Carnet de voyage(s) #15
Rubrique(s) : Carnets de Pierre Cohen-Hadria / Carnets de voyage(s) / Ville (ma) vue du sol
19 janvier, 2012 2Partir à Bruxelles. Un dimanche matin, c’est probablement parce que je n’ai pas vu cette irrégularité dans la chaussée que je me suis tordu la cheville. Nous étions à Ixelles (j’aime ce nom) nous cherchions quelques maisons indiquées sur le plan, il faisait beau, c’était lundi.
La veille le train (sans doute aussi parce qu’il rime avec Bruxelles, et qu’il n’est pas Bruxelles tout en l’étant) (Bruxelles c’est le pentagone, et quelques excroissances sans nom, mais pas Ixelles) (allez savoir pourquoi, sinon que pour sortir de cette Bruxelles, on emprunte, comme à Paris, des portes)
Le métro.
Dans les trains, pour ouvrir ce type de petit portillon, nous disposions d’un carré (ici, c’est un triangle, c’est en quoi le métro est différent du train).
Entre autres (ça c’est Paris).
Il allait faire beau, c’est quelque chose qu’on sent, la fraîcheur de l’air, la tendresse des couleurs (tout ça n’est qu’artifice, mais que fait-on, ici, sinon, de l’artifice ?)
C’est aussi probablement parce que l’inactivité obligée de ce gonflement de ma cheville gauche m’intime de réfléchir, et non plus de courir (en vrai je ne fais que marcher). Réfléchir comme une vitre (on voit, de temps à autre, l’écharpe orange de mon amie).
Alors, le train file en quatre vingt dix minutes, le temps d’un film au format des exploitants (5 séances par jour, plus une à minuit , tout est joué le mercredi à dix heures : c’est à vomir). Exploiter. Performatif. Evaluation. Comparaison.
Il fait beau sur la campagne picarde, il doit y faire froid mais on n’a pas le temps de s’arrêter. Au loin coule la paix…
La portée dédiée au TàG
Nous ne faisons que nous entregloser disait l’autre (Michel de Montaigne, quand même), et voilà : un blog pour quoi faire ? Carnet de voyage, quinzième du nom, et ces chiffres, et ces obligations de compter, de poser quelque chose devant soi, de le contempler, de l’offrir (offrir ?) aux autres, laisser les mots venir à soi, les laisser parler d’eux-mêmes, les regarder s’éloigner à la vitesse du son, toujours aimé les vitesses et les mesures (je me souviens de Jussieu)
et regarder le temps passer : pourquoi faire alors, sinon pour rester dans une sorte de courant moderne ? Certains écrivent, contrastent, empilent, critiquent, rient et vivent : c’est que nous sommes vivants aussi, c’est que le temps passe et que le vie coule, regarder la fenêtre, puis passer à l’intérieur.
Si j’aime les trains, c’est que je sais que je vais en revenir.
De soi.
Comment réagir alors ? Une promenade, vérifier les enseignes, relire les textes des autres et en penser quelque chose, commenter parfois, envoyer un mail faute d’orthographe, attendre quelque chose des images qu’on envoie ou des mots qu’on laisse ?
Non, j’entendais un jour dans le poste des rédacteurs dire qu’ils écrivaient pour ceux qui les lisaient, je ne sais pas, je ne crois pas, ou alors en annexe (il y a toujours des annexes aux rapports qu’on produit) seulement, les autres certainement, la fidélité (ectoplasme serein, une image qu’on aimerait immobile, bien sûr mais y mettre ce mot, n’est-ce pas aussi se conduire comme un chien ?), tout cela est ambivalent, des photos, des retouches, suivre et continuer à écrire, oui, regarder le monde bouger à la vitesse de la lumière, regarder derrière soi et se dire que le chemin a été parcouru, un passage (comme j’aime les passages, à Bruxelles, il m’y faut m’y rendre) (à Paris, Brady ou Panoramas), une lettre à transmettre, continuer et avancer, et ne pas oublier qu’il y a, aussi, les autres (ces soirs-ci, sur France Culture, les amis de Pierre Bourdieu donnent de lui l’image qui m’était apparue lorsque je l’ai -peu mais vraiment- connu, chaleureux et drôle, toujours en deçà de lui-même, comme s’il ne voulait voir la profondeur de son travail). Je pense à mes amis.
Belle échappée à nouveau mais la cheville ouvrière, cette fois, n’a pas voulu jouer son rôle, mais a donné prétexte à ces pensées rapides et nettes (entendu émission sur Bourdieu cet après-midi à France Inter, de 14h. à 15h., dans ma voiture à Boulogne-Billancourt, oui, encore : cet intellectuel nous manque).
Merci pour la portée, le ciel est la demeure de multiples symphonies (couleurs tendres).
un faux pas, mais ça s’arrangera… merci de ton passage