des années cinquante) :°))
Ces virages sur l’aile (où l’on peut croire à un moment qu’il s’agit même de la piste d’envol) embarquent dans le nocturne, on se laisse piloter…
J’ai si souvent essayé de faire des photos dans des avions, et j’ai toujours raté, ça n’a jamais rien rendu, que les vôtres sont belles, et je les regarde d’autant mieux que j’ai le souvenir de ce que je voulais capter, saisir, qui n’était pas dans les miennes, qui est dans les vôtres. Finalement je suis contente d’avoir raté les miennes, cela m’a appris à regarder les vôtres … Amitiés.