Journal des Frontières : venelles de Saint-Mammès
Vous vous levez d’un bon pied, il ne fait pas beau, mais la pluie n’est pas encore au rendez-vous (on la trouvera en revenant tout à l’heure : un autre épisode de ce journal en fournira une sorte de preuve par l’image). A la gare qui est de Lyon car pour partie, elle y conduit, des rumeurs de trains annulés vous font comprendre ce que peut vouloir dire un mot qu’on emploie improprement aussi ailleurs « la galère » (la chanson faisait « j’ai pas tué/j’ai pas volé/mais je suis aux galères » vous revient en tête, Yves Montand donc, et les divers linéaments qui le suivent). Vous vous souvenez pour l’occasion des journées de décembre 1995 et du type « droit dans ses bottes » (abjecte, certes) mais surtout de cette sorte de fraternité qui unissait, ces jours-là, les autochtones et les autres dans un même élan de soutient et de débrouille. Pourtant, et cependant, la Société surveille
ici comme elle surveille ailleurs
elle pose sur les murs ses signes, ses signaux, ses objets et ses codes, des menaces peut-être qui sait
(vous prenez la photo à tout hasard – qui n’existe que peu – mais sur la première ici et le pylône vous aviez remarqué, déjà, un « PAN C » de même facture mais muni d’un « FERME 1″ lui -je vous grossis l’affaire-sans compter ce « Trame 1″
précédé d’un cabalistique, peut-être, cercle percé d’une flèche qui, de droite, va à gauche ainsi que la « Trame 9 » plus haut : un signe de reconnaissance des impairs ?… allez savoir – allez comprendre…), mais pourtant le train partira avec quelque demi-heure de retard, tandis que le commerce de la peur battra son plein, que des mesures seront prises pour protéger les populations, et que le soleil,lui, ne brillera toujours pas. Le train suit son cours, dans le même wagon (on dit « une voiture » mais passons) que vous (ils descendront à Melun) deux vieilles gens, l’un d’eux vous fera souvenir de Vidal, le père d’Edgar, qui arrivait toujours une heure ou deux avant le départ de son train pour Troyes (là-bas, il allait acheter des chaussettes), deux hommes auront une conversation passionnée à laquelle vous n’entraverez que pouic (et vous le regretterez, mais il en est ainsi, parfois, est-ce le hasard, est-ce la chance, on ne sait quels impondérables sont ourdies ni par quelle force) alors que deux ou trois arrêts et quelques images animées plus tard, vous arriverez en gare de Veneux-les-Sablons unie à celle de Moret-sur-Loing.
Le train y marquant l’arrêt (gloire à lui), vous le quitterez pour vous dirigez vers la place qui jouxte les quais, ainsi que des jeunes gens qui y seront attendus sans doute de leurs parents (grosses berlines noires et teutonnes aux chromes brillants) tandis que vous prendrez la photo du parking suivante :
ici comme ailleurs s’entassent les automobiles des navetteurs : vous pensez à votre travail qui ira rejoindre ceux des trois autres du collectif afin de réaliser le fameux « objet final » (abusé-je de l’italique, me demandé-je tout de go, peut-être un peu ? c’est que les choses doivent se marquer – probablement, alors j’italiquerai encore) dont vous n’avez pas encore l’idée précise mais qui parviendra à maturité assez rapidement, du moins l’espérez-vous en descendant cette avenue de la Gare bordée de riches villas
en meulière aux jointures étanchéisées et gris bleu (celle-ci est à louer) comme le ciel (en effet mais encore faut-il y croire…), il ne fait pas froid, à peine bruine-t-il et vous entrez en ville, sur votre droite si vous preniez cette rue, petite et légèrement tortueuse, interdite à la circulation automobile les mardis de sept heures trente à treize heures, ruelle dite du Pavé Neuf mais qui s’évase après le tournant, si vous l’empruntiez, donc, vous déboucheriez in petto sur un marché fort peu achalandé (il en est ainsi semble-t-il pour de nombreux commerces en ville, lesquels ont décidé de fermer pour quelques jours voire semaines…), au téléphone vous aurez pris contact avec le reste de la troupe afin de vous retrouver en un endroit quelconque mais chauffé, abrité et hors d’eau, où vous pourrez de concert évoquer les suites des événements et de la résidence, les tenants, les aboutissants, ainsi que le programme de l’après-midi qui se composera, espérez-vous, d’une promenade batelière sur le fleuve et la rivière affluente précédée d’une autre, mais pédestre celle-là, dans les venelles du bourg marinier où se trouve une halte fluviale ornée de la statue d’un pêcheur assis à qui on a volé sa canne (il ne fume pas la pipe, non) et où la douche se monnaye (si vos souvenirs sont bons) à deux euros (le prix du kir dans le bar librairie tabac jeux etc. fermé pour l’heure). Ledit bourg se nomme Saint-Mammès. Sachez l’s final, mais ne le prononcez pas.
