Pendant le weekend

Journal des frontières #12

Ce matin-là, je m’en fus voir ce qui se trame à la gare de Lyon, ce jour-là, en provenance des terres de résidence (ces terres-là abritent probablement l’héroïne du récit que je tente de traduire en mots pour ces travaux que nous sommes quatre à mener), sortie et croisement

croisement de néons

on pourrait intituler ce type de travail « crossroads » en emprunt à Anne Savelli mais ce n’est pas exactement ce dont il est question ici, ce jour-là -samedi 30 janvier seize donc – non, il s’agit plus de tenter de vérifier quelque chose comme une intuition et sortant, voilà qui je croise

deux dans la rue GdL1

ce couple de femmes d’un certain âge (ça ne se voit pas de dos mais on apporte toujours quelque chose avec soi quand on croise quelqu’un serait-ce quelqu’une) qui me guident vers ce souvenir que je n’ai pas, mais qui reste à traîner derrière lui comme le nuage qui suit une comète, l’avenue de France, les années quarante, les deux soeurs (en vrai elles étaient trois)

3 dans la rue GdL2

elles en croisent un troisième (ou peut-être est-ce une femme, je ne sais, je prends le métro, je vais à la gare) je prends le métro changements ici ou là, continuer avancer ne pas tenir compte du bruit, laisser aller les idées et les mots, les images

Génies bastille GdL3

« passage obligé » vers Bastille et son génie, le gris du ciel qui m’accompagnera tout au long de ce périple -sous-terrain pourtant- avancer et croire en ce qu’on est en train de tenter, continuer à comprendre un peu plus que ce travail (ce travail) nécessite (1) optimisme, (2) ténacité, (3) sincérité même si les rouages grincent… Aujourd’hui, ce seront les travaux sur la ligne, très bien aller vers la voie K ou alors L mais non, rien, il est onze heures une, le train arrivera dans les minutes qui suivent, j’ai vérifié avant tout la charge de l’appareil, j’ai regardé ensuite les heures dites sur le petit horaire

gare de lyon 2 09 01 16

non, là, il s’agit d’un homme dans le hall du rez-de- chaussée, aller voir, chercher, demander : les arrivées des trains (et donc les départs) s’effectuent en week-end sur les voies du RER, un étage (???) en dessous, « prenez l’escalier en sortant« , ah me dis-je, puis me ravisant : « Vous auriez les horaires des trains ?  » l’une des questions les plus ineptes qu’on puisse trouver dans le répertoire, et la réponse « ah non, depuis la COP 21 nous n’en avons plus nous n’en donnons plus non, des fiches horaires… » (je me demande illico ce qu’ils font de leurs stocks, je me dis que voilà bien une COP qui a bon dos, mais je passe) je m’en vais de ce rez-de-chaussée, je descends un étage (wtf ???) me retrouve sur les voies du RER D (comme dingo, douglas donald ou dugenou) qui est le même que le « R » en week-end (non, je n’ai pas compris, non) et là, j’attends, je regarde le quai fatalement, il n’y a pas de train (même s’il s’intitule DYMU)

ReR TRain sans vopyageurs GdL9

j’attends quand même (tu sais quoi, moi pour me faire changer d’idée, c’est quelque chose), je regarde ce qui se passe et je tombe sur ce monument funéraire en souvenir de l’accident qui eut lieu ici-même, le 24 juin 1988 (cinquante six morts)

monument funéraire GdL4

(si quelqu’un y voit quelque chose de la réminiscence de ces victimes, qu’il me joigne) sur le côté droit duquel figurent les noms des personnes mortes là, écrits en blanc sur fond transparent (oublie, s’il te plaît) accident de parcours mais d’explication de la chose, rien, permettre de comprendre (ça sert à quoi ?) ce que ça représente, nenni, la société (qu’elle soit nationale et des chemins de fer ne change rien à l’affaire) n’explique pas, on se recueille, d’accord, à la limite, j’ai posé la question à ces deux jeunes gens

ReR 7h20.1GdL7

en rouge, bord cadre en bas « vous savez, nous on fait tellement de quais, non on ne sait pas non »  même pas envie d’en rire

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même en forçant le trait, peu importe ? Pas vraiment, mais j’ai demandé à d’autres personnes présentes, personne pour comprendre, sommes-nous bêtes, quels souvenirs ? quelle mémoire ? de quoi ? d’une date, voilà tout, et d’un bilan (j’ai pensé immédiatement, évidemment, aux bilans assénés par radios/journaux/télés/autres lors des tueries du treize novembre quinze (centre trente morts tu vois) ou de celle du vingt quatre mars quinze – cent quarante neuf personnes mortes décédées par la décision d’un abruti complètement cinglé – laisse va – , j’attends le train, je veux juste savoir qui vient ici, un samedi, un peu avant midi, j’attends le train qui n’a pour le moment qu’une quinzaine de minutes de retard, vers les sous-sols de la gare, j’attends, les jeunes gens en rouge n’en savent pas plus que « oui, ce sera sur ce quai qu’il va arriver oui… » mais quand ? On entend la voix d’un speaker (c’est comme s’il s’agissait d’une radio qui dit)

