atelier été 2020_9
Pour mémoire
Qui est-ce, merde ? Il faut attendre, toujours attendre dans ce sale putain de boulot, merde… c’est qui, ça va venir oui ou merde ? Watson, ouais c’est ça, et moi c’est le pape… Je vais mettre cette saloperie de tablette un peu plus haut comme ça son altesse pourra la voir… Ah… tiens, le voilà tiens, un mec, pas de bol… lunettes de soleil, tu parles… ! Regarde moi ça le galure, tu le crois, toi ? Non mais attends… Par ici, mon prince… costume en lin, et pompes à mille sacs… Pas un mot, le mec… Y s’parfume, ce con, une vraie cocotte… Bon, alors direction le huit, parking des Champs, okay Indigo c’est en bas d’accord, c’est parti en voiture Simone, c’est moi qui conduis et c’est toi qui klaxones… ! Marche pas mal la merco ce matin, tiens… Marcel a dû la régler, il assure bien, ce gros lard, quand même… Non mais ça m’apprendra à prendre n’importe quoi et tout ce qui peut se présenter – non mais quelle merde !!! je fonce, merde, et ce con qui n’a rien à dire, qui ne l’ouvre même pas pour m’indiquer quelque chose qui se laisse conduire – pas un mot de tout le trajet, tu le crois ça toi ? moi non, en même temps comme on dit maintenant quatre cents boules charly-chanzel ça ne se refuse pas, surtout à six et demi du – Bon alors, c’est où… Indigo tu parles d’un nom… Putain de bordel de merde de parking à la con ! c’est où ? ah putain où est-ce que c’est ? Mer-de ! {Ah par là, vous croyez ? Ah oui… Oui, merci…} C’est là… Voilà, tiens t’es arrivé… Non je ne t’attends pas, non. C’est ça, salut. Même pas un petit billet, ce con… Bon, jvais où, là ?
J’aime Paris au mois de mai… Une chanson douce que me chantait ma maman… Alors… ah oui Watson voilà – élémentaire hein… drôle de dégaine ce chauffeur… Genre petit brun, Nougaro Aznav quelque chose… J’espère qu’il conduit vite au moins – voilà qu’il veut faire la conversation, il se prend pour un taxi celui-là… allons bon, une merco, manque de chance… Propre cependant – allons-y… Ah non, pas de musique non, merci… tu te souviens de cette chanson mièvre qui faisait « oh Rosie tout est blanc, tes yeux m’éclairent »? Qui nous chantait ça, déjà ?… Cette autoroute est une tuerie – cent soixante, ah quand même… il est pressé ce petit brun… Non mais quelle allure, ce costume brillant – n’importe quoi, ça ne fait rien… Quand l’hiver le délaisse que le soleil caresse ses vieux toits à peine éveillés… Par où passe-t-il, ah Damrémont… ? Je prendrai bien un café moi, tiens… Non, plus tard, quelle heure est-il, voyons voir, moins le quart, très bien parfait… Clichy… Saint-Pétersbourg, pas si bête… Il y avait aussi « Mood Indigo » que chantait… comment s’appelait-elle, déjà… ? Cette pianiste… Ah ça m’échappe… Une blakette, on ne connaît qu’elle… {Non, l’entrée est sur l’avenue Matignon… Oui, voilà, là c’est ça… Voilà…} Ah voilà… Nina ! Nina Simone, c’est ça… Bon alors nous y voilà…
Dans ce genre d’affaire, moins on en sait et mieux on se porte. Je ne sais rien, et tant mieux. Je dois juste accueillir l’envoyé spécial et lui remettre ce pli (à l’intérieur duquel il y a je ne veux pas le savoir) (probablement passeport argent liquide peut-être bien cartes de crédit – je ne veux pas le savoir) (j’ai vu une photo de lui, je sais qu’il sera convoyé ici par voiture de place – je ne veux en connaître ni le chauffeur ni la marque ni la plaque, je ne regarde rien). Les ordres sont assez formels « sept heures du matin, bureau 106 parking Indigo rond-point des Champs-Elysées », je ne veux rien savoir de plus. C’est un bureau en sous-sol, dans le parking, j’y suis déjà venue une fois il y a quelques années (le 1 du 106 signifie premier sous-sol) (on y entre par un regard de l’avenue, ou un ascenseur vous y conduit mais je préfère les escaliers fixes, voilà tout) (l’heure est assez saugrenue mais on ne discute pas les ordres). Je n’allais pas demander au secrétaire de venir ouvrir – non, les heures de bureau sont les heures de bureau, c’est sacré. L’endroit est toujours désert. Des caméras de vidéosurveillance surveillent. J’ai déposé mon badge sur le lecteur, la porte s’est ouverte dans son petit bruit sec et idiot. On m’a fait remettre la clé, on la laisse sur la porte en s’en allant, elle est dans mon sac, je la sors – une serrure à pistons comme elles le sont toutes – j’entre, néons sept heures moins deux, murs jaune pisseux, vitres teintées odeur désinfectée, moquette grand passage gris sale – trois tables en u et formica, six chaises, un tableau papier – ce sera tout. Qu’est-ce qu’ils foutent maintenant ?
codicillons : le décor que j’ai déjà explicité, un jour, je ne sais plus, il y a quarante ans – j’ai pris trois points de vue, vaguement le sentiment d’avoir (comme d’habitude d’ailleurs) tourné la consigne – je pense m’amuser (l’officier traitant se prénomme certainement Simone) mais c’est l’endroit qui m’est le plus inconnu : la fiction (l’exploré-je par l’écriture ? le plus en affinité ? Le roman populaire ou le cinéma dit d’action, ou d’espionnage ou quelque chose de ce genre ? Le genre en littérature, le sérieux, le tragique ? j’ai pensé à la tristesse (c’est absolument sans rapport) (mais ça nous envahit et nous ravit à nos sentiments) de Lol V. Stein quand elle s’allonge dans le champ non loin de la maison, là-bas – c’est juste de la fiction – pour le décor j’imagine)
une image des Champs-Elysées avant la fête nationale
comme si j’arrive à tenir devant l’ordinateur je pense l’avoir mon 9 ou le cadre ou une intention assez forte, j’ai à la fraîche, pu déguster vos discours intérieurs, ces regards qui sont typés, forts et forcément sans rapport avec mes bluettes
@brigitte celerier : j’ai répondu quelque part – mais chez vous, ce ne sont pas des bluettes, vous vous trompez – j’avais une prof d’anthropologie (j’en profite pour évoquer son souvenir, Michèle de la Pradelle) qui avait coutume de dire qu’il fallait « prendre les choses au sérieux »- une vraie parole… (je vous la confie)