Pendant le weekend

Atelier Hiver 18 – 19.1

 

On ne va pas mettre les images (l’une d’elles se trouve dans le journal du jour) mais j’ai commencé par regarder (comme dans la série « Sur le bureau« ) ce qu’il y avait dans le dossier des images gardées (il commence à y en avoir des milliers, et je commence à me fatiguer de ce recensement) (en vrai je suis fatigué de tout ça) et puis arrivé à D je crois bien, j’ai arrêté – non à F – cette nuit, je ne dormai pas et j’ai revu cette image de cette femme (j’avais oublié sa main, j’avais oublié qu’elle était sous une tente, je la croyais plutôt dans le film « Une histoire vraie » de David Lynch, ce type (interprété par Richard Farnsworth)

qui revient voir son frère ici

mais non, pas du tout – peu importe. Pour la troisième il s’agit de la fin du film « Tango l’exil de Gardel » (Fernando Solanas, 1985) et cette séquence magnifique, terrrible, formidable (Marie Laforêt peut-être bien dans le rôle de la fille qui court). Ce qui fait qu’on recommence (de côté, on laissera le travail, la ville, laVillette à moins qu’on y revienne) ( il y a peut-être bien quelque chose qui se joue du groupe aussi qui a quelque chose de ravissant – parce qu’on sait bien qu’on est, malgré tout et quoi qu’il en soit, seul devant son écran/feuille blanche/retour). 

 

 

 

 

c’est l’image d’une femme, elle est assise sur les marches d’une vieille maison en bois, elle tient dans les bras le petit dernier, derrière elle ils sont deux ou trois autres enfants, de ses enfants sûrement et elle regarde devant elle – son regard, comme tous les regards de toutes les photographies du monde, son regard est mort – elle regarde arriver peut-être bien quelqu’un, l’huissier, le monde qui vient, l’escroc et la poussière, tout ça va la jeter dehors, elle et ses mômes, mais on s’en fout, ils seront sur les routes et mourront dans un fossé ou quelque part on s’en fout, Etats-Unis années trente – de l’autre côté de la mer ou de l’eau, on fourbit, on alèse on tourne les obus les balles les fusils chars casques uniformes on se prépare et des gens très bien (plutôt des hommes) vêtus et peignés et propres et sans doute parfumés (des ploutocrates) se réunissent dans leurs palais pour savoir qui donner à quoi à qui, combien surtout, qui à qui, ils vont manger s’engraisser et boire, rire peut-être sourire et à la fin il y aura du café – elle est là, assise et regarde ce qui arrive, derrière elle, derrière nous se trouvent des millions de morts déjà du premier conflit, les gaz et l’exemple, devant nous il y aura aussi ces millions de morts, ces milliards et des milliards de mots et de haine et de désespoir, elle regarde devant elle, les plis de son visage, sa bouche qui attend, devant elle la campagne ou la ville, là, devant elle l’avenir, celui où nous sommes, nous n’avons rien appris, tout est semblable, dans les palais ils se réunissent, ils échappent à l’amer, à l’acide, les plis de leurs pantalons sont droits, leurs vestes bleu nuit raides et étriquées, ils attendent là, un puissant leur dira où il faudra faire, ils sont là et ils feront, et nous, nous les regardons faire

 

il y a trois ou quatre surfaces, planes, le cadre est rectiligne, on voit un cadre à l’intérieur du premier, du plus grand, on voit au loin les nuages des précipitations, à venir sans doute, on ne sent pas le vent mais il est là, sur la mer, l’écume et les vagues bleues, sur la gauche la lumière du soleil, c’est l’hiver, sans doute fait-il froid, une grande surface bleue ridée de petites traînées comme le ciel, c’est à l’arrière, c’est une espèce de décor, ce n’est pas une scène, c’est une image toute bête qui montre en premier plan (entre la mer qui se retire, le ciel, les vagues, le sable une vitre transparente isole mais réunit quand même) au premier plan une table et un dossier de chaise, dans les marrons foncés, sur la table est posée une tasse de café, le petit paquet de sucre et la cuillère et aussi le verre d’eau, il se peut qu’il soit vide, il s’agit d’un verre venant d’une offre promotionnelle d’un vendeur de soda, ce sont des cadeaux offerts par la mansuétude et l’état d’esprit commercial de l’ordure, il n’y a personne mais si on regarde bien, bord cadre à gauche en bas, on peut discerner posés contre un parapet qu’on appelle parfois garde-fou les rétroviseurs de deux petites machines du genre Malaguiti Motobécane ou quelque chose, qui reflètent le bleu et le blanc de la lumière du ciel, il fait jour, sans doute depuis peu de temps, c’est probablement le matin, on ne les entend pas mais les oiseaux sont quelque part, par là, non loin mais hors d’atteinte, sur les toits des maisons aux volets fermés – comme dit la chanson on doit être hors saison

 

ce sont des panoramiques, de droite à gauche puis de gauche à droite, c’est en contre plongée et en travelling, la camera suit la femme qui court, je crois me souvenir de sa nudité, entre nous et elle, nous sommes en contrebas, il y a l’arrondi du balcon, ouvragé forgé, vieux vert, la lumière tombe de la verrière au milieu du hall que borde le balcon, derrière elle c’est l’ombre, elle court elle revient elle court de toute la force de sa jeunesse, sans doute est-elle prisonnière, prise en tout cas, elle court, par ici on la suit elle court encore par là, elle veut s’échapper, elle court elle court, on la suit encore et encore, l’arrondi du balcon, le vert vieux, décati, c’est un théâtre, elle court il doit y avoir quelque chose comme de la musique, un tango peut-être mais elle court, elle est revenue et repartie, elle n’y échappera pas, on le sait il y a quelque chose qui nous le dit, elle court et toute la tristesse du monde est dans ce regard qui cherche droit devant elle, clair, une issue, elle est loin de nous déterminée décidée convaincue elle court encore elle court et court et nous, nous la suivons quand elle revient, quand elle s’échappe et veut vivre, sa respiration, le bruit de ses pieds nus sur le marbre peut-être bien, je ne me souviens plus, tu me demandes mais je ne sais plus, tout ce que je sais c’est qu’à un moment, d’elle c’en sera fini 

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1 Comment

    et voilà que, alors que je ne suis pas encore arrivée à lire la dernière grosse livraison sur tiers-livre j’ai le plaisir de déguster (vraiment) un peu de celle à venir