Journal des Frontières en marche
Où en étiez-vous ? Au café de l’Avenir ? (les bombes dans les cafés des ordures de l’organisation armée secrète -le dix neuf mars soixante deux se signaient les accords d’Evian, tu vois – les tirs d’armes automatiques à ceux du onzième, du dizième, le onzième mois de l’année dernière en son treizième jour, perpétrés par on ne sait quels ignobles abrutis décédés ou encore en fuite, cette horreur, ces réminiscences à quoi bon ? on traverse et les jours et leurs nuits, on traverse les lieux et leurs faubourgs, la mer Méditerranée, l’océan Atlantique, aujourd’hui, sous le soleil on ira d’ici à là, en passant par ces sous-bois, personne ne nous en empêchera, on marchera), on va marcher, on va respirer les bords du fleuve, on va atteindre quelque part, on attend un peu, tout le monde est là – une quinzaine de personnes, autant d’hommes que de femmes, des âges avancés ou moins, on se connaît un peu, on se salue, vous êtes là ? vous êtes venue ? on attend une telle, un autre nous rejoindra en cours de route, et puis on s’en va, on avance pourtant on attend, on s’en va de la bibliothèque municipale -merci de l’accueil, en tous cas-
suivre cette route, avancer sur le chemin qui borde, que borde le fleuve en une de ses innombrables boucles, plateau de Langres jusqu’au Havre, près de huit cents kilomètres – à vol d’oiseau, bien moins – avancer sur un chemin interdit de nombreuses barrières bicolores, passer ici, puis là, avancer quelques centaines de mètres, là la conteuse de l’autre jour
puis vous allâtes votre chemin côtoyant le fleuve
vous montiez à l’assaut des bords de la Seine, là-haut (c’était encore Champagne, l’église du culte orthodoxe qui était apparue, parfois, dans les photos des jeunes gens du collège Gregh), marchant encore vous croisiez quelques hommes, un barbecue et des bières en boites-boissons, assez allumés (les hommes et le barbecue, pas les boites) qui riaient vous proposant un morceau de volaille grillée pour cinq euros, vous croisiez ensuite des promeneurs – à chien ou non -(« bonjour/bonjour », « vous êtes nombreux… ») vous retournant, voilà qu’en bas
oui, amarré au ponton il s’agit bien de l’Hermès (en deuxième position, le bateau de Désiré Mariage : encore merci à lui) qui vous avait emmené jusqu’à l’épave de la péniche, quelques kilomètres en amont il faisait beau, il faisait doux, en bas derrière les arbres se cachaient les rives de la Seine et les péniches amarées là
on marchait, vous marchiez
la ligne blanche de la frontière partagerait la route en deux entités infranchissables, une symétrie illusoire comme toutes les frontières, vous marcheriez
bord cadre en bas, l’église de la Celle, au fond, ce parallélépipède noir ce sont les Renardières, centre de recherches de l’électricité de France (ça n’existe plus : on mondialise, à tous les étages, l’Etat meurt, encouragé par ses propres serviteurs, et même son chef, et voilà quatre ou cinq mandatures que ça dure : comment voudriez-vous qu’il y résiste ?)
on discerne le fleuve, en contrebas, ses bateaux, ses rives, son courant, nous descendons la rue du Panorama, nous descendons encore
il fait toujours aussi doux, il doit être dans les trois heures et demi, on marche, on passe, on avance
le chemin de fer, on passe dessous, on l’ignore, on avance marchant, on ne chante pas mais le coeur y serait presque, on joint les bords de Seine, ici un oloé
en face, des bateaux, des péniches, des barques et des hors-bord
dans le clair obscur des rives en falaises elles reposaient
le fleuve sans doute charriait un peu quelque chose de la fin de l’hiver
aux arbres commençaient à gonfler sèves et bourgeons
le champ c’était le fleuve, le contrechamp un dépôt
des choses abandonnées pour un usage possible
dans quelque temps
on ne sait jamais, ça peut toujours servir
se côtoient ainsi le bucolique
et l’utilitaire, ici un chantier naval
quelque chose dans l’air a quelque transparence (une presque citation d’une chanson de Jean Ferrat)
les arbres, les taillis, les herbes folles et les grillages empêchent presque de simplement voir
on avance et on marche, mi-chemin, un voilier sous une bâche
à peine si on le distingue
mais il est là, presque hors d’eau
sans doute attend-il que quelqu’un s’en occupe, quant à nous nous passions
le soleil brillait encore, nous commencions à avoir chaud aux pieds
là-bas l’usine dont on cherchait l’emploi
chercher à Vernou une entreprise technique
