Pendant le weekend

Chasseur de têtes

Le premier vendredi du mois, certains blogueurs sont envahis d’une frénésie échangière : les uns écrivent chez les autres, tandis que ceux-ci écrivent chez les premiers : un grand bazar, un peu comme dans ces villes qui font rêver, l’Istanbul de mon amie, Samarcande ou les souks de Kairouan…

Aujourd’hui, PCH (qui remercie ici les colocs du blog, Hélène C. et Adrien V. pour le créneau)  a confié les clés de “Pendant le Week end” à Martine Sonnet, laquelle a confié à PCH celles de “L’employée aux écritures”. Bonne lecture…

 

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Longtemps j’ai cru dur comme fer au chasseur de têtes et l’ai attendu de pied ferme. Comme avant lui, dans mon enfance, l’homme des vœux Bartissol, le vagabond le marchand de bonheur ou le passage de celui qui vend du sable sur lequel on bâtit des rêves. Le chasseur de têtes viendrait un jour me caresser la tête dans le bons sens, du rêve à la réalité. Des talents inspouçonnés de tous (sauf de lui et moi) enfin débusqués et l’eureka du chasseur de tête s’arrêtant sur la mienne, faite et pleine juste comme il en cherchait une.

C’était simple, au début, de guetter le chasseur de têtes. Un seul numéro de téléphone et une seule boîte aux lettres. Vite vu : rien dans la boîte et pas de répondeur, donc tous les espoirs permis côté téléphone. Il rappellerait maintenant que j’étais remontée du courrier – parce qu’évidemment il appelait à chaque fois que je descendais voir si le facteur était passé, en prenant tout mon temps, pour bien lui laisser celui d’appeler. Et puis les années passent – je m’occupe en attendant –  et mon ubiquité progresse. Adresse personnelle avec annexes, plusieurs adresses professionnelles et les téléphones qui vont avec, et toutes les occasions saisies au vol d’exister dans un annuaire de spécialistes dans mon genre. Enfin, l’avènement des adresses électroniques, une, puis deux, puis trois, puis quatre, une kyrielle. Captive, pour finir, des filets de la téléphonie mobile. Sans plus aucun retranchement. Rien de plus facile alors que de me trouver, si le chasseur de têtes voulait bien s’en donner la peine. S’il n’avait pas la tête ailleurs. Désespérément.

Le XXe siècle tire à sa fin, meurt de sa belle mort, et j’y crois moins. Perds mes yeux de chats. Grisonne. Blanchis mais le cache. Ne cours plus pour attraper les bus. Commence à me demander, à supposer qu’il la trouve enfin, si le chasseur de tête gagnerait gros, vraiment, à une capture pareille, aussi tardive (comme on dit des grossesses). Sûrement pas de quoi décrocher une promotion. Qui sait même, si on ne lui reprocherait pas une faute professionnelle, erreur sur la personne. Sanction, dégradation, voire décapitation : c’est un milieu dur.

Rompue par l’évidence, j’admets qu’il est trop tard, qu’il ne passera plus et autant miser sur le retour du marchand de sable. La cinquantaine et insomniaque maintenant. Ce midi que je déjeune avec l’ami perdu 20 ans croisé dans la gare, à qui je raconte les années passées et pendant ce temps-là le fracassement contre le principe de réalité de mon fantasme du chasseur de tête, lui gentiment souriant m’achève  d’un « mais pour qu’un chasseur de tête te trouve, ma vieille, il faudrait que ta tête dépasse ». Et je me dis que si le chasseur de tête n’est jamais passé, c’est peut-être que bien avant lui, le réducteur de tête avait trouvé l’adresse et ne lui avait rien laissé.

Martine Sonnet – Texte inédit.

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Le tiers livre (François Bon) et Liminaire (Pierre Ménard) ; Futiles et graves (Anthony Poiraudeau) et A chat perché(Michel Brosseau) ; LKM – Tout est fiction (Leroy K. May) et Chroniques d’une avatar (Marie-Hélène Voyer) ;etc-iste (Thomas Vinau) et La Méduse et le RenardRobinson en ville et Le fourbi élastique (Danièle Momont) ; Petite Racine (Cécile Portier) et Scriptopolis (Jérôme Denis) L’Exil des Mots (Bertrand Redonnet) et Juliette MézencLignes de vie (Juliette Zara) et EnfantissagesHumeur noire (Lephauste) et Biffures chroniques(Anna de Sandre) ; Terres… (Daniel Bourrion) et Soubresauts (Olivier Guéry), Fenêtres open space (Anne Savelli) & Tentatives (Christine Jeanney)…

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