Le doigt et la lune : Alien
En regardant quelques extraits de ce film de Ridley Scott, « Alien, le huitième passager » (1978) proposés par A. Gunthert
lors de la séance de jeudi dernier (Mythes, Images, Monstres), j’ai pensé assez vite à Aldo Moro (secrétaire général du parti communiste italien, auteur du « compromis historique », à ses 55 derniers jours, en avril, mai 1978, -durant lesquels Ridley Scott devait être en montage, je suppose-, qu’il vécut capturé, puis on le tua, lâché qu’il fut par tous ses « amis » politiques » – je lis le livre) et j’ai pensé aussi à ce film de Tod Browning, « Freaks » (1932), dont j’ai rédigé le découpage plan à plan voilà plus de trente ans, pour « l’Avant-Scène cinéma » de Claude Beylie. C’est que les acteurs sont des monstres, probablement sacrés, mais monstres quand même.
L’intérieur du vaisseau échoué
Ici, on a affaire à Sigouney Weaver, magnifique. Elle interprète Ripley
Les auditeurs du séminaire, leurs écrans, qui regardent sur le grand ceux qui regardent ceux qui regardent
(j’ai pensé à Alain Delon, imitant la signature de Maurice Ronet, au filin qui se prend dans l’hélice du voilier, enfin tout ça), le « monstre » quant à lui reste à peine visible. (j’ai beaucoup aimé aussi « Les Duellistes » (1977) Harvey Keittel et Keith Carradine, du film précédent de Scott, tout comme j’ai adoré Geena Davis et Susan Sarandon, les Thelma et Louise (1991) du même Scott, sans parler du suivant, « Blade Runner » (Harrison Ford, oui, bon : bof sans doute à cause des « aventuriers de l’arche perdue » -S.Spielberg, 1981), cette adaptation des « Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? » de Philip K. Dick.
que la bête meure
J’aime à me souvenir aussi que cet industriel de la cacahuète était aux commandes de la « première démocratie du monde » (ce monde, au loin, vers lequel le Nostromo se dirigeait avant que…), qu’il imposa une paix séparée aux Egyptiens représentés par Anouar el Sadate (qui mourra en 1981, assassiné comme Aldo Moro) et aux Israéliens, représentés par Itzak Rabin,(lui aussi, assassiné en 1995) lors des accords dits de Camp David, je me souviens de cette année-là, mais je sais que je ne suis pas allé voir ce film : l’horreur, quelle horreur…!
L’humeur dévastatrice du monstre détruit tout sur son passage
C’est que j’avais peur, j’avais été échaudé par un autre, qui n’a rien à voir, « L’Exorciste » (sortie ne 1973 pourtant, cinq ans auparavant, William Friedkin), film d’épouvante pour lesquels, des années plus tard, moi et mon ami Farroux nous irions nous précipitant pour en rire… En tout cas, d’Alien, je n’ai pas de souvenirs spéciaux : lors de ces quelques séquences montrées ici, ce sont surtout les réactions, ou la réception de ceux qui voient (et que nous voyons voir) le monstre qui nous sont données. C’est ainsi que la peur nous étreint.
L’horreur de Lambert (Veronica Cartwright) éclaboussée par le sang de son collègue
L’un des auditeurs rapporta que le thème du film avait été décrypté par certains (était-ce des femmes ?) comme une manière d’allégorie de la jouissance féminine (les particularités genrées, comme nous disons à présent, me semblent très souvent obscènes – hors de la scène – lorsqu’elle sont proférées par une personne qui n’est pas du genre… mais c’est un avatar de ce déterminisme dont on aime à parer la profession des sociologues, alors…).
Moi, ce que j’aime au cinéma, ce sont actrices et acteurs, réalisatrices et réalisateurs, techniciennes et techniciens, scénaristes, toute cette machinerie qui finit par aboutir à quelque chose qu’on projette sur un écran et de laquelle, lorsque la lumière se refait dans la salle, il ne nous restera plus rien, sinon des souvenirs. Ce n’est rien. Nous irons la revoir, sur la moviola, dans les sous-sols de l’institut d’arts et archéologie de la rue Michelet (y est-elle toujours ?), certains s’échineront à chronométrer, à se demander la mesure de ce plan (américain ou rapproché ?) tandis que les producteurs mettront en chantier ce plan de tournage, ce scénario, passé dans les mains de ces agents, de ces acteurs, cette histoire-là, pas une autre. Alors, oui, probablement devons-nous regarder le doigt qui nous montre la lune, car ce qu’il représente, c’est certainement ce dispositif qui nous reste inconscient, car transparent et invisible. Probablement, oui, le doigt. Mais aussi la lune, les monstres dont elle est la scène, et ces gens-là, avec leurs lunettes noires, ou leurs robes sur les marches de Cannes, leurs smoking et leurs nœuds papillon…
Ripley (Sigourney…), un peu déjantée, qui s’est débarrassée du monstre… (clap de fin)
Sur un écran noir, oui, le voilier de Plein Soleil (encore René Clément…), un navire également spatial au sens de cabine fermée, endroit clos, et l’univers tout autour, qu’il soit céleste ou maritime.
Sigourney, la femme US en combinaison (mais pas du soir), l’émancipée qui enfantera dans la douleur… L’Exorciste ? Il fout les jetons quand on a pas vraiment l’âge de raison, il nous met la tête à l’envers, et ça c’est le cinéma, pas la gaudriole à la De Funès.