Pendant le weekend

Vases communicants juillet 2011

C’est avec grand plaisir que nous autres, « pendant le week end », accueillons François Bon pour ces Vases Communicants de juillet 2011, tandis que celui-ci, sur tiers livre, acueille Piero Cohen-Hadria.

 

 

 

Stratégie pour simple renversement du monde

 

Nous avions eu pour tâche de doubler exactement le monde par sa représentation, image, récit, succession précise des déplacements, des événements.

Globalement, le monde se documentait de lui-même : longtemps que, pour le connaître, nous entrions plutôt dans les écrans que nous ne sortions dans la rue.

On était progressivement entré dans une autre phase.

Il ne s’agissait plus de documenter simplement les pics, les événements, les faits et lieux marquants. Le web doublait le monde, mais il restait le miroir du monde – une représentation. Une représentation de plus en plus fine et globale, mais néanmoins rien qu’une représentation, faite de textes, sons, images.

On pouvait régulièrement s’y tromper, se faire prendre à telle fiction, il n’en reste pas moins qu’en général on faisait la différence entre le monde dit réel, celui qu’on arpentait avec ses jambes, et le monde des visages, images et textes qu’on visitait par l’écran.

Était venue cette phase transitoire : des personnes quittaient le monde où on arpentait avec ses jambes, et vivaient désormais principalement dans le monde qu’on arpentait derrière l’écran. Cela n’empêchait pas leur vie habituelle, on mange un sandwich derrière l’ordinateur, on va dormir quelques heures, on sort respirer sur la terrasse ou le balcon, mais ceux-là vivaient véritablement dans le web, illustraient un monde que progressivement ils n’hésitaient pas à construire de leurs propres fables, avec les mêmes moyens qui servaient à documenter le réel.

Là avait commencé cette étrange période que longtemps on nommerait «  la grande transition ».

On connaissait quelques-uns de ceux qui y oeuvraient. On n’en sut jamais le nombre précis, ni l’identité référente.

Par recoupements, on avait pu – mais ensuite, mais trop tard – remonter certaines pistes : quelques-uns de ceux-là avaient effectivement trois, voire quatre noms sur Internet, autant de blogs personnels, et probablement encore bien plus de noms selon les sites et blogs où ils intervenaient. Opiniâtrement, obstinément.

On avait tenu à archiver notamment le site www.tierslivre.net, où une modeste rubrique associant une image à un cours billet d’humeur, avait servi de chantier à une des identités repérées de ceux de la « grande transition ». L’homme d’ailleurs ne signait plus ses commentaires (puisque longtemps il s’était agi de commentaires). Sous la rubrique initiale de ce site (imaginez que cela touchait symétriquement des milliers, des dizaines de milliers d’autres sites), s’affichaient des notes très précises sur la ville à toutes heures, ses marchés, ses lignes de métro. On reconnaissait les événements, les lieux, les visages.

 

On y trouvait la nuit et le jour, les étages et les souterrains, il s’y menait des discussions. Tout le monde avait l’air de trouver cela normal. Cette identité, repérée précisément dans ce site-là, on la retrouvait sous un autre nom dans un blog soi-disant plus personnel, et d’autres initiales dans d’autres sites. Qui aurait prétendu qu’il s’agissait d’une liste exhaustive ?

Et puis, un jour, tout avait basculé. Ce qu’on nomma ensuite « la sous-couche », l’épaisseur magistralement constituée de ce récit du monde, prolongé avec radicalité et exhaustivité dans tous les sites qui s’y étaient ouverts, avait simplement remplacé les sites initiaux.

C’est donc le monde anciennement dit réel qui désormais n’était plus qu’une vague représentation statique et limitée de l’autre.

On avait commencé à vivre, radicalement.

On disait cependant qu’il serait juste, désormais, d’établir une vraie liste de ces acteurs de la grande bascule. Et que les identifier permettrait peut-être aussi de s’aguerrir  : qui sait s’ils ne préparaient pas un nouveau renversement ?

Que ce soit pour nous ramener dans l’ancien monde, passe encore. Mais qui nous le garantissait ?

 

 

 

 

Les autres Vases (merci, Brigitte) :

Caroline Gérard http://cousumain.wordpress.com/ et Martine Rieffelhttp://lireaujardin.canalblog.com/

Ana NB http://sauvageana.blogspot.com/ et Christophe Grossi http://kwakizbak.over-blog.com/

Louise Imaginehttp://louiseimagine.me/#fd0/wordpress ethttp://christopherselac.livreaucentre.fr/

Isabelle Pariente-Butterlinhttp://www.auxbordsdesmondes.fr/ et G@rp http://lasuitesouspeu.net/

Camille Philibert-Rossignol http://camillephi.blogspot.com/ et Joachim Sénéhttp://www.joachimsene.fr/txt/

Pierre Ménard http://www.liminaire.fr/ et Samuel Dixneuf http://samdixneuf.wordpress.com/

Anna Vittet http://www.ecrivant.net/et Justine Neubach http://justineneubach.wordpress.com/

Christine Jeanney http://www.christinejeanney.fr/ et Cécile Portierhttp://petiteracine.net/wordpress/

Urbain trop urbain http://www.urbain-trop-urbain.fr/ et Sofiléo http://sofileo.wordpress.com/

Juliette Mezenchttp://www.motmaquis.net/ et Jacques Bon http://cafcom.free.fr/

Loran Barthttp://noteseparses.wordpress.com/ et Jérôme Wurtzhttp://aquelquepasdelusine.blogspot.com/

Jeanne http://babelibellus.free.fr/ et Olivier Lavoisy http://lavoisy.eu/

Christophe Sanchez http://www.fut-il.net/ et Xavier Fisselier http://xavierfisselier.wordpress.com/

Maryse Hachehttp://semenoir.typepad.fr/semenoir/ et Josée Marcotte http://marge-autofictive.blogspot.com/

Franck Queyraudhttp://flaneriequotidienne.wordpress.com/ et Nicolas Bleusherhttp://nicolasbleusher.wordpress.com/

Dominique Hasselmannhttp://dh68.wordpress.com/ et les heures de cotonhttp://lesheuresdecoton.canalblog.com/

Quentin http://valetudinaire.net/ et Brigitte Célérier http://brigetoun.blogspot.com/

Share

1 Comment

    La mince paroi – un écran de soi(e) ? – entre fiction et réalité était ainsi retournée comme un gant. Les doigts sur le clavier s’étaient munis d’une peau ne laissant pas de traces (l’ADN est revanchard).

    La séparation, au sens « in situ », n’avait plus lieu d’être puisque la vie se trouvait remplacée par l’autre vie (la religion en avait pris un coup avec sa promesse).

    Les photos mentales avaient succédé aux photos numériques : on se les échangeait même sans application.

    Steve Jobs avait quitté Apple : chacun était devenu son propre computer. Ici même, je ne n’avais pas besoin de mon Mac pour apercevoir l’auteur de ce « simple renversement du monde ».

    La transmission de pensée était enfin démocratisée : restait à gérer les flux qui s’emmêlaient parfois les pinceaux.