atelier hiver 20-21 6/6bis
add.du lundi 25 janvier – Je pose ici une deuxième tentative de l’exercice six, qui fait suite au travail entrepris cet été pour Norma. Gros plan peut-être.
lecture 6
La contre plongée est légère, le pull col camionneur dans les gris apparaît à peine, la chemise grise elle aussi de chez Kenzo (ou d’ailleurs) (Raoul achetait ses chemises chez Sulka,
tu vois ça et tu te dis que le monde est décidément assez restreint, petit, recroquevillé – ce monde-là, celui du luxe des années cinquante), il faut bien que les chemises soient réalisées par quelqu’un (il y avait – il y a toujours – au coin de la place et de la rue, le faiseur chez qui on les commande par douzaines l’ex-maire de Saint-Mandé, un de ceux qu’on appelait godillots, avait cette habitude du sur mesure – je crois bien que c’était pendant les soldes, début janvier, trois douzaines pour l’année, envoyez-moi la facture) (le vendeur de cravates de la rue de Rome) (à Gênes) (les plus belles du monde – comme on dit) et puis la barbe de deux jours, le manque des cheveux (la plongée le cache) la proéminence du nez les lunettes qui reflètent la lumière émise par l’écran, et la brioche (hors champ, merde) qui continue de se former en restant assis toute la journée, (non on se lève, on gymnaste un peu on va marcher on revient on réécrit on reprend on corrige) (ce que je vais faire, ce sera poser entre les textes en parenthèses des morceaux choisis probablement de « à la rouge ») (non, finalement, non) c’est à ce propos qu’on divague – étrange cette façon d’ouvrir la bouche du côté droite cadre légèrement de biais, on ne se voit jamais parler (le petit bout de gaffeur blanc collé sur le bord droit de l’objectif de la caméra le bord du pare-soleil, là « tu le regardes c’est quand même pas compliqué » et plus loin, lors de la vingt-septième prise « et tu apprends ce putain de texte » : partout il y a aussi des salauds – il faut apprendre et les professeurs-hommes (plus que les femmes, ça ne fait pas de doute ?) font souvent preuve d’une espèce d’autorité et tout à coup fondent dans une colère noire – on bat en retraite, on se tait, on ferme les épaules) mais pas là, en vrai – non, là, c’est pour se souvenir, il y a l’oreille en presque premier plan le milieu du cadre peut-être – et on dit on dit on dit – le couloir où sont posées les boites des instruments fait souvenir de celui du petit studio de la place du Tertre c’était une sale époque, vouloir la refaire pourquoi ? en mots, en oraison (un jour, un ami m’a dit {« ce soir, je vous porterai dans mes prières (vous vous en fichez, moi pas) »} le cheveu sera court, coupé par mon amie, on dira on dira – deux minutes vingt six plus tard, on regardera l’objectif en souriant, mais ce n’est pas lui qu’on verra, mais l’écran ce genre d’outil intelligent dont l’objectif se retourne d’un doigt d’un geste un nino – adieu donc
6 deuxième (Norma)
On pourrait tourner autour de sa tête, il est là, assis un fauteuil à bascule, un rocking-chair en osier sans doute, sur sa véranda, ses habits beiges ou grèges c’est comme on aime, et il dort du sommeil du juste – aussi bien ce pourrait être la nuit – quoi qu’il en soit, il dort assis – on aimerait que ses rêves fussent glacials horribles funestes et qu’ils provoquent un réveil sué de rides approfondies et de douleurs lombaires, osseuses, chevilles enflées et organes tordus, que ces choses lui arrivent pour qu’enfin il sache ce que c’est que la douleur, (il le sait, il l’adore) celle du corps plus que de l’esprit, celle de l’âme (qu’est-ce que c’est encore que ces simagrées?), qu’il se retrouve écartelé enchaîné battu démembré suant le sang mais non, il dort comme un bébé, la bouche ouverte sur des gencives sans dents peut-être, le poil ras et gris, il dort et rêve tranquille, le bleu de ses yeux cachés par des paupières chiffonnées, vieillies, plissées, ridées, doucement il respire, c’est à peine si les ailes de son nez bougent, la peau distendue, la nuque est posée sur un petit cousin asservi au fauteuil, il semble confortablement installé, le fauteuil ne se balance pas, à ses pieds des espèces de chaussure ressemblant à des babouches, dans la nuit dans le sombre, la couleur en est indéfinissable, un pyjama couvre des jambes frêles vieilles usées le type est vieux, il n’y a rien à dire, le laisser terminer sa nuit et sa vie au calme, pourquoi le lui refuser ? Il dort et quoi qu’il ait bien pu faire au long de sa vie aussi maudite soit-elle, quelle importance de la lui ôter, car elle