Atelier d’écriture en ligne Pierre Ménard 5
Une chance.
Sur la gauche de l’image le bureau (hors cadre, à gauche, la fenêtre qui donne la lumière, sur la rue) sur lequel on aperçoit une bouteille d’eau en plastique et de nombreux dossiers, un premier plan de dossiers posés sur une table de télévision (achetée lors d’une brocante sur le boulevard), plus loin l’abat-jour des années soixante au dessus de l’ordinateur de bureau qu’on distingue à peine ; derrière il y avait une étagère, on y avait posé quelques statues, on ne les distingue pas, quelques pots contenant stylos usagés et pinceaux, je ne sais plus, outils ou autres objets, ce qu’on voit en dessous, c’est le radiateur (le chauffage est collectif, on n’a jamais froid, on n’allume jamais, et puis c’était un certain confort et puis c’était là, on n’ y prenait ni garde ni attention – la seule chose qui restera), juste sur le côté une autre bibliothèque (une première, qu’on tente de distinguer bord cadre à gauche,un peu surélevée porte des volumes dont je ne sais plus dire les titres, mais il y avait le Grévisse, et les trois tomes des lieux de mémoire) – on l’avait fabriquée lors de l’achat de ce bureau (il a coûté une blinde, un bras, un oeil…), au bazar, il y a vingt ou trente ans de ça et mise sur le bureau – la troisième bord cadre à droite, quatre fois plus grande que celle qui fait face, derrière la chaise (récupérée, poncée, repeinte, d’un bleu profond sur laquelle on distingue peut-être une chemise rouge posée sur un coussin d’une même teinte, tout ça n’a aucun sens), des livres des documents, à droite la housse d’une guitare (laquelle est-ce je ne sais plus, est-elle électrique acoustique qui peut le dire, le tout se trouve disposé sur un fond noir de suie), on distingue en amorce, à droite de l’image au premier plan le dossier arrondi d’un fauteuil en osier – noir,il avait été beige -, le miroir est légèrement au dessus du centre de l’image posé sur la bibliothèque (on y avait posé les livres de sciences humaines) – il ne reflète plus rien – il avait été offert par AM. Lors d’un anniversaire – AM s’en est allée, emportée par ce cancer il y a des années, on n’oublie rien, de rien, on s’habitue c’est tout – les amis les plus chers comme ceux qu’on ne voit qu’une seule fois, les parents immortalisés sur ces images à présent noires de suie, cet incendie qui dévasta tout, qui d’une pellicule, grisâtre brune graisseuse, recouvrit tout, cette odeur qui perdure encore dans les livres « sauvés », trente mois plus tard tu imagines ça ? Moi, non je ne m’en relève pas, vraiment j’erre, je nettoie, je reprends encore ces lectures interrompues, ce ne sont que des objets, sans doute, ils n’existent d’ailleurs plus… Pour contrer le remords, le souvenir, la perte, j’étais passé là, un jour de février ou d’avril, et fait cette image-là, de l’entièreté de la surface de l’appartement (ici ce n’est que le bureau, un coin du salon – j’avais gardé cette image-là, elle était là (à l’oreille, l’assurance – en la voix de sa chargée de clientèle – bonjour le poids – qui disait « mais non, monsieur, c’est à vous de régler l’enlèvement des déchets – ils sont à vous » – six mille euros, tu vois ça d’ici – cette ignoble compassion définitive mais tellement dans son droit, combien d’ordures abjectes a-t-on croisées à cette occasion ? J’ignore. Je préfère omettre, penser à autre chose, rechercher cette image tellement représentative de ces gens-là. Je l’ai gardée six semaines sur le bureau, en attendant de trouver l’autre, et puis finalement, non, j’ai écrit. Plus tard, hier, ce matin, recherché sur le disque dur externe qu’on ne voit pas mais qui était dans un des tiroirs du bureau, celui du bas, à la gauche de celui (ou celle) qui s’y assoit. La veille (je ne m’en souviens pas, mais la date est écrite sur le dossier de sauvegarde) je l’avais branché sur la rallonge qui épargnait d’aller chercher le port derrière l’ordinateur, et j’avais préservé ce qui pouvait l’être (opération pratiquée tous les mois, quand j’y pense) : la chance, elle est là.
La seconde, elle, date de septembre : les travaux, ils ont commencé par la pose de deux conteneurs, l’un bleu, l’autre rouge, dans la rue – la photo existe quelque part par là… ; les déchets, les peintures, les trous au sol, au plafond, aux murs, les vérifications, les rendez-vous, les évaluations, les listes, les vérifications encore, puis les enduits, les peintures à nouveau, les sols plastifiés d’un revêtement au lin, les portes et les huisseries, les plomberies et les électricités, et aussi les fenêtres qui viendront en leur temps, on répare, on refait, on n’en parle pas, on en dira plus quand c’en sera fini : ici, plus rien, de la lumière, des morceaux de quelque chose, qui sortent du sol, les conduits du chauffage, peut-être et puis un lampadaire qui a résisté au feu (droite cadre, coupé), à la benne, à la poubelle, il reste aussi un radiateur, posé là (droite cadre, en amorce, coupé), pour ne pas le jeter j’imagine – j’ai oublié de m’en faire, j’ai oublié mais non, tout est là, en mémoire, mais sur ces souvenirs, j’ai jeté un voile, un tulle, opaque peut-être… mais cette suie…
ai commencé par réagir avec agacement contre moi qui me dis depuis tant de jours il y a cet exercice et puis celui de François Bon commencé et puis interrompu et en partie oublié
et puis finalement je n’ai plus pensé à l’exercice mais à ce qui était dit
avec empathie
@brigetoun : compliqué de n’écrire que pour s’exercer… courage…