Journal des Frontières #6
C’est un peu hébété qu’on avance : c’est le matin, pas vraiment tôt (huit et demi) (oui) et on arrive gare de Lyon
ça travaille, on regarde le hall, on cherche son train (on sait qu’il est là-bas vers les voies K quelque chose n’importe)
c’est qu’il nous faut bien avancer, tant mieux quand on peut, quelque chose à faire c’est toujours important, et quelqu’un a toujours le premier plan, ça regarde sa tablette peut-être, le hall d’une gare est-ce jamais vide ?
jamais (ici les gens qui viennent de là où je vais, j’ai réu -merci pour l’accueil, pardon pour le retard), je me souviendrais durant le trajet de ces allers-et-retours incessants pratiqués tous les week-ends (c’était un Vase Communicant avec l’Employée aux écritures, je me souviens), tout à l’heure, ici le monde arrive
les gens passent et courent, tous les jours, laisser l’auto au parking, courir, travailler, courir, reprendre le train
attendre, voir, s’installer (je n’aime pas balancer, mais souvent des sales types posent leurs pieds sur les sièges sans gêne et sans honte et je déteste : dis-je un mot, à ces malotrus ?
non, j’ai peur peut-être d’une réaction imbécile, j’ai au loin ce sentiment qu’on n’a pas à faire la loi ou à la faire respecter, j’ai tort, mais je ne peux, alors je balance- le type travaille ou y va, tout à l’heure refusera l’enquête- il y a eu une enquête dans ce train, oui) alors on se presse
attention au départ, je m’en vais, je reviens tout à l’heure, je m’en vais, le matin, à Melun sans correspondance (j’ai mal lu les horaires probablement), je m’en vais
il y a des choses qu’on prend en photo, qui pourra jamais savoir pourquoi (et cette simple question est probablement idiote), on s’arrête, on attend, un café au coin, là-bas, ça ne passe pas non c’est là rides au front des gens regards comme inquiets pas rapides comme si on avait peur mais oui, on est dehors
il ferait beau voir qu’on nous en empêche (le couvre-feu est comme l’état d’urgence, quelque chose qui fait souvenir des années cinquante, les sacs de sable sur la route de la Ouina), on est encore dans le monde, libre, et d’ailleurs je suis venu pour ça, je veux dire pour cette liberté-là que donne le plaisir de retrouver des gens vivants préparer des déambulations sur ces territoires (ça vous a un vague air de, comment dire ? langue de bois, divagations sur les bords du Loing, quelque chose qui vous parlerait de cet espace protégé, sur la rive droite de la Seine, à Champagne, quelque chose qui aurait le don de faire oublier le reste des circonstances, l’ambiance et le contexte), alors allons marcher, reprendre un train
qui fonce, se souvenir des lignes, des voies, des quais, des rives, des fossés, des rigoles, des rivières
« c’est l’hiver à San Francisco » (ce n’est qu’une chanson : se souvenir de ce que ce trajet évoque, comment le dire, comment le faire partager, se souvenir des lectures -ces temps-ci, Peter Biskind « Le Nouvel Hollywood » en Points Seuil), mais regarder, changements et céramiques
sous-terrains lieux des voies, rails aiguillages caténaires « Bourgogne » TER, entendre ces annonces qui parlent de valise abandonnée bientôt détruite dans la voiture 7, entendre les mots et les chiffres trente deux dix sept, entendre écouter retenir « ateliers multimédia », voir et avancer (celle-là je l’adore, de son vrai nom Gautier, en tournée dans le monde entier ? je ne sais pas, j’ignorai qu’elle naquit au Québec mais il y a quelque chose dans la chanson que j’aime) (pas les siennes, mais tant pis)
c’est encore une gare (merci pour la conduite intérieure Espace…), je me suis arrêté, (je me disais « Thomery » mais vaste étendue de forêt, rien à l’horizon sinon des voitures garées par centaines, j’ai reculé devant l’obstacle de la solitude) descendu ici
là
ou ici encore
les lignes, l’asphalte, trait blanc sur fond noir (je me souviens du bac français en première, « le manifeste du surréalisme », la pensée un trait blanc sur fond noir, je ne sais plus : si j’en avais la possibilité, il me suffirait d’aller dans le couloir de l’entrée, de prendre « le manifeste du surréalisme » premier second je ne sais plus, retranscrire, mais non, donc continuons sans source) ou encore ici
