Atelier d’été 18.28
consigne 28 :
se déplacer : métro, bus, voiture, moto ou à pied : chaque mode de transport est aussi un dispositif de perception optique — alors non pas aller d’un point à un autre, mais se concentrer seulement sur un fragment de cette perception en mouvement
aller et venir, tous les jours, une semaine sur deux, tous les jours, tous les jours, et les gens qui dorment
qui sont-ils
qui dort dans le métro, dans l’autobus N12 à quatre du matin, pour aller chercher un autre autobus – Châtelet, qui emportera à Denfert pour en prendre un troisième et rejoindre un avion qui emportera vers ailleurs, qui dort là, banquette dans les oranges les noirs se saluent entre eux, des femmes aussi, qui passe là, par là, pour aller faire quoi,
où ailleurs, vers dix heures, elles dorment encore, elle noires arabes ou chinoises Belleville c’est Belleville, et plus ça ira et plus il y aura d’étrangers sur Terre, et elles dorment, s’éveillent regardent se rendorment, il y a eu un moment la tentation de les faire revivre en images fixes elles et eux, autant tout autant, fatigués éreintés maigres ou gros, chapeaux casquettes sur le haut du crâne ou bouchant les yeux, des gens comme moi, ou vous, des gens que n’ont pas arrêtés les grillages ou les chiens ou les armes, des gens qui voulaient vivre, dans un pays développé – mais quel développement, celui de la générosité ? celui de l’entr’aide ou de l’hospitalité ? écouter les discours loin des micros de ceux qui nous gouvernent, entendre les « putain de pognon » ou les « ceux qui ne sont rien » – il fait doux sur la ville, Moondog au coin de la sixième avenue, il fait beau sur la campagne, au loin, loin des yeux loin, le tube fonce dans ses tunnels, allumées les lumières et fripés les corps et les peaux, cinq heures et demie du matin, des hommes beaucoup, noirs aussi, beaucoup, Paris capitale des lumières, foncer le train s’en ira s’en va vingt deux minutes après six, changer à Nation et croiser Reuilly-Diderot, la caserne, l’hôpital les officines des pompes funèbres, la poste de la rue de Crozatier, douze courir, vers Dijon je crois bien, cours petit enquêteur, cours, vite couloir escaliers roulants cours, vite attrape le très grande vitesse avant qu’il ne s’en aille fermant ses portes à coup d’hydraulique pression, cours avant que ne se lève le jour, vite cours, il n’y a pas de temps à perdre, on court, on s’est rasé, réunion, dégager les lignes de force de la communication, la culture en Côte d’Or – je me souviens, « il y a plus de notes de bas de pages que de textes » disait l’ami avec lequel je travaillais – je lisais Maurice Halbwachs parce que, dans un autre compartiment se jouait aussi un autre diplôme, une autre façon d’être au monde, et de vivre et filait le monde aux fenêtres à trois cents à l’heure derrière les vitres des compartiments pressurisés, on quittait ici pour se rendre là, une ville pour une autre, une capitale pour un chef-lieu de région, une préfecture quelque chose du département, quelque chose de la République, le travail, toujours, le travail, le train, la marche à pieds toujours, la marche à pieds pour se rendre à l’abbaye, je me souviens
de ce jour aussi bien, sept ou huit kilomètres à pied, ça use – entretien avec le directeur – ça use, la campagne
la ville le retour par le même moyen parce que tu ne crois pas qu’on va te raccompagner quand même – sept ou huit kilomètres à pied, ça use les souliers – j’ai adoré marcher, j’ai aimé avancer sur le chemin de cette vie-là, il y avait des gens et des rires, il y avait des imbéciles prêts à toutpour se faire valoir, il y avait des gens et des pleurs aussi, des gens, des êtres et des personnes,ça tourne ça roule çs avance, on attribue ceci ou cela à celle-ci ou celui-là, on avance vers quatre heures les jambes deviennent en acier, inflexibles et lourdes, reprendre le même dans le sens contraire, s’abîmer un peu dans le trajet de retour, une gare ici, une autre là, Lyon, les sous-sols les passages les tunnels les ponts et les chaussées, les arbres et les usines (les usines, en ville : il y avait celle de Javel, on y a mis à la place un parc, comme aux abattoirs aux chevaux on a dédié l’espace vert au vieux Georges
on y vend des vieux livres, juste à côté – pas très loin on trouvera les objets rangés suivant les provenances des lieux où ils ont été trouvés, ramassés, portés – on pose ces objets-là parfois dans les boîtes aux lettres – une fontaine, oui, les fontaines on les avait oubliées celles-là, dans la ville, boire et se désaltérer puis se soulager vespasien quand tu nous tiens, les trottoirs comme les chaussées, les coins de rues, les croisements, les feux tricolores, à la nuit les lampadaires, l’allumeur de réverbères, il y avait Raymond Bussières
qui chantait là, je ne sais plus si c’était Casque d’Or, il y a les marcheurs, il y a les autos les bus les métros, je ne sais plus, à la nuit revenir il est huit heures du soir, ouvrir les yeux sur la montée des marches du métro, avancer encore, sac à l’épaule (avec une bêche à l’épaule/avec à la lèvre un doux chant) rentrer chez soi, travail fini, regarder la rue, les pavés, les trottoirs, avancer sur le faubourg, les boutiques des parrains, les tabacs boucheries boulangeries, la ville le monde qui bouge tourne et ne change pas, il fait doux, c’est le soir, il fait bon c’est l’été, on sifflote quelque chose, des filles passent, des tatoués des encasquettés, ils avancent et montent, bière en main, doux la ville, beau le ciel, attends un peu avant de dormir… et rêve
et il y a un texte qui charrie tant et tant