tourner à gauche, encore à gauche au rond-point, prendre sous le pont, puis passer devant la gare de Vernou, remonter la rue de la Mairie puis, à droite rue de la Fontaine Martin vous êtes arrivés (le rendez-vous est le 2 avril vers 17h 30 en cette si jolie médiathèque, pour la fin de résidence – lectures, photos sons et petit pot pour finir, oui), on parlera, huit kilomètres et deux cents mètres en deux heures et demie, tout va bien, les jambes sont un peu lourdes, un verre de jus de fruit, de soda, quelques gâteaux secs, et une présentation de L’aiR Nu plus tard et après que F. vous aura indiqué les qualités des herbes qu’il a cueillies
des bèces dira-t-il dans l’auto tout à l’heure (je n’ai pas noté, mais dès que je sais, je corrige, je ne crois pas que ce soit exactement ça mais enfin, ça se mange…) qui seront son repas de ce soir, il sera temps de s’en retourner vers la gare
croisant ici cette alimentation générale « Chez Saïd » qui vous rappellera un peu l’ancien temps, ou alors la nuit à Paris où ces enseignes constituent un des feuilletons que vous avez du mal à entretenir à présent -le lien renvoie directement à l’une de vos pasionarias, mais le feuilleton alim géné est là, quelque part-, mais vous irez votre chemin
les ombres auront une qualité de noir qui vous réjouira
même en les amoindrissant à la machine
les murs tiendront encore un peu de la chaleur du soleil, vous courrez malgré tout, mais à la gare, le train ne passera pas avant trente six, et il sera cinquante, voilà A. qui raccompagne à Champagne quelques uns des marcheurs et qui vous y emmène, vous serez en gare un moment, au revoir à tous, merci encore Alex, merci à vous Francine et à tous les marcheurs, bien sûr, vous regagnerez cette gare, petite et sans commerce, sans grand monde (au loin, sur le quai, quelqu’un est assis, et patiente) au ciel passera un avion
les lignes électriques lui feront comme des empêchements
mais de ces frontières-là personne n’est dupe
c’est sans doute à Orly qu’il va se poser tandis qu’à l’ouest décline l’astre
et que si loin passent les aéronefs
il faut attendre tout autant, on attend
sur le parking vide
un homme fait courir son chien (on ne le verra pas à l’image, il n’y a pas grand monde, vraiment, samedi soir sur la terre comme disait l’autre) (c’est le silence qui se remarque le plus, oui) on attend là-bas décline le jour, derrière des grilles qui ne servent à rien
croisent les avions, les mauves et les oranges, les verts et les blancs
et les blancs et les jaunes (s’il le faut, un point de plus au contraste)
c’est que l’éclat du soleil illumine encore un peu l’accès au souterrain, la rampe comme une aide, mais aussi comme une séparation, une limite, un bord, une enceinte, un périmètre, le train de Melun arrive, des jeunes gens s’en vont, c’est samedi, ce soir il faudra aller à ce rendez-vous chez des amis, on arrivera à la gare de Lyon, on aura changé à Melun, on aura embarqué dans un train en duplex où la station debout est proscrite sinon sur les plate-formes (ce mot a pris une ampleur avec les réseaux, les pétroles, les managers et les open spaces, c’est ainsi que fonctionnent à présent cette mondialisation sans état, et cette économie sans frontières, sans éthique), dans l’autre sens les courbes du fleuve
des jeunes gens feront braire par leur portable une chanson sans nom
quelqu’un d’autre montera quelque part, parlera de quelque chose que vous aurait immédiatement oublié
le train filera
quelque chose aux jambes, aux pieds, vous rappellera cette marche, les bords du fleuve, les limites du territoire, les baignades de Martine H-S. quand ils étaient enfants, un peu de Mauricette Beaussart, un peu du tragique qui s’empare toujours des âmes en ces heures plutôt bleues
ah, oui, justement les fleurs, vous aviez oublié les fleurs, elles éclosent pourtant, je ne sais plus, était-ce cette conteuse (« conteuse, disait-elle, égale menteuse, mais qui dit la vérité« ) ces fleurs-là, douces
tendres, comme le printemps qui revient, allez, roulez, les voici, pour vous
ce billet du journal dédié à Ella Fitzgerald simplement parce qu’on l’aime.
vous suivre, dans vos mots – saluer avec une grimace notre monde quand s’invite au détour d’une phrase – déguster les images – et s’attarder sur les groupes en se demandant qui est qui dans ces êtres que je connais un peu par leurs mots, mais pour la plupart dont j’ignore l’apparence
Le panorama n’est donc pas seulement à la rue… Belle moisson d’images !
Mais tu as vraiment du temps devant toi !!!