pavillons fenêtres persiennes volets fermés
voilà c’est pour qu’on sache à quoi s’en tenir : ce sont donc quelques clichés, une promenade, déambulation, divagation, partir d’ici pour aller là, d’après-midi, ce sera le samedi (ce boulon-ci ou cet écrou-là
c’est le même, tu me diras, oui, mais traité différemment donc) on fera ce qu’on voudra comme photo, on fera ce qu’on voudra pour laisser quelque chose à la liberté, de penser, celle qui nous indique le chemin à ne pas suivre ou celui à emprunter
on regarde sur la Terre comme au ciel, on marche sur les pas de ceux qui, là, nous ont précédés, dans les traces de ceux qu’on suit
on a le temps de voir, on reposera ensuite des questions, peut-être qu’on y trouvera quelques plaisirs, quelques raisons d’espérer
ce n’est pas qu’on ne s’attende à rien, ce n’est pas non plus qu’il y ait des choses à redouter (on s’autorisera des digressions, des paroles en l’air, des rires et des jeux de mots, on s’amusera de la météo -s’il pleut, donc on recule d’une semaine)
même la lumière la plus crue crée des ombres plus profondes, il fait beau, les trains s’en vont chacun sa ligne, chacun ses arrêts, ici un homme marche, là-bas attend une femme, deux jeunes gens parlent en anglais assis compartiment six et rient (dans n’importe quelle langue, pas besoin de traduire) oui, rient
tu attends un peu qu’il fasse meilleur, tu attends et en attendant continuent les cauchemars : les rêves passent, qui me racontait celui d’un lieu ouvert mais noir, un tapis d’eau, noire elle aussi, un petit centimètre de profondeur, et flottant dessus non ! tu te réveilles… ? je ne sais plus
chiffrer, l’avenir ce sera marcher et montrer ce qu’on y aura puisé (les chiffres, non, les chiffres ne veulent rien dire ici, non)
(c’est que je pose les photos en allant – le « A » c’est pour ampère, jte parie deux mille…- j’écris quand ça me vient, une phrase, deux mots, trois sentiments un souvenir, des images qui vont comme elles vont c’est ma facture, probablement)
j’ai juste attendu un moment, j’ai repris mon livre, mon sac sentait encore cette suie (quelle plaie), le train est arrivé dans cette gare où comme dans ma poche je sais retrouver entrées-sorties-arrivées-départs-autobus-express-informations-voyageurs de cette société nationale qui à présent ne se décline que par son acronyme, sans même y adjoindre un article (la voix enregistrée qui tout à l’heure informait de la valise indique ses remerciements) sortir, rejoindre le vingt (c’était un autobus à plateforme qui allait à Saint-Lazare-plus vite que le 29, tu comprends), attendre, imaginer les déflagrations, n’en plus pouvoir de fantasmer le feu, haïr la ville, les abords, les imbéciles, préparer son billet, se souvenir des rires de L. qui au volant de son auto blanche, disait aux passants « Vous connaissez la rue qui tourne ? » et qui démarrait en souriant de voir le regard un peu absent de l’interlocuteur sur le trottoir, parce que rire, oui, rire et envoyer paître ces idées noires, emprunter les boulevards et sur la place comme dans une buée (le vent qui dans les yeux fait sortir quelques larmes) le génie et ses ailes dans le bleu ciel du soir
Je crois qu’il faut dire gentiment et avec humour aux sans-gênes : cela ne se fait pas de mettre vos pieds sur le siège, c’est sale, mal élevé, comment je vais pouvoir m’installer, c’est cela l’éducation : le rabâchage Pendant 30 ans de voyage en train je l’ai dit je n’ai pas eu de problème!
Merci pour le voyage et les belles photos
De vos voyages en Seine-et-Marne, vous nous ramenez de bien beaux souvenirs. Merci.
@ Anne-Marie Emery : oui, sans doute, mais c’est probablement le contexte du moment (stu veux)… Mais merci de passer, en tout cas et ravi que ça te plaise…
@ l’Employée aux écritures : ça va continuer, on fera des photos des promenades… Merci de suivre, Employée…
Train, métro, paysages : on aime déchiffrer (non pas décrypter) même par ces temps obscurs…