Local
C’est de me retrouver sans travail qui m’indique une sorte de chemin. Nécessaire de regarder par exemple le trajet de l’un de mes grands-pères. C’était mon ami, c’était le père de ma tante et de ma mère. C’était un homme qui aimait la bière, les montres à gousset, bracelet, celles qu’on pend au cou des jeunes filles avec une chaîne d’or, et le tabac à priser. Mérite agricole, Juvénal, fil de fer, je pense qu’il naquit à Tunis tout comme moi. Ou moi comme lui.
Des dizaines d’années plus tard
la ville, Paris et son chantier permanent.
Marcher. Regarder, devant soi. Il y avait là hier matin, sur le faubourg, cet ancien
directeur de journal que j’ai photographié dans le métro, il y avait sur la rue du faubourg ce type, là,
manteau poil de chameau chaussures vernies, canne, casquette chemise et cravate, des gens qui passent dans les rues, des hommes surtout, je regarde et passe mon chemin.
Un livre découvert un soir, un collégien l’aura perdu. Une photo, la couverture, le chapeau et l’écharpe, Jean Moulin, entre ici… Le froid qui revient, ce n’est pas que je ne fasse rien, ce n’est pas non plus que je m’ennuie. Il y avait l’autre soir une interprétation
des variations Goldberg (sous le lien au piano, Glenn Gould) par un trio à cordes, (d’un quartet, nommé Zerlina) un tout petit théâtre, une soixantaine de spectateurs, auditeurs, la mère de l’une des instrumentistes, son ami (à l’instrumentiste pas à la mère) (je n’ai pas approfondi les relations) d’autres amis, des gens, une odeur de cuisine (on sert à manger dans ce théâtre – il rappelle celui du Soleil pour la peine), la musique et le soir
comme tout va bien, comme le froid est moins vif, mais le monde…
Le ciel à nouveau
le ciel, et le lendemain
le même livre, la pluie, le ciel, la pensée est-ce ce trait blanc sur fond indicible ?
Avancer, ce n’est qu’une photo ratée, avancer, écrire regarder, en dehors du monde, trop de sang, trop de morts pour quoi, trois balles deux dans la tête, une dans le cou, la fuite en moto, on ne sait pas, devant chez lui, hier matin, que reste-t-il une photo, une moustache, un micro, des êtres humains qui sont heureux, à présent, d’avoir exécuté un des leurs (qu’ils pensent ce qu’ils peuvent, nous sommes semblables), ces deux personnes dorment-elles dans un lit ?
Vivent elles ? Regardent-elles leurs enfants grandir et les aiment-elles ?
Ce matin, vers sept heures, comme tous les matins, vers sept heures, dans cette rue-ci, au dessus de laquelle on peut, parfois,découvrir ce ciel-là, ce matin vers sept heures le camion nettoie les rues, il passe dans un fracas propre à réveiller le prolo, il passe et nettoie, le livre y était encore hier soir, à présent, voilà le travail
Alors de la musique, avant toute chose, de la musique encore et toujours, oui, encore. Pour ne pas oublier.