Carnet de voyage(s) #44
Il pleuvait sur Istanbul.
Au loin, les nuages sur Beyoglü, sur l’autre rive du Bosphore
au loin, s’avançait un futur qui, aujourd’hui me fait souvenir. Il pleuvait, ce matin-là, sur Istanbul, une petite pluie, j’avais un parapluie, la promenade allait s’aventurant dans les bazars, c’était un dimanche, je crois, les rues étaient plutôt vides, au ciel toujours, et malgré tout
les avions apparaissaient, il pleuvait un peu, une pluie fine, il nous fallait un jus d’orange, autre chose, avancer sur les collines de cette ville magnifique, le guide nous indiquait que, tel caravansérail
tel escalier
tel couloir à longer
nous cherchions et montait la rue devant nous, rideaux de fer baissés, passants rares, et puis cette petite porte sous des vêtements, à l’intérieur, ce passage, cet homme qui nous indique
« oui il y a quelqu’un » (je l’ai déjà raconté, j’y ai déjà posé les images de MdBC), ce ne furent que quatre jours d’un voyage magnifique
parce que c’est une ville magnifique
parce que les gens y sont adorables
et les mers infinies – alors bien sûr, découvrir
au loin ces tours, ces immeubles, voir ce monde tout entier dans une actualité verdoyante, aujourd’hui le passé est plus vert, aujourd’hui on se bat dans les rues d’Istanbul, comme dans celles de Tunis et de Kairouan, aujourd’hui, il y a du soleil sur Paris, ici, là, ce n’est pas qu’on en ait peur, non, mais si nos enfants y donnaient une vie, qu’en serait-il de la nôtre ?
Nous parcourions la ville
c’était un dimanche, il y avait aux rues des marchands de café
des cireurs de chaussures
des mendiants, des femmes et des hommes qui ne demandaient qu’à vivre, tu vois, juste vivre, respirer cet air, manger, aimer et courir, l’herbe et les arbres, les oiseaux et l’air
au loin aller vers Marmara
non, je n’en ai pas fini de mes carnets, non, ce n’est pas qu’on prenne des photos pour ce type de souvenirs (je n’aime pas les souvenirs, mais j’aime la mémoire), ce n’est pas non plus que le temps s’en aille et que bientôt, nous en aurons fini du rôle de parents, j’ai perdu les miens depuis quelques temps déjà et il faut se préparer, il faut regarder les choses droit dans les yeux
elles arrivent et nous surprennent, nous étions si heureux, nous n’avions pas aux mains ces rides ni ces taches, nous n’avions pas à l’âme ces plis, nous n’avions pas encore vécu ni la trahison, ni le bonheur d’en réchapper, nous n’avions pas encore subi d’humiliations ni même de reconnaissances, non, nous allions et l’air avait pour nous des qualités de chanson douce, nous avions devant nous comme un jardin
nous avions devant nous notre vie même, je re-cite Amalia « toute ma vie, disait-elle, je n’ai jamais cessé d’attendre ma vie », je regarde le pont Galata, ce bleu, ce rouge des drapeaux (celui de la Turquie ressemble à celui de la Tunisie – ils commencent et finissent pareil, ces noms-là) et ces sourires des jeunes gens
il y a au monde des gens qui s’agenouillent et j’aime savoir qu’ils cultivent leur foi
quand même moi je ne l’ai pas et vais-je les agonir sous ce prétexte ? Les lieux, les yeux, les passages, les ors
les habits (cette échoppe
j’aurais aimé m’y procurer une veste, un costume – mais je n’aime pas ces vêtements-là, pourtant, mais n’importe – entrer et demander telle ou telle
ces gens sont sur Terre depuis autant de temps que moi, ces cheveux blancs, ces mains qui travaillent le chapelet, cette demande du jeune type, ces attitudes, ces étiquettes)
les cieux qui s’ouvrent, à Istanbul, c’est l’après-midi qu’il fait beau
cette terrasse et ces bateaux qui parcourent en tout sens cette mer, ce détroit, au ciel passent les aéronefs
voici deux hommes qui parlent
ils se parlent l’un explique l’autre écoute, ils s’isolent, au fond de l’image un homme regarde le point de vue, en partant de cette terrasse un chat s’en allait tout seul
et descendant de cette colline
des femmes riaient (il y a dans le fait de prendre des photos quelque chose comme un viol, les paparazzis provoquent des accidents de voiture afin de capturer les « stars » dans leur quotidien, la bêtise humaine n’a pas de fond) le ciel se levait
il y avait cet après-midi-là un air de joie et de gaieté
c’est la joie de n’avoir qu’à chercher une destination et de la prendre
c’est simple comme un sourire
un bonjour, un renseignement, c’est simple main en main, marchons, la place, le bateau
pour où je ne sais plus, l’Asie, allons, regarde, la ligne bleue
les bateaux, Topkapi à ma droite, hier une vingtaine de limousines peut-être entraient en trombe dans ces jardins, le ministre de quelque chose recevait le président d’autre chose, il y avait le ciel qui tournait au bleu
il y avait sur l’eau ces dizaines de navires, bâtiments qui vont leurs routes, comment savoir,que déterminer d’eux, les croiser, croiser ici cette petite gare
s’en aller une femme qui prend en photo
la locomotive (elle n’est pas à l’image) d’un autre âge, tu sais quoi ? j’ai trop d’images (il suffirait d’en ôter, mais non, toutes) la tour Léandres sera à nouveau là à main gauche
à l’aller, les mouettes riront
Marmara sera au fond de l’image, au fond aussi nous verrons le pont du Bosphore, si loin, presque effacé
Oh quel merveilleux cadeau vous nous faites !
@brigetoun : heureux qu’il vous plaise…
Magnifique, vraiment…
Merci
@Louise Imagine : merci à toi
Hélas, derrière le tourisme, le terrorisme (celui d’Erdogan)…
Hélas en effet…