est maudite – les cauchemars sont pour les autres, ici le temps est calme, la pluie tombera tout à l’heure comme toutes les nuits, et lui dort calme doux respire à peine un souffle, rien fonctions en pause, la peau des oreilles agrandies – quelques rides sous le menton qu’il a flétri, menton sec et droit, poils presque drus, sa bouche n’est qu’un trait qui se courbe vers le bas elle se rouvre il aspire inspire respire elle se referme en trait, non il dort même si ses yeux bougent un peu sous les paupières, il dort sans rêves – il n’y a pas de danse macabre dans ses souvenirs, rien n’est impressionné, il dort et c’est l’oubli qui le porte, il n’est plus question d’yeux, de dents en or, de cheveux rasés et de corps entassés, perdues les hypothèses sur les jumeaux, sur les races, sur l’humanité toute entière (c’est un programme pour l’humanité, rien de moins), terminés les fantasmes et les fumées, les odeurs parties enfuies dissoutes, on les a oubliées dans le fond de l’armoire, un peu de poussière, la véranda qui donne sur l’herbe bientôt mouillée, sans image sans son, sans voisinage il dort, une peau sur des os, des humeurs, un exemplaire de l’humanité un métabolisme et si on y croit quelque chose qui deviendra par la métempsychose autre chose, il est quatre heures, est-ce le tropique du Capricorne qui passe dans un ciel de milliards d’étoiles, cette lumière loin de tout, non mais dis-moi quelle heure est-il ?
petit codicille :
pour le six deuxième (et non bis) on a décidé d’aller voir un peu de quoi il retourne : l’image d’entrée de texte est la plage de Bertogia, non loin de laquelle vivait le type dont il est question – en travers c’est vrai, parfois comme ici il y fait gris; parfois c’est plutôt l’été – un 7 février, ce devait être le matin, il y a de ça bientôt quarante deux ans, c’était un mercredi et c’était l’été, le type s’est assis sur un rocher, a parlé de choses et d’autres avec un ami à lui, puis s’est dirigé vers l’eau, seul. Quelques moment plus tard, la fille de l’ami dira « l’oncle Pedro est mort » – voilà. L’auteur du livre qui retrace sa fuite a cette phrase :
L’oncle Pedro est mort dans l’immensité de l’océan, au soleil du Brésil, furtivement, sans avoir affronté la justice des hommes ni ses victimes, pour ses crimes innommables.
Une/La fiction qui s’est établie, doucement, j’avais à l’idée (comme souvent ces mêmes idées qui s’évadent durant la veille, et puis dormir, et puis elles s’éloignent) mais elle revint un de ces derniers jours : les choses font leur chemin – aujourd’hui, lundi, près d’une semaine plus tard – on avance un peu. On avance.
œuvre 6bis
beaucoup de photographies se sont échappées ces derniers temps – dire combien : impossible, et les chiffres ou les nombres sont comme les mots, des traîtres à la vérité – des clichés peut-être personnels ou de la voiture du robot ce truc qui passe dans les rues – il y en avait une où on me voyait majeur de la main droite levée – ou encore majeur levé de ma main droite – afin de donner un avis sur le passage de cette chose pourtant fort utile – les images jouissent d’un droit de copie ou elles sont à tout le monde ? une autre au Paris-Rome où deux types sont attablés, sur la terrasse ils parlent de cinéma – sur la table il était rare que ce soit autre chose que deux ou trois cafés il y a du soleil il fait beau – tous ces moments-là sont perdus, ils ne m’existent plus – un peu comme la plupart des arabes le café, comme un peu partout au Moyen-Orient, qui s’assoient parlent et boivent du café à l’ombre – si on interdit les cafés après quatre heures de l’après-midi ici ce n’est pas pour préserver les systèmes nerveux des clients ou la quiétude de leurs nuits, ce n’est pas par ce qu’on nomme de nos jours de cette façon de parler écœurante oiseuse poisseuse « principe de précaution » non – on est en plein dedans avec nos masques, nos gels, nos distances socialement constituées (aujourd’hui on nous dit de ne plus parler dans le métro, dans les transports en heures de pointe mais on les produit, ces heures, on les imposent et on nous en rend responsables, responsables des égarements de ces technocrates idiots (lapalissade) arrogants tellement imbus d’eux-mêmes et leurs indicateurs chiffrés – de toute la planète, ces images, sauf évidemment où la voiture ne va pas (en Afrique, chez les arabes aussi bien, en Chine parce que tu comprends bien) (une d’un paysage de Sibérie sera posée) (c’est déjà fait, cette nuit – dans l’avant-réveil, juste avant, les quelques secondes qui