Pendant le weekend

Oublier Paris #38

Il y a là (sur le bureau) un dossier  intitulé « Docs P » lequel renferme 22 éléments, dont le deuxième nommé « photos » en renferme à son tour 44 autres. L’un d’eux (le trente cinquième), titré « photos améliorées » est constitué de 1585 fichiers. Un tirage aléatoire (tous les 99 éléments, sauf erreur) fait apparaître seize clichés proposés pour accompagner un texte; l’illustrer peut-être, l’égayer ou l’ouvrir. On les a regroupés dans un dossier posé sur le bureau, intitulé « bureau 2 », on posera la première photo tout en regardant le titre de la suivante : un texte, des mailles et un filet, qui sait si le sens passera au travers…

Une déambulation, dans le monde souterrain de Paris ou, le plus souvent, au niveau des rues et des rez-de-chaussée. Présentées dans l’ordre d’apparition (il s’agit de l’ordre alphabétique des titres donnés), où les chantiers en cours sont un peu représentés (ces chantiers ne sont que personnels, non pas d’écriture ou de recenssion, de réminiscence plutôt).

C’est le printemps et des arbres, voilà tout (ici en 2010, mais ça ne change rien en réalité) l’image est la même, la rue croise celle du faubourg à angle droit, piétonne, les vieillards y marchent entre dix et onze, baguette et cabas

tandis que d’autres bossent, c’est par texto que j’ai été mis devant le fait accompli ou presque du déménagement

ma tante m’en a parlé mardi dernier, j’ai été assis, évidemment déjà plusieurs fois elles m’ont trahi, plusieurs fois j’ai du en faire mon dépit, mon dégoût, comment ne pas les haïr je me le demande, et pourtant elles sont là, et comme d’autres, prennent le métro

je le prends revenant de l’autre rive où je lui porte chaque semaine des fleurs, mardi dernier même ce geste d’amitié a été traîné dans l’ordure, mais changer de contexte à un âge qui a dépassé les dix neuf lustres, ce n’est pas raisonnable, alors que faire ? J’ai regardé ce mur, cette heure et cette date

un chantier, je me suis demandé s’il fallait aller déposer quelque chose, une main courante, une plainte, laisser le monde entrer dans cette histoire de famille, est-ce nécessaire, j’ai indiqué que j’allais le faire, mais ainsi que dans une nuit noire

je n’ai su quoi faire, je me suis demandé dans quel méandre pervers et tortueux vice on voulait m’entraîner, j’ai posé que les choses étant ce qu’elles sont, de nos jours probablement, je disposai ici d’un enregistrement, de la réalité de quelque chose, d’une certaine mise en scène mais de la réalité, que j’ai déjà opérée eh bien, je continue donc, j’ai posé le disque d’Aznavour sur la platine,

c’était au temps où, dans l’appartement donnant sur le lac, on écoutait « tu te laisses aller », avais-je seulement dix ans, le retour par Lons-le-Saulnier, je ne sais plus très bien, Rome et une Hotchkiss garée là, Trastevere, Rome cette ville, oui, y aller y mourir, Myriam, la propriété, oui, ces choses qui se transforment, ces mots ignobles si souvent employés, envoyés par la poste comme sans y toucher, le téléphone

c’est Paris au mois d’août, on appelle, on parle, on se renseigne, ces gens que je capture à peine, sans faire le point car je ne sais pas le faire, je ne veux pas non plus, je les regarde et sans doute chacun a-t-il de ces histoires à raconter, de ces errements à tenter d’endiguer, exutoires et tentatives d’épuisement, un jeu de piste


qui sont-ils donc, tous ces humains assis, là, debout, des lunettes d’une autre tendance, une autre mode, un autre pays, certainement, Pigalle et Blanche, je me souviens oui, ces gens

on voisine dans le métro, on va vers le Wepler à Clichy, le prix, ou alors cet autre, celui de la Tour Montparnasse

c’était un midi, je me souviens, je ne sais plus, mon amie s’était foulée la cheville, son chapeau, le libraire du Divan qui raconte ses tables, mais le Montparnasse Monde lui fis-je remarquer, il paraît qu’il y est apparu ensuite, sur la jaquette le prénom de l’une d’entre elles, elles qui, là-bas sur l’autre rive, se sentent fortes et imbues de quoi ? les laisser faire, mais s’il en va de la vie elle même ? Nous nous étions mis d’accord, oui, le plus longtemps possible, voilà que ce ne l’est plus, j’ai appelé ce matin il était onze heures, et elle dormait, « tu en peux pas imaginer », je l’ai réveillée, elle y était encore

tu te souviens de ce concert de Paul Bley, à la cité de la Musique, son piano, ses main sur les cordes, je me souviens, oui, je me souviens, la musique oui, la musique, Charles chante « à ma fille », une chanson assez idiote, le monde tourne donc rond ? Même dans les chansons cons, y’a des choses qu’on dit pas » disait Leprest

le piano du pauvre, on lit dans le métro, je le reprends l’ayant entendue me dire « tu ne peux pas imaginer », non, je ne peux décidément pas, les femmes et les hommes assis debout, la musique oui, la musique

au fond de cette image, les arbres verts sont ceux du jardin de la maison de Gainsbourg-Gainsbarre que je croisais, dans les années soixante dix, au café du coin, la rue de Verneuil, celle de Beaune et de Lille où elle m’avait trouvé une pièce, la concierge d’en face,  non loin de l’appartement de gens importants, au bout de la rue Lacan recevait encore, une rue plus loin coule la Seine, on pouvait l’y croiser,

sa soeur vivait alors sur l’esplanade, l’hiver cache le haut de la tour qu’on peut voir en son coin, les ambassades et les restaurant de poisson, je me souviens le marché de la rue Cler où elle allait parfois, et les disputes qu’elles deux entre elles fomentaient, deux soeurs, l’amitié de la jeunesse, et puis l’éloignement de la vie, les trahisons et la folie, juste la folie d’imaginer d’enregistrer, d’imaginer que le fantasme est agissant

on se tient à la table, on se demande s’il s’agit d’un cauchemar, de la réalité, on transcrit ses sentiments, ses impressions, ici le quai du canal, l’homme est assis au bar des amis, on aime mieux l’amitié, vraiment, on n’oublie rien, on ne laisse rien passer, mais on  préfère les sentiments nobles. 

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