Lignes ReR GdL13i

« il y a des travaux au sud de VOTRE ligne, prévoir sept à huit minutes de retard, en dehors de cela, ça se passe plutôt bien, donc je vous retrouve à onze heures quarante cinq » c’est vrai, ça se passe plutôt bien : pas de train, pas de presse, personne, pas d’humanité pas de sollicitation, tout va pour le mieux dans le monde qui sera le meilleur, on voit sur le quai les traits, les lignes, les limites les bords ou les frontières, jusqu’ici sont les trains

Courts GdL14

plus loin ils seront plus longs, probablement, des informations comme s’il en pleuvait sans aucune pertinence, vingt minutes de retard, non, il ne s’agit pas de retard dira la voix, non, des retards ? Et quoi encore ? Des allongements de temps de parcours, ah oui, alors là oui. J’ai regardé ailleurs

ReR Paris Marseille 1GdL10

le flash s’est mis en fonction sans qu’on le lui demande (ces appareils agissent à part nous, ces gens vivent sans qu’on le sache, on reste là, sur le quai, à attendre, et le reste du monde tourne autour de l’axe, voilà tout)

Paris Marseille GdL12

c’est mieux mais sans le point, on pense au PLM, au Mistral, c’est ici que commence le décompte, on attend le train qui vient de Montereau ou de Montargis, c’est le week-end, ce sont les travaux, réfections des voies, agression d’un contrôleur, grève, mais le samedi qui vient à Paris ? Qui entre ici ?

ReR 14.1GdL5

(il s’agit de la ligne quatorze : celle-ci n’a ni conducteur ni nom de terminus, on ne sait pas, on dit « la quatorze » pour aller à la cinémathèque)

ReR 14.2GdL6

(quand je pense à la RATP, je me souviens des autobus qui convoyaient avec un tel zèle les manifestants qu’on retrouvera morts dans la Seine, le dix huit octobre soixante et un, quand je pense à la société, j’ai comme quelque chose qui me dit qu’il ne s’agit pas que de cela)

mur végétal GdL Ok

il n’y a pas le point, ce mur végétal se trouve au rez-de-chaussée, tu sais à quoi ça sert, cette nature dans les souterrains ? Ces plantes ? Ces fleurs un peu exotiques ? Moi, non, je regarde les choses, je regarde les gens, il commence à être midi, sur le quai le train qui va s’en aller est prévu pour douze, on attend toujours, le précédent devait arriver à trente six, il est deux, on attend

Train arrivée GdL15

il finit par venir, j’ai gardé dans ma poche les horaires imprimés sur une feuille volante (depuis la cop 21 tu sais) prévoir un allongement de temps de parcours ça n’a rien de grave, il s’agit juste de travaux sur les voies, de vingt à vingt-cinq minutes, on s’en fiche après tout, on attend et notre temps n’est utile qu’à nous, du train descendent quelques vingtaines de personnages, j’en attrape un qui vient de Combs la ville, « j’ai l’habitude, je sais que c’est long de toutes façons » préférer l’auto ? Si c’était si simple…

bouquet 1

C’est ainsi que ce samedi-là, avant d’aller défiler sous la pluie contre la réforme constitutionnelle, j’ai entamé cette journée. Il ne pleuvait pas au sous-sol. Certains emportaient leurs vélos vers la forêt, certains s’en allaient marcher sous la pluie, ou la brume, je suis resté là, un moment, à les regarder embarquer, la voix de la radio des quais indiquait que tout allait bien, qu’on se retrouverait à midi trente, « tout se passe bien sur VOTRE ligne » j’ai pensé à mon ami Milou Coué, j’ai repris l’escalier mécanique, puis passant par ces couloirs qui se donnent des airs d’aéroports avec quelques boutiques de faux luxes (sauf les prix demandés, évidemment) qui vantent des soldes « exceptionnelles » à  vomir, j’ai repris la ligne de métro sans conducteur qui va à l’Hôtel de Ville. Ce monde

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3 Comments

    c’est gentil de donner une ligne
    à part ça moi non plus je ne comprends pas

  • Vous m’avez bien eue avec votre ami Milou Coué !

  • @brigetoun : tant qu’à faire, hein…
    @l’Employée aux écritures : vous aviez pensé au chien de Tintin peut-être ? (message personnel : beaucoup aimé l’histoire de la période d’essai dans la chambre d’amis)