Un soir
Un soir j’ai voulu rester, passer la nuit ici. Je voulais voir ce qu’il se passe encore lorsqu’il ne se passe plus rien. Je voulais vivre ce moment privilégié, ici, à la recherche du dernier petit crépitement de néon, attentif au moindre mouvement de poussière. Je voulais que l’espace vide m’envahisse et m’effraie. Que soudain les fantômes des anciens salariés ouvrent les portes à grand coup de latte, envahissent l’espace sans retenue, comme une bande de fêtards ivres morts, qu’ils organisent des orgies dans les monte-charges, qu’un véritable désordre s’installe, qu’on bouscule les palettes, renverse les cartons, déchire les emballages. Je voyais un ancien chef d’atelier, une bouteille de champagne à chaque main, rond comme une queue de pelle, au sommet de la plus haute pile de carton, hurlant sa réussite, l’ascension de la plus vertigineuse palette.
Le type du gardiennage m’a vu assis sur le banc des vestiaires et m’a dit gentiment, « on va fermer Monsieur, excusez-moi, je dois nettoyer aussi ici ».
Adrien Villeneuve