Musée TRANsitoire (akaTRANauto) (Oublier Paris #89)
Au début, il fallait une auto – les enfants, les vacances, la ville et la campagne – au début, c’était il y a peut-être trente ans – un peu moins – puis on a déménagé
ce n’était pas encore là (l’adresse du garage, je veux dire : c’était sur l’avenue Claude Vellefaut, d’abord, puis dans la petite rue où se trouvait l’atelier) (Sambre-et-Meuse) (Paris 10) puis ils ont changé
on a aussi changé d’auto – la première était rouge, un petit break nommé Fancy – la seconde était rouge, hayon Golf – la première a été pliée porte de Pantin – la seconde je l’ai vendue cinq cents euros – la troisième appartenait à un monsieur Myrtille qui s’en allait rejoindre ses pénates îliennes – il avait acheté cette berline teutonne pour aller visiter son père qui était dans une maison de retraite du côté de Poitiers, la route, les pneus gonflés à l’azote petits bouchons de chambre à air verts – entretien impeccable – bleue gendarmerie quand même
on la réparait ici – j’avais connu monsieur L. le chef d’atelier là-bas, et on avait sympathisé – il était portugais (ça n’explique pas tout, certes) – j’avais aussi connu les patrons – ils étaient trois si j’en crois mon fantasme – le père et ses deux fils – je ne le savais pas encore (d’ailleurs je ne le sais toujours pas – mais il me semble bien qu’il s’agissait de ses deux fils)
ils ont déménagé et c’était beaucoup mieux pour moi – la voiture était entretenue (à prix d’or, certes – c’est parce que ça c’est Paris) – une fois l’embrayage
une autre la courroie de distribution (qui est double sur le modèle en question) une autre encore autre chose (je me souviens le pare-choc embouti sur la bretelle d’accès à l’autoroute porte Saint-Cloud, une jeune femme qui consultait son portable), je venais, on prenait rendez-vous (beaucoup de taxis venaient faire réparer leur outil de travail – il y avait un mouvement assez intense – on attendait, ça avait quelque chose d’assez chiant : comme au garage, évidemment)
on revenait chercher l’auto – parfois on vous appelait, la pièce était manquante – je me souviens d’un accident au carrefour entre les rues de Dunkerque et Rochechouart – un monsieur L. (80 piges) qui ne m’avait pas vu a embouti la porte arrière à 2 à l’heure – léger bing mais réparation dans un garage de l’assurance avenue Simon Bolivar –
c’est pourquoi lorsque j’ai vu le garage ouvert pour d’autre fin, je suis allé voir – je me souviens du jeune type insupportable qui était en charge des pièces détachées
le personnel changeait – la femme de la caisse ne souriait que lorsqu’on payait l’addition souvent salée – travail soigné cependant (encore heureux) – je me souviens des deux frères – l’un au garage l’autre à la concession de l’avenue Vellefaux (aujourd’hui ça s’appelle un « showroom » (wtf)
je me souviens leur père – tous se ressemblaient, petits, teins mats, cheveux très noirs, le type du garage s’appelait K –
l’autre je n’ai jamais su – un jour, leur père est mort, monsieur K. (on l’appelait tous monsieur K.) me l’a dit, j’en ai été peiné – il m’a parlé un autre jour de la voiture de son père
une audi verte, dotée d’un moteur de près de quatre litres, huit cylindres en V se composant de deux blocs de moteurs de golf
– j’aurais du l’acheter alors (c’est la presque même image)
mais je n’ai jamais eu assez d’argent pour ça – ni pour autre chose d’ailleurs – peu importe, elle était garée au cinquième
ce ne sont pas des étages, mais des niveaux, reliés entre eux par des plans inclinés, des rampes – il y a aussi, comme on a vu un ascenseur et un escalier
une architecture fonctionnelle qu’on va mettre à bas – parce que il faut faire du neuf, c’est en ville, tu comprends bien, il faut que ça rapporte – je ne sais plus où, j’ai lu que le mètre carré valait quelque chose cinquante mille dollars us : Singapour,Hong-Kong, Dubaï, Kuala-Lumpur? va savoir…- pourquoi pas après tout ? quelle importance ?
on manque nettement de point – il faudrait que j’y retourne (j’ai failli, il y avait mercredi une soirée flamenco (le 23) – avec la voix de Maria de Medeiros parait-il – mais non ça ne s’est pas fait) (le musée transitoire où ça se déroule fermera le 31 octobre si j’ai bien compris).
De retour sur le site (avec GSW) ancien de ce garage, j’ai trouvé pas mal de choses – je ferais un billet complémentaire pendant le week-end je suppose (oui, Oublier Paris #87 : la bonne surprise, c’est qu’on y découvre une photo de monsieur K.- manager tout sourire) – c’est ce réseau garage/émigration/ voiture allemande/voisinage qui rend ce monde proche (une des participantes de l’atelier d’été porte le même nom qu’eux) (c’est cette proximité-là)
une porte fermée, cadenas à numéro – un lieu de travail – le garage Robert en bas de l’avenue de France où travaillait mon père fin quarante – ça n’existe plus, non –
sans le point, tout est démonté, monsieur L. le chef d’atelier est parti en retraite, son épaule démise et mal soignée, sa moustache et son sourire « il ne faut pas en changer, elle marche très bien » disait-il « inusable »
groupement de quatre plus groupement de quatre
rebuts, décharges et encombrants – changer moi tout ça, faites en des bureaux neufs et accueillants, où il fera bon travailler – travailler voilà, travailler – retour sur investissements, « bankables », scénarios en acier, génériques en béton – « jackpot » et bascules – efficacité et performance – le nerf de la guerre – force et puissance – tout ce qu’on agonit –
les fusibles et les lieux d’alors (il ne restera plus rien)
une machinerie, des gestes précis et préoccupés, réparer, remettre à neuf, changer et compter le temps, la main les outils les yeux les précisions – savoir exactement, au bruit, ce qui se passe, reconnaître exactement, à l’oeil, ce qui ne va pas – tout un dictionnaire d’activités, toute une connaissance, une appréciation, un savoir –
tout un univers promis à la disparition
Le musée transitoire a plus ou moins disparu (je vais me renseigner de ses prochains lieux d’atterrissage), mais je garde quand même (grâce à cet internet déplorable et le gsv issu d’une des gafam immondes) cette image magnifique
non pas celle-là – ni celle-ci
mais plutôt celle-là (de gsv)
le genre meilleur « employé du mois » ou de la semaine, en fait « meilleur patron »
Un genre de « Mélodie en sous-sol » – en Melville bien entendu.
Ce musée a un beau nom : on y garerait bien sa voiture (après tout, il y a des musées pour les amateurs de coupés à l’ancienne ou d’Américaines Buick ou Chevrolet, pas obligé d’aller jusqu’à Cuba !
Pour les voitures volantes, on fera appel (si j’ose dire) à Luc Besson ! 🙂