Pour l’heure, cependant et à Moret, tout vous semble fermé. Une halte de l’autre côté du Loing, puis la voiture (un mou mais protubérant chevron en barre la calandre, une lettre -la troisième- comme un chiffre -le troisième, dans l’ordre de marche de ces individus, aussi- en indique le modèle ou la version, elle est augmentée d’un robot de guidage par satellite agrémenté (?) d’une voix qu’on peut (il me semble) décider féminine ou pas pour vous indiquer le chemin à suivre lequel vous conduira jusqu’au port -ni une ni deux, votre mémoire vous indiquera comme au Cid que « nous partîmes trois (ou cinq je ne sais plus) cents mais par un prompt renfort/ nous nous vîmes trois mille en arrivant au port » – en y réfléchissant, ce doit être trois plus que cinq -encore les impairs…) où, garée, elle tournera le dos à cette autre dans un état piètre ou baroque
en tout cas inutilisable pour sa fonction, mais on distingue cependant toujours qu’il s’agit d’un modèle de la marque au losange (et non au chevron non plus qu’au lion, au cheval cabré ou au taureau, non) : ces temps-ci, cependant, les divers avatars d’incendie ont pris dans votre esprit un amer et sale goût (le halo à l’arrière – certain nommerait ça « une aura » – de ce qui fut une auto a cependant l’heur de vous plaire, ainsi que les différentes volutes exécutées par le feu et sans doute ses flammes sur les portes et les autres pans -les revoici- de carrosserie – la couleur d’origine de la machine n’apparaît plus, mais le beige, comme à Electre le deuil, lui sied particulièrement).
Voici l’heure de votre premier rendez-vous. Vous vous retrouvez, vous irez d’abord rejoindre sur son bateau monsieur Mariage, prendrez rendez-vous avec lui pour dans quelque quarts d’heure (vers quinze heures) (une promenade plus des gens à aller chercher en gare, les trains étant ce qu’ils sont aujourd’hui, ces deux gens-là auront emprunté la même embarcation) puis dans les venelles qui bordent un peu le port, ou la halte, la promenade débutera.
Il n’est pas certain qu’elle ait commencé par cette rue, mais elle en fait partie, on marchera donc même si le temps reste à l’humide, on empruntera des chemins, des voies, des allées
on passera par ici, des venelles, pour rejoindre ailleurs, des jardins comme d’ouvriers, mais qui sont d’agrément plus que potagers à ce qu’il vous semblera
on marchera, vous marcherez dans cette fin d’hiver en maudissant cette résidence qui n’a même pas la politesse (ou la simple décence ?) de se dérouler en printemps alors que tout l’indique ici, qu’y pouvez-vous ? Rien, en effet.
Vous avancerez sur ces chemins
le pas, s’il parait rapide ici, ne l’était pas tant que ça pourtant, mais les jardins étaient soyeux et doux
les verts commençaient à poindre pour supplanter les terre de sienne, on entendait quelques volatiles au loin mais sans croiser d’animaux ou peut-être à peine un chat, ou si, oui, un chien gros et inutilement sonore ou vindicatif, vous sentiez sur ce sentier la venue pourtant proche de la belle saison
et quand même les jardins auraient été ceints de ces grillages qui en interdisent l’entrée et qui marquent propriétés (privées) et frontières (inutiles et vite franchies)
la floraison n’en ayant pas, elle vous serait offerte, et même si une petite bruine commençait à se déposer sur épaules et chapeaux, vous preniez des photographies ici de primevères
(on les devine) là de cette splendeur dans l’orange
ce qui aura pour effet de vous rendre assez guilleret, peut-être même légèrement taquin mais certainement joyeux, en arrivant sur le quai, où les péniches stationnent, où vivent, dans certaines, de vieux mariniers qui, tout à l’heure, de la main, vous feront signe, mais pour le moment, l’heure est à aller chercher à la gare les presque retardataires.
Une voiture s’en ira, vous irez, quant à vous, boire, dans une officine ouverte (la seule peut-être du quai) un café. Là, lorsque vous aurez la naïve outrecuidance de déclarer qu’il pleut, un tenancier bourru vous remettra à votre place (laquelle jamais vous n’auriez dû quitter, celle du terrien indigène et naturel) « non, il ne pleut pas, ce n’est pas de la pluie ça, non« , il y aura aussi dans ce bar un ouvrier du (probablement) bâtiment prénommé sans doute (ainsi est-il nommé du tenancier) José qui tout en éclusant son demi panaché bière/limonade rira en disant que bientôt le printemps arrivera, la tout à fait probablement femme du tenancier sourira elle aussi à cette évocation tout en manifestant que les jours allongent, en effet, puis après avoir réglé les quelques euros demandés en échange du chaud et noir mais pourtant amer breuvage, vous partirez à votre rendez-vous second sur l’Hermès le messager, le certes porteur de bonnes nouvelles, le Mercure, ce dieu qu’on aime tant parce qu’on ne veut guère se souvenir qu’en lui, aussi, peut se terrer celui des voleurs et du commerce, vous rejoindrez, plutôt heureux, le quai dit de Seine. C’est aussi que, pour finir, vous avez eu l’idée d’aller rechercher ailleurs que dans vos propres images celle de ce bateau qui tout à l’heure sur l’onde vous portera, et vous l’avez trouvée elle est là, le voilà en été et cette image égayera aussi et votre voyage et, du moins le souhaitez-vous, votre compte rendu
Je vois venir que vous allez nous mener en bateau (et on embarquera le coeur content).
Manif du 9 mars pour les étudiants (je ne pourrai y être, n’étant plus étudiant et pas là non plus).
J’ai apprécié ce clin d’œil sans doute volontaire à Michel Butor : la « modification » se voit même dans la voiture brûlée sur le parking…