de la veille séparent le sommeil, une bombe avait dû exploser creusant un trou conséquent au troisième étage de la quatrième travée, là où se trouvent les cinémas, et ça brûlait tout ce que ça savait – en tout cas des images de gens dont les visages ne nous apparaîtront pas (de la même manière les plaques des autos) (et donc il y a équivalence : un visage est un numéro, à n’en pas douter) (une identification – dans l’oreille des chats domestiques on trouvera des chiffres tatoués; la puce dissimulées dans le plastique jaune des oreilles des vaches ; et tant d’autres passages à l’acte – numéroter ; classer ; penser) (une image de nuit de Sibérie aussi) (ce dimanche) des milliards d’individus, à des moments perdus, puis à d’autres – voilà plus de dix ans que le manège a lieu : on dispose de représentations de bâtiments détruits et disparus, de ceux qui les remplacent, c’est un peu comme les images des autres, dans les magazines, sur les tables des salles d’attente des cabinets de consultations ou de coiffure – avec des gens qu’on reconnaît, qu’on connaît, qu’on voit et qu’on revoit – on ne les connaît que de les avoir déjà vus d’ailleurs – de les avoir vus au cinéma, pas dl2v – il y avait Louis de Funès du côté du Mont-Dore, Saint-Nectaire, Murol, sur les alpages (sont-ce des alpages dans ce massif qu’on dit central?) où on conduisait mon frère qui faisait le troisième assistant stagiaire mais n’avait pas le permis – il y avait Michèle Morgan sur le port de Saint-Raphaël ou de Cavalaire, je ne sais plus deux ans plus tôt même fonction sans doute – ce genre de personnages, Dario Moreno ou Claude Gensac – des images de ces gens-là aussi bien, d’autres encore gardées d’ici ou de là – qui constituent une espèce de viatique, une façon de se souvenir – mais l’entièreté de l’album se consulte sans autre forme de procès (accent grave) seulement où la voiture peut passer, ou un type en vélo, en monocycle à pied (j’aime aller à Venise, ou à Famagouste, à Smyrne) (elles sont là, elles attendent qu’on vienne les trouver) j’ai vu qu’on en fait recensement aussi, deux personnes un break, des chambres – c’est une belle vie que celle des forains – les gens du voyage disent les assis, ils leur ménagent des « aires » afin de les parquer là, entre la station d’épuration et la décharge publique – c’est sans doute cette arrogance-là qui est mise en question, cette arrogance de Cléopâtre et de son Hercule (des heures entières au sous-sol de l’institut, les notes, les temps, les tailles les dialogues les mouvements les coupes les raccords) – mais l’œuvre est, se trouve et gît dans le recueil des images du monde (dans sa chambre quinze – elle avait eu aussi la trente-cinq – ma tante lisait le figaro qu’on lui apportait tous les jours et cet autre journal torchon dans les noirs sur les altesses qu’elle allait chercher au kiosque du boulevard – elle passait par la boulangerie (elle disait « chez Saffray ») elle s’offrait un macaron à la vanille – elle a toujours marché d’un bon pas sauf après son kidnapping et ses chutes à répétition – deux ans, elle passa le siècle de vie puis s’en alla par la Salpêtrière – elle était là, ses jolis cheveux blancs grisés sur les draps jaunes, dans l’ombre, recroquevillée yeux fermés, petite maigre et froide sa main, c’était en juillet comment veux-tu qu’ensuite – les images sont à moi comme dans la chanson, « tes paupières closes sont à moi sont à moi »
communcodicille
plutôt quelque chose avec la photographie et l’œuvre de la voiture robot – quelque chose de différent d’avec Norma, de différent d’avec le parc comme l’année dernière, il se peut que je m’éparpille, il se peut que la saison ne soit pas non plus à la fiction, non plus qu’à la promenade – un peu à peine – ces moments d’attente, de prison presque, de réclusion (je pensais à ce livre « Le Christ s’est arrêté à Eboli », (le roman de Carlo Levi) (il était dans l’entrée de la maison brûlée, l’une des bibliothèques que j’avais construites sur mesure) cette façon de rester reclus et Gian Maria Volontè (le film de Francesco Rosi) dans ce village, la plante du pied de la botte – affronter – tenir
vue dela sortie d’Aliano (Basilicate) où était enfermé Carlo Levi de 1935 à 1937
lu, aimé ce portrait en gros plan, sociologiquement éloquent… mais pas le 6b : pas encore renoncé !
ayant envoyé mon 6b (que la honte que j’en avais rend misérable mais tant pis c’est fait) suis revenue lire le votre et la littérature sans texte que sont les vies (sont pas si loin finalement nos textes)