été atelier comme un roman –
Aller et retour
c’est une histoire déjà racontée, mais ça ne fait rien, elles sont trois se tenant par le bras, le coude, elles portent des manteaux d’astrakan. Vues de l’extérieur, on pourrait croire qu’elles s’entendent comme de sœurs, et c’est aussi ce qu’elles sont mais il y a quelque chose qui sourd, pourtant. Elles marchent sur l’avenue de France, modèle Rivoli comme il y en a à Bologne ou à Milan, à Gênes aussi, des artères de la même eau : couvertes, magasins et colonnes et marbre ou mosaïque au sol, rue de Castiglione aussi non loin d’où vivait la promise, l’une des belles-filles de ces trois femmes qui marchent doucement — ce n’est pas qu’elles soient vieilles (elles ne sont pas jeunes, non) mais l’esprit est fondé à croire que le monde, ce monde-là, est noir, si noir — il fait un soleil de plomb comme il se doit mais on est en mars, c’est la fin des années quarante — elles marchent doucement et se dirigent vers la porte qui ressemble un peu à celle de Saint-Martin — elles marchent se tenant par les coudes, trois sœurs de bonne réputation, de bonne famille — on les voyait (plus tard, bien plus tard) ensemble ou ailleurs, l’une est petite, boulotte, ronde disons, vit rue de Marseille, l’aînée peut-être je ne sais plus, elle avait eu trois fils, quelque chose les unissait – trois sœurs, trois parques, trois furies – un pli peut-être au front, un manque de joie dans le rire, la seconde, plus grande, se tient à gauche de l’aînée, elles parlent entre elles, doucement – elles ne se moquent pas des gens qu’elles croisent, elles les qualifient — elles marchent sous les arcades de l’avenue de France et le soleil est lourd, portent-elles chapeau voilette, je ne sais pas exactement mais elles passent, se dandinant un peu, elles n’iraient pas aux souks non mais certainement pas, on n’entre pas dans la médina, surtout à ces heures-ci, elles s’arrêtent à la porte, c’est celle de France aussi bien, puis elles redescendent ensemble reprennent le même chemin, une promenade, c’est le début du printemps, c’est l’après-midi et bientôt le fils aîné de la première se mariera — il y a comme une satisfaction un peu complaisante à marcher sur ce marbre rose, à regarder ici des bijoux, là des vêtements — qu’elles ne mettraient jamais, qu’elles ne porteraient pour rien au monde — le prénom de la cadette est anglais, elle est à droite un peu voûtée, parfumée, mise en pli sans chapeau, non, il y a quelque chose avec l’Angleterre, l’Italie aussi et il y a quelque chose avec la France, il y a quelque chose qui cloche un peu, l’absence des maris, des enfants peut-être, elles en ont toutes les trois mais ce sont les bonnes qui s’occupent des petits – on parle arabe, oui, mais en leur présence on préfère le français ou l’anglais — on se méfie un peu, il y a comme un sursis, quelque chose qu’on aurait à taire, une sombre histoire — le pli entre les deux sourcils, les gants qui serrent les coudes, les manteaux d’astrakan noirs qui portent le deuil — on ferait mieux d’oublier mais c’est impossible, on n’oublie jamais rien, elles iront peut-être manger une glace, s’asseoir un moment au café du Théâtre ou de Paris, contempler un peu cette jeunesse qui passe, insouciante et joyeuse, ces jeunes gens qui rient et s’amusent, ils ne savent pas ce qu’ils risquent, ils ne savent pas puisqu’ils ne savent rien, toutes trois sont nées avec le siècle et ça n’est pas joli joli ce qui leur a été donné de vivre — elles respirent l’air chaud, il n’est peut-être pas encore six heures, elles marchent et n’ont pas besoin de se regarder pour savoir ce qu’elles pensent, elles voient au bas de l’avenue les lauriers et les figuiers les palmiers et les acacias qui enserrent les allées, la cathédrale, les hôtels – il fait chaud il fait doux il fait lourd
codicille : longtemps à chercher ce que pouvait être cette espèce de début — mais non, ça ne débute rien, c’est de l’histoire ancienne comme on dit — il y avait aussi une histoire de ces deux vieux types qui marchent dans une rue, à Venise (image (c)Denis Pasquier), qui reviennent de faire des courses, un filet à provision, une canne, une image faite par un ami mais l’important ça a été de se tenir, de marcher de cette manière sans but et toujours le même trajet, plus ou moins, et pour moi de les suivre
(et puis : avoir l’idée derrière celle première c’est un peu délicat – le roman, là, le « but » de l’atelier si je comprends mais je ne comprends rien (je pose ça en codicille aussi allez)
là j’ai lu sans attendre et ce que si je suis capable j’essaierai d’écrire cet après-midi pour être publié avec le #1 quand François Bon aura le temps et avant un grand trou même si l’ophtalmo est gentil, ce sont trois soeurs aussi mais ce serait très différent même si ont vieilli aussi