Atelier d’été 18.31
(il s’agit de ne pas se laisser envahir par autre chose que la description d’une ville, fut-elle petite, par des mots) (un peu d’histoire, peut-être – les documents nombreux dont celui-ci pour mémoire – il me semble que l’auteure du texte était en fonction à la maison des vétérinaires dite de la Villette à un moment – et cet autre sur le bassin) (il y a toujours eu, depuis le temps, une très grande distance entre le travail mené et la reconnaissance qu’on en a eue) (tout à l’heure dans le poste, Jane Evelyn Atwood qui parlait photographie, une amie de là-bas) (vingt cinq ans : j’en suis au même point, sinon que j’ai pris une ou deux tailles – je ne porte toujours pas de costume, mais je n’ai pas non plus réussi dans mes entreprises) (écouter la 32 à présent) (les illustrations ici sont des photogrammes du film de Georges Franju (1949) « Le sang des bêtes » qui commence par un baiser…) (il vous prend et ne vous lâche plus – méfiance et tueries… : sensibles s’abstenir) (en fin de texte la liste des légendes du premier plan des années 50 du 19°)
consigne 31 :
Calvino et les morts : non pas mimer les allégories que déploie Calvino, mais s’en appuyer comme d’une autorisation mentale à explorer ce qu’on sait, soi-même, de la mort dans ce lieu qu’on bâtit
le jour de l’ouverture était un premier janvier, mille huit cent soixante sept excuse-moi, on avait réuni là un peu moins de deux mille bœufs, une sorte de public (plus tard assez vite, on en verrait cinq ou six mille tous les jours), on les avait parqués et on les sacrifierait bientôt sur l’autel de la nourriture humaine, c’est dit comme ça peut – il n’est pas certain qu’il se fût agi d’un sacrifice, je le reconnais tout à fait, mais ce quelque chose-là commençait une histoire qui durerait plus d’un siècle (cent sept ans), l’histoire d’un équipement industriel, on avait loti le territoire, on avait préempté via la Mairie – le baron Haussmann avait bien fait les choses : les propriétaires d’avant mille huit cent soixante verraient le prix du mètre carré dans ce village multiplié par quatre – les affaires étant ce qu’elles sont, on investirait là aussi dans le chemin de fer pour faire venir, par exemple, des moutons des pays lointains, dans des wagons plombés, qu’on débarquait au lazaret à plusieurs millions de têtes par an – il y avait du boulot, mais nourrir une métropole de plusieurs millions d’habitants (peut-être trois) ne se fait pas à la petite cuillère : cinquante hectares, des abris pour boeufs, moutons, chèvres, porcs et veaux, des parcs de comptage, des porcheries et des étables, Baltard et Janvier, des restaurants et des buvettes, des compteurs des régies des concierges, des poste de police des pompiers, beaucoup d’eau et de sa vapeur, dépôts de fumier et triperies échaudoirs et brûloirs, boyauderies, pendoirs, crocs esses lames toute une entreprise qui emploierait des milliers de personnes, on vendrait les bêtes au sud, on les tuerait au nord – elles arrivaient à pied ou par wagon, on les triait les pesait les comptait, on les guidait, on les assommait au merlin et on les dépeçait débitait en morceaux, graisses dents sangs, pieds têtes tendons ce ne sont que des bêtes mais elles sont animées d’une vie quelque chose qui quand on l’ôte laisse une espèce de drôle de goût dans l’âme, coups de marteaux coups de surins, tueurs bouchers peaux poils soies, de l’autre côté de ce canal, elles meuglent ici elles crient elles hurlent sans doute puisqu’elles savent bien sans doute sans en avoir l’esprit que c’en est fini, l’odeur de la mort, là d’un seul morceau elles s’affaissent et meurent il n’y a pas d’autre terme, leur sang à gros bouillon, et puis des millions de têtes tranchées plus tard, des millions et des millions de peaux à tanner, des millions de tonnes de lard bouilli, de kilos de suif et des millions et des millions de litres de sang plus tard, on a décidé en