Fête, fête, fête
Je ne sais plus qui, il se reconnaîtra sans doute, me disait un jour « mais à quoi bon mettre dans le ciel ces immeubles, en bas, là ? » et j’ai lu ce commentaire un peu comme on découvre un légume inconnu sur l’étal du marché (je dis ça parce que je sors d’aller chercher à manger pour demain : je hais cette époque, mais j’en profite pour lire et travailler).
Et puis ça n’importe pas finalement, on regarde le ciel c’est la fin de l’après -midi, aujourd’hui l’horizon est bouché, il paraît qu’on attend une tempête, on a regardé « Kaos, contes siciliens » une merveille des frères Taviani (1984), on a tenté d’aller voir « Rêves d’or » (Diego Quemeda-Diez, 2013) mais on n’a pas manqué « Un soupçon de péché » (traduction libre – Jia Zhangke, 2013) et on continuera à prendre des photos
à lire des livres même si on n’arrête pas de nous seriner que le livre est mort (il FAUT acheter des tablettes, vous comprenez, pour soutenir, sans doute, l’industrie…), qu’il en sera de même du cinéma bientôt parce que Internet ici ou là (oui, alors blue ray ou bien ???), demain soir ce sera le premier réveillon, puis il y en aura un autre, les enfants seront heureux parce qu’ils auront reçu des cadeaux, les parents seront contents de voir les enfants heureux et Noël sera la plus belle fête du monde (le monde…).
Les étoiles au ciel, la beauté du monde, l’élargissement du milliardaire et des punkettes accusées de blasphème (le cynisme écoeurant de l’autocrate) et l’année prochaine, restons sans crainte, on verra donc du ski ou des jeux de glace à la télévision, et en juin, des match de football (du pain et des jeux). De l’or, donc. On aura sans doute eu droit à la bénédiction, à la ville et au monde, du nouveau venu, alors que le précédent sera, dans son asile doré, à quelques lieux de la place où sera prononcée la bénédiction (je ne connais guère la liturgie des autres religions, je le regrette). Le lent labeur du temps, agissant, j’ai commandé un café
je reste au bar comme on voit, il y avait de la lumière, il y avait des chants aussi (j’ai fait tourner « la Force du Destin », Giuseppe Verdi, 1869), j’ai attendu l’autobus
je crois que je venais de chez le coiffeur, de la librairie où j’ai acheté cinq livres de poche offerts pour le repas de vendredi (Noël avant la lettre), sans doute, sacrifier au rite, cuisiner quelque chose comme « un truc vert », ouvrir le champagne, et le travail, et les gens, et le vent dans les cheveux…
Puisqu’Hélène C. me l’a demandé, je suis allé parcourir la rue, pour essayer de mettre au clair quelque chose du quartier. J’avais un cahier où je notais les diverses enseignes, juste à côté d’ici le type m’a regardé comme si j’empiétais sur son territoire ayant pour objectif de violer sa mère son frère son chien, ce genre d’intimidation qu’on ressent parfois, en parcourant des quartiers éloignés à certaines heures (« n’y allez pas à la nuit tombée, on ne sait jamais ce qui peut s’y passer…! »), je me suis souvenu du livre de ce bottier en prenant la photo (je me le suis procuré dans la librairie, un peu plus haut, après le croisement)
et le type avait son tablier bleu sur son pull vert, je me souviens de son regard, j’ai ouvert mon cahier, j’avais à la main un sac en plastique avec des éponges, des sacs poubelles, autre chose encore, j’avais à acheter du sel un peu plus bas, et comment vont les choses ? voilà, ainsi, je ne lui ai pas tiré le portrait… Un jour j’y retournerai, comme je sais qu’il vend des légumes et des fruits j’irai voir un peu comment faire mais ce genre de choses, je ne parviens jamais à le réaliser, j’oublie, l’agression, l’inutilité de l’abject : je la lui laisse…
Je descends (à cet endroit, la rue est raide), je continue, entre dans la librairie, non je ne trouve pas, le livre sur Manet est là, trente deux euros, des milliers de livres, le samedi le plus prolifique de l’année, les yeux qui pleurent à cause du vent, du soleil, de la descente, un vendeur de plats préparés s’appelle « Fada », le tabac fait le coin, au ciel les avions poursuivent leurs routes implacables (implacable : telle était le caractère de la soif de cet homme qui est entré au Grand Café, par hasard, tu te souviens) (dommage elle n’est qu’indomptable…)
J’écris ce billet, et de là-bas m’arrive cette photo, que je pose, avec des voeux de l’ami Carlo…
Et donc, pour vous, aussi
et donc pour vous aussi
Noël c’était hier, et le Nouvel An il y a trois jours : maintenant, on est en 2014 (Brasillach disait « Comme le temps passe » d’une manière bizarre !), mais les rues sont toujours là, les gens, le ciel, alors tout va bien et toi aussi, j’espère, camarade !