Ces dames
Le film date de 1945, il y a Maria Casarès qui s’y prénomme Hélène (le dialogue -singulier du générique- est de Jean Cocteau, la production de Raoul Ploquin), elle y joue le rôle de l’amante délaissée, qui se venge de celui qu’elle aime en lui faisant rencontrer une demi-mondaine (Agnès : Elina Labourdette) et sa mère (Lucienne Bogaert) : l’amant « floué » (Paul Bernard) ira jusqu’aux noces avec cette femme de mauvaise vie, bien qu’elle ait tenté de l’en empêcher (dans une sorte de secret illusoire, Agnès aime son nouvellement mari). Elle mourra d’un coeur trop faible…
Edifiant.
Cependant, il y a à partir de ce film chez ce cinéaste Robert Bresson quelque chose qui m’a inquiété (mais l’inquiétude est , un peu, dans ma nature), c’est sa prise de position contre les acteurs : dès après ce film, et pour les suivants (tous pratiquement), il n’emploiera plus de comédien-e-s professionnel-le-s mais des novices qu’il nommera « modèle ». Terme générique qui serait le pendant du cinématographe, cet art complet contrairement au cinéma (tout court) qui n’en serait qu’un succédané certainement pas artistique.
Hélène (Maria Casarès) et son chien (crédité au générique)
Les allusions aux moeurs dégradées et dégradantes d’Agnès sont infimes (on comprend, difficilement, qu’elle serait, grâce et par sa mère
Lucienne Bogaert dans le rôle de la mère d’Agnès (de dos, Maria Casarès)
tombée au rang de respectueuse) : certes elle danse; elle porte une jupe en voile noir qui laisse deviner ses jambes et ses cuisses, un justaucorps brillant et noir.
Agnès (Elina Labourdette) en imperméable (de dos, Paul – interprété par Paul Bernard- son futur mari)
Certes – je crains que ces allusions ne soient trop édulcorées (rien à voir avec les scènes de lit qu’on voit dans les années 70 et suivantes). Question de contexte, probablement (le film sort en France en septembre 45).
Lorsqu’après les noces l’amant se rend compte qu’il a été grugé par son ancienne maîtresse, il prend sa voiture pour s’enfuir (on ne sait de quoi – de cette mésalliance, sans doute) et percute légèrement la voiture d’Hélène qui, elle, arrive. Il recule, Hélène sort de sa voiture, lui avance et elle lui parle, il recule à nouveau (des manoeuvres encore), il avance, recule avance… Quelque chose d’incompréhensible… mais qu’importe : le couple mère -fille fonctionne magiquement, celui des deux maîtresses aussi. La jeune fille, danseuse puis qui trouvant un travail (probablement quelque chose comme mannequin ou vendeuse dans une maison de couture) (quelque chose de spécifiquement féminin) (tout comme le plus vieux métier du monde) (comme si soldat ne l’était pas), la jeune fille toute de blanc vêtue, l’alliance au doigt, tombe sur le sol, son vêtement fait comme un lac, blanc, elle perd pied et esprit, il la porte sur le lit (certainement nuptial)
Etendue sur le lit, Agnès meurt, Paul lui tient le poignet
et c’est ainsi qu’elle s’éteindra. C’est ainsi que les acteurs et les actrices, chez Bresson, mourront.
Bien sûr, dans un imaginaire contemporain (d’ailleurs passé de mode il me semble) fin de siècle probablement, le bois de Boulogne avait quelque chose à voir avec une sexualité de genre assez indéterminé (il me semble me souvenir que « La Curée » d’Emile Zola commence au bois de Boulogne : scène de moeurs aussi, où les rôles sont toujours ainsi distribués). Mais dans ce film, il y a en train de se consommer cette rupture du cinématographiste avec l’un des caractères les plus avérés du genre, les comédiennes et les comédiens y jouent des rôles et lui, Robert Bresson, le (leur) refusera. Analogie, métaphore de ce que devient pour le cinématographiste le rôle, le personnage, mais surtout (pour moi) la véritable grâce du cinéma, je comprends, en voyant ce film et en rapprochant ces deux faits (historiques) pourquoi je n’aime pas son cinéma.
« Pickpocket », « Au hasard Balthazar », « Mouchette »… je ne ferai pas la liste des films de Bresson que j’aime, avec sa rigueur dans les cadrages et le ton (ou le son) épuré des comédiens (l’amateurisme peut atteindre parfois au sublime).
Mais tous les goûts sont à l’écran…
Merci du commentaires Dominique (toutes les cultures sont dans les écrans comme les goûts) mais cependant, ce cinématrographiste-là n’avait pas (il me semble) l’ambition de l’amateurisme : sublime, peut-être, élitiste, sans aucun doute…