haut-lieu, sans doute – cet aspect des choses m’est encore un peu encore un peu étranger – de faire cesser ce travail intra-muros – une capitale n’a pas à accueillir ce charnier, cette fabrique un chantier pour la cuisine et la nourriture, certes sans doute même la gastronomie fleuron de la patrie, mais aussi un scandale pour ceux qui veulent à tout prix cacher la mort (est-ce une attitude consciente des autorités qui pourrait le dire mais c’est un fait : un premier septembre, soixante quatorze, du siècle dernier, c’en fut fini) et il n’en fut plus question – dans le musée d’aujourd’hui qui n’est qu’une partie – la moitié de ce qui avait été conçu pour moderniser cette manufacture organisée et rentable de la mort des bêtes à viande – de ce lieu cette institution, cet établissement, jamais une seule bête un seul animal une seule créature n’a cessé de vivre malgré l’investissement faramineux, abyssal supporté par la communauté (kézako ? ceux qui payent l’impôt) du pays : on ferma, Chirac je crois, à l’agriculture sous les ordres d’un crâne d’oeuf haï abhorré agoni, on ne garda rien sinon une des structures au nord (on vient d’y implanter un centre commercial enseigne loisir et consommation réfléchie responsable délibérée spontanée décomplexée) une autre au sud (grande halle rénovée il y a dix ans, salons marchandising modes type tatouages bio concerts expositions les habits de James Bond, voit-on le topo ?) multipliées ces structures par les vingt trois édifices rouge sang (au début de cet établissement, on avait gardé dans son insigne, son signe, son sigle, un de ces animaux qu’on tuait pour nourrir le monde, sa forme était allongée, une vache peut-être sacrée et puis ce symbole-là a disparu) on ne tue plus, on ne tranche plus le lard comme disait la chanson (en soixante six, le frère du réalisateur – avec l’aide d’Anne Segalen sa femme d’alors – Jacques Lanzmann écrit ces paroles-là) (son frère Claude – enquêteur hors pair de Shoah – rayé des vivants il y a peu) qui rimait avec les boulangers font des bâtards – non loin, les grands moulins de Paris
ont été transformés en une succursale de banque, le pain s’est industrialisé et arrive par avions puis camions dans les succursales des restaurants rapides – le canal ne sert plus de frontière entre la vie et la mort des bestiaux, on ne s’y jette guère que pour nager et rire aux beaux jours (la mairie a installé plus loin, dans le bassin, une piscine et un des quais dudit bassin sert à un Paris plage qui s’anoblit sur les rives du fleuve, dans le centre), voilà trente ans j’y comptais les entrants, installé sur une des passerelles (ici celle qui a été remplacée
) qui le franchit (elle branle au passage des coureurs à pied, elle couine piaille grince aujourd’hui), la mort mais quelle mort ?
- le pont du chemin de fer en 49
- le pont du chemin de fer sur le canal Saint-Denis (au fond, Saint Denis)
- le rond point des canaux
Plan légende côté Porte de Pantin
Concierge
Octroi
Régie
Grande cour de la rue d’Allemagne – entré des animaux venanten voiture
Fontaine
Administration
Bourse
Bureau de la régie
Parc de comptage des bœufs venant à pied
Parc de comptage des animaux venant en chemin de fer
Régie
Réservoirs
Abreuvoirs
Abri pour moutons
Abri pour bœufs
Abri pour porcs et veaux
Réserve du matériel des veaux et porcs
Bouveries
Porcheries
Bergeries
Etables à veaux
Ecuries, remises et dalle d’attente
Restaurants et buvettes
Dépôt de fumier
Ponts sur le canal de l’Ourcq
Plan légende côté Porte d’Aubervilliers
Grande cour sur la rue de Flandre et grilles d’entrée
Octroi et concierge
Vente à la criée
Triperie
Poste de police et pompiers
Bouveries
Echaudoirs
Chemin de fer de l’Est
Pendoirs
Dégraissoirs
Brûloirs
Coche de porcherie
Boyauderies
Porcheries
Chemin de fer du service des abattoirs
Coche général
Echaudoirs des têtes de veaux
Triperie
Plan de référence
outre le plaisir des mots celui d’apprendre