Le Président
C’est dans le séminaire animé par Sylvain Bourmeau et Cyrill Lemieux, à l’Ecole des hautes études en sciences sociales
(154 boulevard Raspail , entrée libre) qu’a été projeté le film « Le Président », documentaire réalisé par Yves Jeuland (sorti le 15 décembre 2010, actuellement toujours en salle, je crois; la sortie du Dvd du film avec de nombreux bonus, le 4 mai 2011).
Il s’est agi pour le réalisateur, qui filme seul (formidable), de suivre la campagne pour les élections régionales (tournage : du 15 octobre 2009 à fin mars 2010) menée par Georges Frêche (président sortant, maire de Montpellier durant plus de vingt ans, une figure de la politique du Languedoc Roussillon, bien connu pour ses multiples dérapages verbaux mais, Dieu ait son âme, décédé en fin d’année dernière, avant la sortie de ce film).
Ayant pris langue avec le directeur de cabinet, ainsi qu’avec le directeur de la communication du candidat,
à gauche, le directeur de cabinet, Laurent Blondiau, à droite, le directeur de la communication, Frédéric Bort
la rencontre avec monsieur Frêche s’organisera, et deux semaines plus tard, Yves Jeuland est à pied d’oeuvre. Toute liberté lui sera laissée : il s’engage à ne pas voler de photo, pas de caméra cachée. Sa règle pour ce film : pas de commentaire, pas d’archive, pas d’entretien avec le futur président.
Frêche sera réélu, malgré son éviction du Parti Socialiste pour un énième dérapage verbal (bien q u’il s’en défende avec toute la mauvaise foi dont il est capable).
On découvre en réalité ce qu’on a coutume d’appeler une bête de scène (on dit cela de Johnny Hallyday ou de Charles Aznavour) : il se joue des journalistes, parle plus fort qu’eux, ne répond pas ou peu ou à côté; il se joue de ses adversaires, qui n’existent pas selon lui. Roublard, silencieux, âgé et battant cependant, menteur et blagueur, loyal à lui-même mais se laissant emporter par un tempérament certainement invasif, envahissant, lui faisant perdre mesure et intelligence, une sorte d’acteur méridional qui se trouverait entre Raimu et Orson Welles dans « La Soif du Mal », un comédien qui connaît son rôle sur le bout des doigts et l’interprète avec une rouerie professionnelle… J’ai pensé au Jules Berry du « Crime de Monsieur Lange ».
On voit cet homme, assez seul signer des montagnes de documents dans des parapheurs. On le voit vanter les dix statues qu’il a pour ambition d’ériger dans « sa » ville (de Mao Zédong à Ghandi…) qui sont commee des fétiches de sa jeunesse perdue.
On le voit haranguer la foule (le monde se presse à ses meetings), jouer la comédie
et rire et pleurer…
Une leçon de comédie, en réalité presque une farce, la vérité de la solitude du pouvoir. Il compulse entre les deux tours les résultats obtenus, seul en djellabah,dans sa cuisine. Mais le monde est un drame, il le sait, ne s’embarrasse pas de ceux qu’il combat et qu’il a vaincu.
Il appelle sa femme qu’on ne verra qu’une fois.
Il voit venir à lui des gens qui l’aiment, l’embrassent et veulent ne serait-ce que le toucher. Une manière d’autocrate. Un culte de la personnalité poussé extrêmement loin : Georges Frêche, c’est la province contre Paris, le peuple contre les nantis, c’est la réalité du terrain contre les ambitions des « souliers vernis du sixième arrondissement ». Il joue cette carte, comme à son bureau il fait des patiences, et il remporte la partie.
Usé cependant, fatigué et sans doute malade, il s’éteindra en signant ses documents, un dimanche soir, probablement seul, dans son bureau qui domine la ville. L’histoire édifiante d’un édile qui connaît tous les rouages de la politique régionale, qui se trouve en état d’addiction vis à vis du pouvoir, et qui, jusqu’à la mort, exercera seul la fonction qu’il s’est donnée parce qu’il ne voulait ou ne pouvait la partager. Quelque chose de tragique.
Un film magnifique, réalisé et monté par Yves Jeuland, qu’on recommande. Du vrai cinéma documentaire.
de g. à d.Cyrill Lemieux (maître de conférences EHESS), Rémi Lefebvre (politiologue),
Sylvain Bourmeau (journaliste),
Yves Jeuland (réalisateur), Jean-Louis Briquet (polititologue)
Sûrement intéressant sur le plan formel (comment filmer cette « bête de scène »), mais, sincèrement, j’ai peu envie de revoir ce matamore sur grand écran, et déjà suffisamment supporté à la télé dans ses multiples interventions plus ou moins ignobles.
[…] (tandis que son affidé, son acolyte, son binôme enfin son sous-fifre, il lui échoit le PM (1) ici qui porte des chemises rouges). C’est que le réalisateur m’en était connu depuis un moment : Yves Jeuland, pour avoir réalisé un film sur (qu’il repose en paix) Georges Frèche, intitulé « le président ». […]