Oublier Paris #37
A nos pères
Tout est exactement à l’identique, les lumières, le noir de la nuit, la ville et ses rues, on y marche, on y court, on avance comme on peut, tout reste semblable, les chantiers
c’est la nuit, probablement mais le jour
la lumière y était, oui, alors le jour a baissé c’est cela ? oui, il était quelque chose comme deux ou trois heures, cet après-midi, je parlais au café de cinéma « ah le fils de Claude Berri, celui de Chabrol ou celui Karmitz… » on discourt souvent au café, pour nous souvenir aussi que nous n’avons jamais été si loin, non, nous sommes proches, des proches, et voilà qu’il était parti tranquillement, sans souffrir, sa vieille montre à son poignet, cet homme, là, et la nuit venue, une promenade
oui, tout est toujours semblable, les pavés et le goudrons, les hommes qui errent seuls, là, sur le boulevard
oui, mes semblables, on est là et les néons
éclairent les terrasses, on fume, on boit on parle on se regarde
tout nous est semblable, ces cafés nous les connaissons, nous passons devant chaque jour peut-être, l’attention nous ne la leur portons plus
ici, une ethnologue en son terrain s’entretenait avec ces femmes juives qui venaient de Tunisie, leurs bijoux, leurs rires, là on tournait un jour
un film d’école, je me souviens du postier, là on mange chinois
on marche, passant devant la banque, l’épicerie fine, ce bureau de change, au loin monte la rue
derrière l’aquarium des hommes parlent mangent disent racontent non,
les voit-on ? non, rien n’a changé, tout, partout, tout est semblable, « le rouleau de printemps » de la rue de Tourtille
est toujours et aussi irrémédiablement bondé, les gens courent
je te dis, tout est semblable et rien n’a changé
je redescends, je me souviens qu’un jour, c’était il y a tellement longtemps, il ne s’agissait que de rien, un petit quelque chose je ne sais plus, je me disais « tiens ça je vais lui en parler » et tout à coup, oui
c’était là et pourtant rien, sa lumière s’était éteinte et plus jamais il ne me sourirait, c’est pour le tenir vivant que je me souviens, et voilà, ce que je voulais lui dire, ça me revient c’est que si la mort est laide, immonde et triste, la vie quant à elle est ce qu’elle est. Gaie, drôle, forte, bousculée, oui. Dure, parfois. Mais belle
photo de la mer à Bocadessa, merci à mc ©