Sur le bureau #9
Rubrique(s) : Carnets de Pierre Cohen-Hadria / Sur le bureau / Ville (ma) vue du sol
17 juillet, 2012 2C’est cette chanson qui dit « ferme les yeux, ferme la porte, tu n’as plus besoin de t’en faire maintenant, parce que je serais à toi ce soir/ éteins la lumière et éteins l’ombre, il n’y a pas de quoi avoir peur, je serais à toi ce soir ».
Elle est de Bob Dylan, et elle doit dater de soixante huit, quelque chose. « Jette tes chaussures, n’aie pas peur, tiens apporte cette bouteille près de nous, je serais à toi ce soir ».
Ne plus voir la lumière. Ne plus distinguer ce qui dans le ciel se passe. « Ferme la porte, va »
Il y avait ce lundi quelque chose dans le ciel. « Je serais à toi ce soir ». Ou « ce soir tu m’appelleras chéri ». Reprise par Norah Jones, elle est sur la platine qui tourne. Le soleil est arrivé, il en est de juillet comme d’août, ils sont tellement là qu’ils passent et que déjà c’en est fini. Nous, nous approchons de l’automne mais on ne veut pas le savoir, on ne veut pas voir ça, on ferme les yeux on ferme la porte…
« Well, that mockingbird’s gonna sail away
We’re gonna forget it
That big, fat moon is gonna shine like a spoon
But we’re gonna let it
You won’t regret it… »
On ne regrettera rien. Il y a quarante ans, tout juste, là comme ça, mon père disparaissait. J’étais allongé sur le mur du jardin qui donne sur la rue. J’écoutais la radio, plus ou moins, plutôt moins je n’aime pas le vélo, mais à l’époque, le temps devait passer, je travaillais à l’usine qui l’employait depuis une douzaine d’années, le quatorze juillet, c’est sacré on ne travaille pas, on écoute la radio, allongé sur le mur du jardin, la retransmission de l’étape du jour, ce devait être un vendredi, « close your eyes, close the door, you don’t have to worry anymore… »
Non, on ne regrette rien, le temps passe, le ciel ne se voilera pas, le soleil y brillera, ce matin-là devait être un mardi, c’est à Montmartre qu’il repose, Berlioz si je n’oublie pas, regarder devant soi, il y a les yeux des enfants qui brillent « le restaurant hier, c’était bon… » une sorte de vietnamien parce que le coréen était fermé, oui, « you don’t have to worry anymore », devant soi hier dans la boîte aux lettres verte, il y avait le faire part, « venez lui dire au revoir en couleurs », au Père Lachaise, très bien oui, en couleurs, mais je n’y vais pas, je suis fatigué ces temps-ci,
c’est l’âge mon vieux, c’est le temps où j’allais en Corse, l’Île Rousse, les pleurs sur le sable, la cheville un peu enflée, quarante ans, le monde tourne, on ne regarde que devant soi, ce qu’on fait ici c’est construire, on pose ici
une paroi, ici
une photo, on regarde devant soi, et les idiots qu’on côtoie bien vivants
pourquoi eux et pas celles et ceux qui s’en sont allés ? On ne choisit pas, mais la vie ne serait-elle pas plus belle alors sans les chiens mais avec ceux qu’on aime ? Viendra septembre
« Apporte cette bouteille par ici, va » mais non, je ne bois plus que de l’eau, et du champagne parfois, les quinze, « cette grosse lune grasse brillera comme une cuillère mais ça ne nous sera de rien, on l’oubliera sans regrets », cette chanson avec cette fonction « repeat » et « morceau seul » et le son du bandjo, celui de la voix « I’ll be your baby tonight » , on a posé sur ce pan de mur
un drap vert mais translucide, on a attendu de descendre la rue du Général Lassalle, pour prendre celle de Rampal et trouver
qu’on avait recollé là le « B » et son « O » le gel vous savez, ils étaient tombés, on attendra de revenir dans la rue, puis prendre celle du faubourg, il sera nuit, « ôte tes chaussures, pas de quoi frémir avec toi je viens », on attendra qu’il fasse nuit, et on oubliera, on ne regrettera rien, seulement on saura, toujours et insensiblement, que le monde est en train de tourner, parfaitement indifférent, et que ceux qu’on a aimés, ceux qui nous ont vu naître, c’est le destin, disparaîtront avant nous, quarante ans c’est bien long sans toi, alors « ferme cette porte, plus besoin de s’en faire à présent », il est trois heures de l’après-midi, le soleil est là, au ciel pas un seul nuage, le mois de juillet s’étire
et je vais emporter cette méditation en moi en cheminant, me tiendra compagnie et me servira de rempart
encore une semaine, et les remparts redeviendront plus calmes… merci de passer et de commenter..